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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 13

Le mercredi 18 juin 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mercredi 18 juin 2025

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté le 12 juin 2025, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. L’honorable sénateur Cormier présidera le comité.

[Traduction]

Projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne

Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

L’ordre du jour appelle :

Le Sénat en comité plénier afin de recevoir des témoins déterminés conformément au processus établi dans l’ordre, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable René Cormier.)


Le président : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier afin de poursuivre son étude de la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidence, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’il a été ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur.

La liste des témoins confirmés actuellement pour le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-5 aujourd’hui a été distribuée avec les notes de la greffière, et les pages peuvent fournir cette liste aux sénateurs sur demande.

Le comité entendra d’abord Geoff Wood, vice-président principal, Politique, Alliance canadienne du camionnage; Goldy Hyder, président et chef de la direction, Conseil canadien des affaires; Sean Strickland, directeur exécutif, Syndicats des métiers de la construction du Canada.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)

Le président : Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos observations préliminaires.

Geoff Wood, vice-président principal, Politique, Alliance canadienne du camionnage : Merci de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant le Sénat aujourd’hui. C’est un véritable honneur.

Je m’appelle Geoff Wood, et je suis le vice-président principal, Politique, de l’Alliance canadienne du camionnage. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Lak Shoan, directeur des programmes de sensibilisation aux politiques et à l’industrie.

À titre d’information, l’Alliance canadienne du camionnage est une fédération des associations provinciales de camionnage. Elle compte environ 5 000 entreprises membres qui gèrent un parc de plus de 100 000 camions et emploient environ 250 000 Canadiens qui, par leur travail, soutiennent directement notre chaîne d’approvisionnement et notre pays.

La concurrence loyale, la sécurité, la conformité et l’ordre public sont des éléments essentiels qui doivent être maintenus et renforcés pour permettre à l’industrie canadienne du camionnage de demeurer forte.

Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour proclamer haut et fort notre soutien pour l’élimination des obstacles au commerce interprovincial. Cela dit, même si nous devons éliminer ces obstacles, nous devons le faire à l’aide de mécanismes qui fonctionnent pour l’industrie du camionnage et qui n’ont pas de conséquences imprévues, comme une diminution de la sécurité routière, une atteinte à l’équité et à la conformité dans l’industrie, un renforcement de l’économie souterraine au sein de l’industrie ainsi qu’une confusion et une complexité accrues dans l’application des règlements.

Nous estimions qu’il était important que le Sénat comprenne la situation actuelle de l’industrie. Je vais donc vous en parler brièvement.

L’industrie fait actuellement face aux pires conditions économiques qu’elle a connues en plus de 40 ans. L’économie souterraine sévit dans l’industrie et se traduit principalement par le non-respect des lois du travail et des lois fiscales, et nous luttons depuis 10 ans pour rétablir l’ordre dans l’industrie. Les progrès sont lents et nous avons reçu très peu de soutien des gouvernements.

En ce qui concerne les obstacles au commerce interprovincial en 2023 et en 2025, l’Alliance canadienne du camionnage a rédigé un rapport sur le sujet. Parmi les points saillants du rapport, mentionnons l’harmonisation des normes d’entretien des routes dans l’ensemble des provinces et des territoires, la nécessité d’aménager davantage d’aires de repos pour les chauffeurs de camion et les chauffeurs de camion commerciaux dans le réseau routier national, le doublement de la route 185 au Québec et la mise en place d’un système efficace de supervision et d’imputabilité en matière de sécurité des camions qui s’applique à l’ensemble des provinces et des territoires.

Le manque de supervision en matière de sécurité des camions est notre principale préoccupation. À notre avis, il s’agit d’un obstacle commercial, car les entreprises de camionnage jouissent d’une trop grande mobilité. En effet, lorsque leur dossier en matière de sécurité se détériore à un endroit, elles peuvent « se magasiner » une province ou un territoire où transférer leurs opérations. Cela permet aux entreprises peu scrupuleuses de rechercher constamment un endroit où le régime est moins restrictif et où elles auront peu ou pas du tout de comptes à rendre.

Cela est directement lié aux difficultés découlant du fait que des provinces et des territoires ne respectent pas les normes 7, 14 et 15 du Code canadien de sécurité. Ces normes sont obsolètes et doivent être révisées.

Même s’il faut se pencher sur la sécurité des camions, la reconnaissance mutuelle n’est pas la solution, de notre point de vue. Dans ce cas-ci, la reconnaissance mutuelle est à l’origine de la situation dans laquelle nous nous trouvons en matière de sécurité des camions. Il y a peu d’uniformité, peu de communication de l’information entre les provinces et peu de reddition de comptes. De plus, les provinces ont peu de pouvoirs leur permettant d’intervenir auprès des transporteurs des autres provinces. L’Alliance canadienne du camionnage demande, depuis 2009, de corriger les problèmes par l’entremise des protocoles établis. En 2023, elle a ajouté cette question à sa liste parce qu’on s’intéressait alors aux obstacles.

Le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé a reçu la directive de l’administrateur du conseil de régler cette question, mais à notre avis, les choses avancent trop lentement et le processus ne sera pas terminé avant 2027. Il faut que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires aient la volonté politique d’agir et qu’ils s’engagent à le faire beaucoup plus rapidement.

Nous savons que la Loi sur l’unité de l’économie canadienne a pour but d’accélérer la réalisation des projets qui sont d’intérêt national. Nous jugeons qu’il faut s’intéresser davantage aux régimes de permis pour les camions surdimensionnés et trop lourds, car la machinerie lourde, les matières premières critiques et les marchandises nécessaires pour ces grands projets nationaux seront transportées par des camions nécessitant des permis spéciaux.

Pour réduire les retards, il faudra éliminer tous les obstacles commerciaux qui nuisent à la libre circulation de ces biens d’une province à l’autre. Il faudra aussi de bons investissements durables dans les régimes d’octroi de permis et la main-d’œuvre des provinces.

Dans la plupart des cas, l’octroi de permis est suspendu ou reporté à cause de travaux routiers qui ne permettent pas le passage de chargements surdimensionnés, de renseignements inexacts au sujet de ces chantiers, d’un manque d’effectifs et de systèmes informatiques inadéquats pour traiter les permis. Même si la liste de nos revendications est longue, nous estimons que les changements à venir devront être faits de manière à ne pas compromettre la sécurité routière ni endommager les infrastructures routières des provinces et des territoires.

(1410)

Par-dessus tout, et s’il y a une chose que vous devez retenir de notre témoignage, c’est : qui dit projets d’intérêt national dit nécessairement marchés publics. Nous voulons donc que les droits et les mesures de protection des travailleurs de même que les lois régissant le travail soient appliquées aux entreprises de camionnage qui concluront des marchés avec l’État. Les gouvernements doivent faire le nécessaire pour qu’aucun élément de l’économie souterraine et aucun organisme s’adonnant à la classification erronée des emplois ne puisse participer à ces projets. Pour que les choses soient claires, de notre point de vue, si une entreprise souhaite prendre part à ces projets essentiels pour le pays, alors elle doit se conformer à toutes les obligations que lui imposent les lois du travail et le fisc et suivre toutes les règles qui régissent l’industrie du camionnage.

Certains processus actuels d’approvisionnement nous inquiètent, car nous constatons que les mécanismes de contrôle appropriés n’ont pas été appliqués et que personne ne semble vouloir les appliquer.

Merci de nous avoir permis de nous adresser à vous aujourd’hui. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Goldy Hyder, président et chef de la direction, Conseil canadien des affaires : Honorables sénateurs, je vous remercie du travail que vous accomplissez. D’abord et avant tout, je m’en voudrais de ne pas souligner que nous célébrerons samedi la Journée nationale des peuples autochtones.

Je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de comparaître devant vous afin de discuter de l’importance du projet de loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Je suis vraiment honoré de pouvoir le faire dans cette enceinte.

Chaque jour, j’ai le privilège de représenter plus de 170 chefs d’entreprise qui emploient plus de 2 millions de Canadiens et auxquels nous devons environ 50 % du PIB de notre pays. Fondé en 1976, le Conseil canadien des affaires a pour mandat de contribuer à renforcer l’économie du pays, son tissu social et ses institutions démocratiques.

Mon travail m’amène à voyager de par le monde. J’ai ainsi l’honneur de rencontrer les clients du Canada, tant ceux que nous avons maintenant que ceux avec lesquels nous voudrions faire davantage des affaires à l’avenir. Je dois être honnête avec vous. Les dernières années ont été très éprouvantes. On me demande sans cesse comment il se fait qu’un pays comme le Canada — qui a la chance d’avoir des ressources naturelles, des talents de calibre mondial et des marchés financiers sophistiqués — ait autant de mal à fournir à ses partenaires commerciaux les biens dont ils ont besoin pour se sentir en sécurité et devenir prospères.

Au même moment, la sécurité économique et nationale du Canada est en péril. Les politiques protectionnistes se multiplient encore, et nos institutions démocratiques continuent d’être menacées. Nos alliés et nos partenaires commerciaux font face aux mêmes obstacles et, plus que jamais, ils cherchent à obtenir un approvisionnement sûr en énergie, en denrées alimentaires et en minéraux critiques.

Nos ressources de calibre mondial, qu’il s’agisse de l’uranium, du nickel, de la potasse, du grain ou du pétrole et du gaz, nous permettent de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux. Malheureusement, nous perdons des parts de marché. Nous avons déjà été un des dix principaux fournisseurs de nombreux minéraux et produits agroalimentaires, mais nous perdons du terrain au profit de nos concurrents, dont beaucoup se trouvent dans des pays qui ont des normes environnementales moins rigoureuses et moins de respect pour la primauté du droit.

Dans le domaine de l’énergie, nous n’avons pas su réaliser notre potentiel. Le gaz naturel liquéfié en est un exemple frappant. Des faux pas en matière de politique et des obstacles réglementaires coûteux ont freiné le Canada et l’ont empêché d’atteindre son plein potentiel, ce qui nous a tenus à l’écart pendant que d’autres pays assument le rôle que le Canada aurait dû jouer, à savoir celui de fournisseur d’énergie pour le monde démocratique. Même si le Canada a la chance d’avoir d’énormes réserves de gaz naturel et un accès à trois des quatre océans de la planète, le pays a de la difficulté à construire la bonne infrastructure pour acheminer ses produits et ses ressources énergétiques jusqu’aux côtes.

Il y a seulement deux mois, S&P Global a publié une étude qui montre qu’au Canada, il faut plus de 20 années pour découvrir des ressources, approuver leur exploitation et construire une mine pour les extraire, ce qui nous classe parmi les pays où les délais sont les plus longs. Il faut que cela change.

Le projet de loi C-5 nous permet de bondir hors de bloc de départ pour que le Canada arrive premier dans la course mondiale au commerce. Nous estimons que ce projet de loi et les pouvoirs qu’il attribue sont appropriés en ces temps difficiles. Il prévoit un cadre ambitieux pour unir les gouvernements et travailler avec le secteur privé et les communautés autochtones afin d’identifier des projets d’importance nationale.

Permettez-moi de vous assurer que le secteur privé est prêt à faire sa part pour investir et bâtir un Canada fort et prospère. Notre bilan est inégalé, et notre capacité de produire des ressources de façon responsable en collaboration avec les Premières Nations constitue la force concurrentielle du pays. Fait important, les droits autochtones et le devoir de consulter demeurent des éléments permanents du droit canadien. Nos membres ont réalisé de grandes avancées depuis plusieurs décennies pour bâtir un lien de confiance solide avec les Premières Nations, grâce à la bonne volonté et des partenariats durables dans des projets majeurs. Nous sommes prêts à aller de l’avant avec eux aujourd’hui.

Enfin, je m’en voudrais de ne pas expliquer le soutien écrasant du CCA pour réaliser l’objectif du projet de loi, soit de créer les conditions nécessaires à un commerce plus libre au Canada et d’éliminer les obstacles au commerce interprovincial.

Le président : Je suis désolé, monsieur Hyder. Je vous demanderais respectueusement de conclure.

M. Hyder : Quant aux politiques, la marge d’erreur est très mince, et bon nombre de dirigeants mondiaux ont demandé au Canada de les aider à augmenter l’approvisionnement en technologies et en énergies propres, abordables et fiables dans leur pays afin de répondre à la demande.

Aujourd’hui, nous avons la chance et l’occasion de répondre à leur appel. Je vous exhorte par conséquent à vous unir pour adopter le projet de loi. Merci.

Sean Strickland, directeur exécutif, Syndicats des métiers de la construction du Canada : Merci, sénateurs, de nous donner l’occasion d’exposer nos perspectives sur le projet de loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne.

Je m’appelle Sean Strickland et je suis directeur exécutif des Syndicats des métiers de la construction du Canada, ou SMCC. Je témoigne aujourd’hui pour représenter les voix de plus de 600 000 travailleurs spécialisés membres de syndicats internationaux qui travaillent dans plus de 60 métiers et professions et dont le gagne-pain dépend de la construction de projets majeurs dans toutes les régions du Canada. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Nathan Carr, gestionnaire des affaires publiques au SMCC.

Sénateurs, le temps presse. Les effets délétères des droits de douane sur les emplois mettent de la pression sur l’économie au Canada. Il faut lancer des projets d’intérêt national qui pourront redéfinir notre économie et préserver notre indépendance économique et énergétique.

Depuis trop longtemps, l’inefficacité réglementaire au Canada cause des délais inacceptables dans l’approbation des projets qui permettent aux hommes et aux femmes des métiers spécialisés de travailler et qui donnent des emplois bien payés et syndiqués aux travailleurs de la construction partout au pays.

La mise en place d’un bureau des grands projets et d’un processus simplifié de type « un projet, une approbation » ainsi que la coordination et la consolidation des processus ministériels et intergouvernementaux auraient dû être faites depuis longtemps. En résumé, au Canada, l’approbation des projets nécessite plus de temps que leur mise en œuvre. C’est inacceptable.

Le projet d’expansion du réseau Trans Mountain illustre parfaitement cette nécessité de changement. Il a fallu un peu plus de cinq ans pour la construction et plus d’une décennie pour l’approbation. Heureusement que le gouvernement canadien a acheté le pipeline existant, a financé l’expansion et a mené ce projet à terme, car, à l’heure actuelle, la capacité d’exportation de notre énergie vers des partenaires commerciaux plus fiables est un atout stratégique important qui garantit notre souveraineté économique en cette période d’incertitude.

Des projets qui sont menés d’un océan à l’autre peuvent et doivent aller de l’avant grâce à un processus d’approbation accéléré pour stimuler notre économie. Qu’il s’agisse de la Phase 2 de LNG Canada à Kitimat, en Colombie-Britannique, qui exporte davantage de gaz naturel liquéfié à des partenaires commerciaux fiables, de projets d’exploitation de minéraux critiques dans le Cercle de feu en Ontario, de projets hydroélectriques propres dans la région de Gull Island à Terre-Neuve-et-Labrador ou de petits réacteurs modulaires qui peuvent être utilisés partout au pays pour construire un réseau électrique d’est en ouest, les projets d’intérêt national existent si le cadre réglementaire permet de simplifier les processus d’approbation. C’est pourquoi nous appuyons cette mesure législative et vous exhortons à l’adopter rapidement.

Les Syndicats des métiers de la construction du Canada reconnaissent également que ce projet de loi n’est pas parfait. Les peuples autochtones du Canada nous ont dit craindre que leurs droits issus de traités soient compromis. Nous partageons leurs préoccupations et nous exhortons le gouvernement à respecter ses engagements pris dans le cadre de traités et à continuer de faire des peuples autochtones des partenaires à part entière dans ces projets d’intérêt national.

Nous croyons également que les travailleurs qualifiés devraient profiter de ces avantages. Nous croyons que chaque fois que le gouvernement du Canada investit pour attirer des capitaux privés, il devrait imposer comme conditions de bons salaires et avantages sociaux, des salaires conformes à ceux en vigueur, des exigences en matière d’apprentissage et d’embauche locale et autochtone, comme le gouvernement l’a fait avec les crédits d’impôt à l’investissement dans l’économie propre.

(1420)

Fait intéressant, selon un sondage ayant été mené dernièrement par Abacus Data, 84 % des travailleurs des métiers spécialisés estiment que ces conditions devraient être nécessaires pour les projets financés par des fonds publics. Ces mesures ne sont pas seulement « souhaitables », elles sont carrément essentielles à la réalisation des projets d’intérêt national et à la prospérité économique. Elles sont un gage de retombées pour tous les Canadiens, quelle que soit leur identité ou leur région, qui pourront ainsi trouver un bon emploi bien rémunéré qui contribuera à bâtir le Canada.

Les changements qui se rapportent à la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces sont les bienvenus, même si les métiers désignés Sceau rouge sont déjà reconnus à l’échelon fédéral dans le cadre d’un processus qui n’est pas parfait, mais qui fonctionne bien pour les métiers spécialisés. Nous pressons le gouvernement d’harmoniser, en collaboration avec les provinces, le cadre de certification en matière de santé et sécurité sur les chantiers de construction afin d’améliorer la mobilité et la productivité de la main-d’œuvre.

Dernier point, il faut faire travailler tous les Canadiens qui souhaitent faire carrière dans les métiers spécialisés. Il faut donc des données pointues sur le marché du travail et sur les grands projets. Combien de métiers seront nécessaires, quand et où? Il faudra ces données pour optimiser les emplois pour les Canadiens et faciliter le déplacement des gens de métiers là il y aura du travail.

Il faut aussi le soutien constant du programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical, ainsi que de solides exigences en matière d’apprentissage, afin que quiconque souhaite mettre la main à la pâte et contribuer à bâtir le Canada puisse le faire avec l’appui total des syndicats et du gouvernement.

Je suis prêt à répondre à vos questions. Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le président : Merci, monsieur Strickland. Nous passons maintenant aux questions. Comme de nombreux sénateurs souhaitent poser des questions, j’informe respectueusement les témoins que les sénateurs apprécient les réponses concises.

Honorables sénateurs, je vous remercie d’indiquer à qui vous adressez vos questions.

Le sénateur Housakos : Messieurs, soyez les bienvenus au Sénat.

L’Alliance canadienne du camionnage a sonné l’alarme devant les pressions économiques croissantes qui pèsent sur l’industrie, notamment l’inflation insoutenable, qui fait grimper les coûts, et la forte réduction de la taille des parcs et de la main-d’œuvre. Parallèlement, les intervenants de l’industrie réclament une prévisibilité à long terme afin de pouvoir orienter leurs décisions en matière de planification des immobilisations et d’investissement dans la main-d’œuvre. Or, bon nombre de ces préoccupations semblent avoir été ignorées dans le projet de loi C-5.

Compte tenu des conditions économiques difficiles, le projet de loi C-5 offre-t-il la prévisibilité et le soutien dont les entreprises de l’industrie du camionnage ont besoin pour investir à long terme dans l’équipement, la main-d’œuvre et la conformité? L’inclusion de calendriers de mise en œuvre propres à l’industrie ou de cadres de transition structurés contribuerait-elle à fournir la certitude nécessaire pour stabiliser l’industrie et lui permettre de prospérer?

M. Wood : Je vous remercie, sénateur, de votre question. De notre point de vue, nous considérons qu’il s’agit d’un projet de loi et d’une réflexion qui témoignent d’une grande vision, et nous sommes ici pour appuyer le projet de loi, peu importe où il aboutira, et pour soutenir le pays. Sans entrer dans les détails, nous sommes ici pour apporter notre soutien. Il y a certains problèmes, mais nous estimons qu’avec les discussions et les partenariats appropriés, nous pouvons faire ce qu’il faut. Notre travail consiste à appuyer ces projets et à soutenir l’économie. Voilà pourquoi nous sommes ici, sénateur.

Le sénateur Housakos : Avez-vous des amendements à proposer ou des recommandations à faire concernant le projet de loi C-5 qui seraient plus concrets que théoriques et qui permettraient à l’industrie du camionnage d’abattre dès aujourd’hui les obstacles économiques qui se dressent sur son chemin et de faire des plans à long terme? Car quand vient le temps d’investir sur le long terme, la planification à long terme et la stabilité sont capitales pour votre secteur d’activité.

M. Wood : Si j’avais pu entrer à ce point-là dans les détails... j’ai toutefois mentionné quelques éléments dans ma déclaration. Je dirais qu’il faut que les règles du jeu soient les mêmes pour tous et qu’il faut soutenir les provinces et les territoires. Car dans notre monde à nous, la majorité des activités de camionnage sont encadrées par les provinces et les territoires. Il y a deux sujets — celui de la sécurité routière et celui des camions surdimensionnés ou trop pesants — que nous aimerions voir dans le projet de loi, s’ils n’y sont pas déjà. Je ne l’ai pas lu en détail, comme je vous le disais, mais nous aimerions certainement que ces deux éléments y figurent.

Pour ce qui est des ministères fédéraux, nous estimons que les manquements aux lois du travail et aux lois fiscales constituent un problème de taille pour l’industrie. Pour la suite des choses, tant que nous avons la certitude que ces deux dossiers seront balisés, nous sommes contents.

Les 10 dernières années ont été particulièrement difficiles. L’industrie du camionnage va mal et c’est principalement parce que l’économie souterraine prend de plus en plus de place et que la surveillance des autorités a été déficiente, surtout de la part de l’Agence du revenu du Canada et d’Emploi et Développement social Canada, qui s’occupent l’une des questions fiscales, l’autre des questions liées aux droits du travail, ce qui a permis à des entreprises peu scrupuleuses de réduire leurs coûts d’exploitation dans le but de gagner des parts de marché.

Nous nous conformons aux règles en vigueur — ce qui est devenu très difficile pour une entreprise de camionnage —, et nous avons besoin d’une surveillance plus étroite. Il faudrait que le gouvernement fédéral, en particulier l’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada, s’engage plus fermement à faire le nécessaire pour protéger les camionneurs et les travailleurs respectueux des lois. Ce sont là quelques-unes de nos réflexions, sénateur. Je me suis attardé un peu plus aux détails, mais j’espère avoir répondu à vos questions. Si votre groupe a besoin de plus amples précisions, je serai ravi de lui en fournir.

Le sénateur Housakos : Non, je vous remercie. Il est agréable de poser des questions à des gens qui ne sont pas des politiciens, car leurs réponses sont beaucoup plus détaillées. Je vous en suis reconnaissant.

La réalité, c’est que nous devons composer avec des contraintes de temps et des contraintes parlementaires. Ce n’est un secret pour personne, le gouvernement nouvellement élu aimerait que cet important projet de loi entre en vigueur avant le 1er juillet. Voilà qui ne nous laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour proposer des amendements.

Ma question s’adresse à M. Hyder, qui sait très bien comment les choses se passent à Ottawa et au sein du gouvernement. De votre point de vue et de l’avis de l’industrie, est-il envisageable de s’en remettre à des modifications réglementaires pour corriger certaines des lacunes de ce projet de loi?

M. Hyder : Si vous me demandez si le projet de loi est parfait, je dois vous répondre que ce n’est pas le cas. Aucun projet de loi adopté ici n’était parfait. Nous ne pouvons pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. Nous vivons un moment déterminant. La situation actuelle est loin d’être normale. Nous sommes confrontés à une véritable menace qui met en péril notre souveraineté, notre capacité à nous défendre ainsi que nos perspectives de prospérité économique et de croissance. Dans ce contexte, il faut que nous contrôlions les éléments que nous pouvons contrôler, plutôt que de permettre à quelqu’un d’autre de le faire pour nous.

La situation actuelle n’est pas normale. Les circonstances sont extraordinaires, et c’est dans cette optique que nous estimons que ce projet de loi s’appuie sur les bons objectifs et les bonnes intentions, avec lesquels nous pouvons composer afin de concrétiser la vision mise de l’avant pour bâtir davantage au Canada.

Pour être franc, tout haut cadre chargé, comme le serait le conseil d’administration, de prendre les décisions définitives en matière d’investissement ne verra pas les choses dans le contexte d’un seul projet de loi. Il abordera la question dans une optique beaucoup plus générale en tenant compte de notre situation actuelle. Ce que vous pouvez constater, c’est que nous sommes disposés à nous asseoir, à travailler avec les premiers ministres, les provinces, les groupes autochtones et le gouvernement fédéral, car c’est vraiment l’occasion pour tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté d’unir leurs efforts afin d’aider le pays à trouver un moyen de faire ce que les Canadiens viennent tout juste de demander au moment de voter, c’est-à-dire prendre le contrôle de ce que nous pouvons contrôler et trouver une façon de diversifier nos activités, de contrôler notre propre souveraineté et de ne pas dépendre d’un seul client, que nous ne pouvons pas blâmer pour la situation dans laquelle nous sommes. Il nous incombe de faire ce travail. Nous nous défendons bec et ongles contre les droits de douane américains alors que nous en imposons aux Canadiens depuis des dizaines d’années, car c’est bien ce que sont les obstacles au commerce interprovincial. C’est nous qui n’avons pas construit l’infrastructure d’Est en Ouest. Lorsque l’Europe et d’autres pays sont venus nous voir, nous leur avons dit que ce ne serait pas rentable et nous les avons renvoyés chez eux.

Il nous incombe de profiter de l’occasion pour diversifier et bâtir l’infrastructure au pays. Le Canada n’a d’excuses à présenter à personne, et le milieu des affaires non plus. Nous sommes fiers de notre bilan avec les communautés autochtones et du travail que nous avons réalisé avec les municipalités et les provinces au Canada. Les choses se sont-elles toujours déroulées parfaitement? Bien sûr que non. Pour plusieurs projets, pensons notamment à LNG Canada, nous avons réussi à accomplir le travail en deux ans. Cedar LNG, qui est le partenaire autochtone de TC Energy, a pu aller de l’avant en deux ans. Si la volonté est là, c’est possible d’y arriver.

Le sénateur Housakos : La partie 2 du projet de loi C-5 permet au gouvernement fédéral d’accélérer les projets d’infrastructure considérés comme étant d’intérêt national. Toutefois, compte tenu de l’importance capitale des investissements prévisibles dans les corridors de transport pour le secteur du camionnage, comment la politisation de la sélection des projets selon des critères opaques ou un engagement incohérent — le manque de directives, de normes, etc. — pourrait-elle dissuader le secteur privé d’investir dans l’industrie? Quel mécanisme faut-il mettre en place comme mesure de protection pour s’assurer de consulter les représentants des camionneurs de façon significative et veiller à ce que les projets mis en priorité correspondent aux besoins de l’industrie, au lieu de n’offrir que des décisions politiques opportunistes dans l’immédiat?

M. Strickland : À qui s’adresse la question?

Le sénateur Housakos : N’importe lequel d’entre vous peut y répondre.

M. Strickland : Cette situation s’applique au domaine du camionnage. De façon générale, pour répondre à votre question, sénateur, il s’est réalisé bon nombre de grands projets au Canada — les autoroutes, par exemple — mais il y a aussi une foule de grands projets qui n’ont jamais vu le jour.

(1430)

Il y a 15 ans, je me souviens qu’il y avait au moins une dizaine de projets de transport de gaz naturel liquéfié de l’Alberta jusqu’à la côte de la Colombie-Britannique. Je me souviens aussi d’Énergie Est, un grand projet d’oléoduc se rendant jusque dans l’Est du Canada et à la raffinerie de Saint John, qui est actuellement la plus grande du Canada. Il y a eu toutes sortes de projets qui se sont finalement enlisés à défaut d’une réglementation efficace. Pour les membres de mon association, le problème, c’est qu’ils entendent qu’un grand projet sera mis en branle, qu’ils mobilisent leurs travailleurs et recrutent des apprentis, mais finalement le projet n’aboutit pas. Il n’y a alors pas d’emploi pour les apprentis formés.

En ce qui concerne le processus annoncé, en vertu duquel chaque projet ne nécessitera qu’une seule approbation, nous recommandons d’y joindre des données sur le marché du travail, pour connaître le nombre de gens de métier dont on aura besoin, quand et où. Nous pouvons recruter des travailleurs et former des apprentis, mais il faut qu’un certain degré de certitude soit associé à ces projets. Nous en avons besoin. Grâce à ce projet de loi, je pense que c’est la première fois depuis très longtemps qu’une plus grande certitude sera associée aux projets mis en branle au Canada.

Une partie du processus sera politisée, n’en doutons pas, mais je crois que, pour l’instant, il faut foncer. On voit actuellement que les Canadiens s’unissent et qu’ils s’attendent à ce que les politiciens fassent de même.

La sénatrice Hébert : Messieurs, il est réjouissant de voir des représentants d’entreprises et des travailleurs assis côte à côte, appuyant les objectifs du projet de loi et ayant comme objectif commun de renforcer l’économie canadienne. C’est tout à votre honneur.

Monsieur Hyder, vous souhaitiez parler de l’aspect du projet de loi qui concerne le commerce interprovincial, je vais donc vous donner l’occasion de le faire avec ma question, si vous me le permettez.

D’après ce que j’ai compris de vos déclarations publiques, vous considérez le projet de loi C-5 comme une mesure importante pour éliminer les obstacles au commerce interprovincial. J’aimerais toutefois savoir si vous pensez que le projet de loi sera suffisant pour atteindre cet objectif. Autrement, quels autres outils ou initiatives devrions-nous mettre en place pour nous assurer que cette fois-ci, nous réussirons? C’est un sujet dont nous discutons depuis un certain temps déjà.

M. Hyder : Pour une fois, la pression viendra du public, selon moi. Jamais la population n’a été aussi consciente de l’absurdité de ces obstacles au commerce interprovincial qu’aujourd’hui. C’est un sujet de conversation dans les foyers canadiens, et je pense donc que la population canadienne exigera des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux qu’ils agissent en conséquence.

Comme vous le savez, sénatrice, il y a deux volets. Avec le gouvernement fédéral, il est évident qu’entre maintenant et le 1er juillet, l’intention est de travailler sur les obstacles fédéraux qui ne sont pas liés à la sécurité nationale. Il s’agit d’éliminer les obstacles fédéraux. Les gouvernements provinciaux, eux, ont annoncé des ententes, des intentions de collaborer, mais je vais être honnête, j’ai eu à parler à plusieurs premiers ministres provinciaux qui ont décidé de prévoir des exceptions, ce qui nous engage sur une pente glissante.

Il faut qu’ils sentent cette pression de la part des Canadiens, et je pense que c’est ce qui va se passer parce que, comme je le disais, c’est quand même paradoxal que nous nous tournions vers les Américains pour qu’ils suppriment leurs droits de douane et que nous agissions comme si nous n’avions rien à nous reprocher, alors que nous nous en imposons à nous-mêmes. Au fond, les obstacles interprovinciaux au commerce, ce sont des droits de douane sans le nom. Or, ces obstacles privent le PIB d’environ 4 % de sa valeur. On calcule que, pour chaque obstacle, il faut payer 7 % de plus que ce qui devrait être payé. Les Canadiens paient 7 % de plus que ce qu’ils sont capables de payer alors que l’époque est marquée par l’inflation et la stagnation économique. Il s’agit d’une excellente occasion pour la population de continuer à faire pression sur nous tous pour que nous abolissions ces obstacles au commerce une bonne fois pour toutes.

La sénatrice Hébert : J’aimerais aussi entendre ce que vous avez à dire au sujet de la main-d’œuvre, monsieur Hyder. Ce n’est pas moi qui vous apprendrai que, pour réaliser de grands projets d’infrastructures, il faut des travailleurs. Or, de nombreux secteurs d’activité manquent de main-d’œuvre. Les membres de votre organisme craignent-ils que les nouveaux objectifs d’immigration définis par le gouvernement compromettent la réalisation de ces grands projets ou nuisent à l’industrie?

M. Hyder : Merci pour la question. La perte du consensus générationnel sur l’immigration, qui inquiète grandement les employeurs, est sans conteste au cœur des préoccupations. Nous comptons beaucoup sur une main-d’œuvre talentueuse, qui se compose en bonne partie d’immigrants. Le taux de natalité au pays est de 1,3 actuellement, et il nous faut des travailleurs pour être en mesure de bâtir. L’intelligence artificielle ne nous aidera pas à construire les pipelines. La main-d’œuvre est essentielle pour abattre le gros du travail à accomplir pour construire des infrastructures.

Nous cherchons, notamment, à insister davantage sur les compétences, le recyclage et la reconnaissance professionnelle. Comme je l’ai déjà dit, la reconnaissance des titres de compétence étrangers explique à merveille le déclin de la productivité. En effet, nous avons berné des gens en les invitant à venir au Canada en raison de leur formation, de leurs compétences et de leurs qualifications, car ces personnes se sont fait dire ensuite qu’elles ne pouvaient pas être infirmières, médecins ou ingénieurs au Canada. Il faut mettre fin à ces incohérences pour que les immigrants que nous faisons entrer au pays puissent travailler dans leur domaine.

Loin de moi l’idée de nier l’importance des réfugiés, des personnes qui immigrent pour des considérations humanitaires ou des travailleurs étrangers temporaires. Chacun d’entre eux joue un rôle et contribue réellement à l’économie.

Cela étant dit, plus de migrants économiques peuvent contribuer à la croissance de notre économie. Nous devons augmenter le pourcentage de migrants économiques qui arrivent au pays pour regagner la confiance que les Canadiens ont perdue ces dernières années. Ils ont l’impression que nous avons perdu le contrôle et cherchent maintenant un bouc émissaire pour dire : « Je ne peux plus conduire sur la route en raison des embouteillages, la criminalité a augmenté ou il y a des problèmes d’abordabilité. » Nous devons jeter le blâme sur quelqu’un.

Nous devons travailler ensemble pour rétablir le consensus en matière d’immigration, et l’une des façons d’y parvenir, c’est de montrer aux Canadiens que nous faisons venir des gens qui sont qualifiés, qui travaillent et qui ont l’intention de travailler pendant une trentaine ou une quarantaine d’années pour contribuer à l’économie et financer les programmes sociaux auxquels les Canadiens s’attendent.

J’exhorte le Sénat à examiner la question de très près, car elle est probablement primordiale pour notre croissance économique et notre prospérité.

Le sénateur Loffreda : Merci, messieurs, de votre présence parmi nous et de tout ce que vous faites pour le Canada.

Monsieur Hyder, selon vous, le projet de loi C-5 répond-il efficacement aux deux défis économiques de longue date du Canada, à savoir la faible productivité et la concurrence insuffisante? Comment ce texte de loi contribuera-t-il à faire avancer les choses sur l’un ou l’autre de ces fronts?

M. Hyder : Merci de votre question, monsieur le sénateur. À chacune des réunions de nos membres — qui sont les dirigeants de plus de la moitié des sociétés cotées à la Bourse de Toronto —, nous les sondons. Chaque fois que nous leur demandons l’enjeu le plus important sur lequel nous pouvons travailler pour eux, ils répondent invariablement « la réglementation ». La réglementation les freine.

Comme vous parlez de concurrence, je dirai que, au Japon ou en Corée, l’utilisation du spectre est gratuite, mais ici, nos entreprises de télécommunications doivent payer pour y avoir accès. Ce coût est répercuté sur les clients, ce qui explique pourquoi les tarifs sont plus élevés.

Si vous demandez à une compagnie aérienne pourquoi aucune compagnie aérienne américaine à bas prix ne traverse la frontière en provenance de Seattle ou de Buffalo, on vous répondra que c’est parce qu’un billet à 1 $ se transforme en une facture de 175 $, en raison de la réglementation gouvernementale et des taxes prélevées.

Nous ne sommes pas compétitifs. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes. Nous avons du mal à parler aux Canadiens avec franchise du genre de pays que nous pouvons nous permettre aujourd’hui. Voilà pourquoi nous prônons la croissance économique. C’est grâce à la croissance — notamment à l’élimination des barrières commerciales interprovinciales, qui constitue le moyen le plus facile de favoriser la croissance — que nous serons en mesure d’accomplir ce que les Canadiens attendent de nous.

La prémisse de la question de la productivité est contestée par bon nombre de mes membres parce que, avec tout le respect que je vous dois, elle inclut le secteur public. Nous estimons que si vous séparez la productivité du secteur privé de celle du secteur public, vous constaterez que cela fait partie de l’ADN du secteur privé d’investir dans la recherche et le développement, d’innover et de croître, car les entreprises de ce secteur se livrent à une concurrence féroce pour devancer leurs concurrents qui tentent de les battre ou de les acculer à la faillite.

En revanche, si vous regroupez les deux secteurs, notre productivité diminue. La plupart des chefs d’entreprise vous diront qu’ils réfléchissent constamment à l’innovation, aux gains de productivité et aux gains d’efficience afin de pouvoir rivaliser contre la communauté mondiale dans laquelle nous nous trouvons.

Le projet de loi n’aboutira peut-être pas directement à cela, mais l’esprit du projet de loi, l’intention de collaborer de manière équitable et le message que nous envoyons, à savoir que nous travaillerons ensemble pour tenter de surmonter la confédération que nous formons et faire avancer les choses, auront une incidence importante. Cette chose appelée Internet est accessible partout.

Tout le monde sait que nous avons dû nationaliser un oléoduc pour qu’il soit construit. Nous n’avons rien construit depuis très longtemps. J’ai souvent dit que si notre pays avait été fondé aujourd’hui, nous serions probablement une Union européenne, car nous n’aurions pas d’autoroute nationale ou de chemin de fer national. Il serait presque impossible d’en construire selon les règles et les réglementations que nous nous sommes imposées. Ce gain de productivité est possible si nous parvenons à arrêter de nous mettre des bâtons dans les roues et à construire des choses dans toutes les directions au Canada.

(1440)

Le sénateur Loffreda : Merci de votre réponse. C’est très encourageant.

Je suis particulièrement étonné de vous avoir entendu dire que votre réseau couvre 50 % du PIB du pays. C’est merveilleux. C’est un honneur de vous savoir ici aujourd’hui.

Pourriez-vous nous dire ce que vous avez pensé des consultations menées auprès de votre réseau et du secteur privé avant la présentation de ce projet de loi? Les gens sont-ils généralement favorables au modèle proposé dans le projet de loi C-5? Comment réagissent-ils? Voient-ils tout cela d’un bon œil? J’aimerais avoir votre avis, puisque vous représentez 50 % du PIB du pays.

M. Hyder : C’est une excellente question. Je dois rendre aux membres de notre association le mérite qui leur est dû, car ils pensent tous les jours à investir les capitaux des autres, c’est-à-dire les actionnaires. Pour des questions de responsabilité, leur préférence va aux démocraties, et bien sûr au Canada, mais les capitaux ne parlent pas cette langue-là. Ils vont là où ils peuvent fructifier, alors quand les gens regardent le projet de loi C-5, ils y voient une orientation, de bonnes intentions et de la bonne foi. J’étais à Saskatoon avec le premier ministre et les premiers ministres des provinces, et le sentiment d’unité qui se dégageait était palpable.

Cela dit, avec tout le respect qui est dû aux élus, on ne peut pas encadrer la circulation des capitaux avec des lois. Tout le reste, oui, mais on ne peut pas obliger une personne à investir dans tel ou tel pays. Votre tâche à vous, les législateurs, consiste à créer les conditions nécessaires pour que cela devienne possible.

Par conséquent, en ce qui concerne le projet de loi C-5, nous sommes tout à fait conscients qu’il y a d’autres éléments. Le mot « irritants » n’est probablement pas le bon, car il s’agit de questions importantes. On parle de construire des infrastructures pour acheminer l’énergie, en particulier, vers des marchés comme le Japon et la Corée, qui exploitent des centrales au charbon, afin de leur fournir du gaz naturel liquéfié comme combustible de transition pour réduire les émissions, mais on impose également une interdiction des pétroliers, le projet de loi C-69, un plafond des émissions et un règlement sur les combustibles propres. Cette montagne de règles dissuade les conseils d’administration de prendre la décision finale d’investir ici. Ceux-ci réalisent qu’ils peuvent prendre l’argent et faire beaucoup plus avec en allant ailleurs, où ils n’ont pas à composer avec une montagne de règles. Là-bas, ils sont bien accueillis, et les capitaux vont là où les conditions sont favorables. Nous devons nous pencher là-dessus.

La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Strickland, des Syndicats des métiers de la construction du Canada.

Dans votre introduction, vous avez parlé de l’harmonisation des normes de santé et de sécurité afin de protéger les travailleurs. La Société canadienne du cancer est d’accord. Voici, par exemple, ce qu’un de ses représentants a déclaré :

Il existe une mesure fédérale qui interdit l’utilisation de l’amiante dans les produits, mais les provinces en autorisent une certaine quantité dans les produits. Cela signifie donc que malgré l’interdiction de l’amiante dans les produits depuis plusieurs années, l’amiante pourrait faire son retour dans les produits. Ce n’est pas une bonne chose.

Le ministre LeBlanc était ici hier, et il a parlé de l’harmonisation des différentes normes provinciales afin d’éviter les doubles emplois et de ne pas se contenter du plus petit dénominateur commun. Alors que le gouvernement se penche sur son travail futur, quels sont les pièges à éviter et quelles sont les pratiques exemplaires pour harmoniser les normes et ainsi protéger au maximum la santé et la sécurité des travailleurs?

M. Strickland : Merci beaucoup.

Vous tapez dans le mille avec votre question. Au niveau national, le programme Sceau rouge fonctionne raisonnablement bien, mais il y a certaines différences quant au nombre d’heures requises pour obtenir un certificat de compétence dans tel ou tel métier. Les exigences varient d’un endroit à l’autre. Alors si on veut harmoniser les règles, il faut que tout le monde se conforme à la norme la plus élevée. Il faut que la partie scolaire du parcours respecte les normes les plus strictes qui soient. Nous voulons former les meilleurs gens de métier possible au Canada. Voilà le genre de chose qu’il doit y avoir dans le programme Sceau rouge.

Au programme Sceau rouge est aussi associé le Conseil canadien des directeurs de l’apprentissage, qui est composé des directeurs de l’apprentissage des différentes provinces. Ce ne sont pas tous les métiers qui sont reconnus comme des métiers Sceau rouge, et cela varie selon la province. Par conséquent, les gens de métier ont parfois du mal à aller travailler dans une autre province, car leur métier n’y est pas nécessairement considéré comme un métier Sceau rouge. Il arrive aussi que ce programme favorise leur mobilité, mais c’est parce que la norme n’est pas aussi élevée ailleurs. Autrement dit, nous sommes très loin d’avoir la même qualité entre métiers.

Il y a certaines choses qui pourraient changer cet aspect du processus menant à l’obtention d’un certificat de compétence et le caractère obligatoire de certains métiers.

J’ai également mentionné dans ma déclaration liminaire — et je vous remercie de l’avoir relevé, madame la sénatrice — qu’un grand frein à notre productivité dans les projets de construction vient de la non-reconnaissance d’une administration à l’autre de nos certificats de sécurité. Par exemple, si vous détenez un diplôme de travail en hauteur — qui est obligatoire en Ontario avant de pouvoir être affecté à un projet de construction — et que vous êtes envoyé sur un grand chantier en Alberta, vous devez obtenir un autre certificat de travail en hauteur. Si vous suivez une formation sur les espaces confinés et que vous vous rendez dans une autre province qui ne la reconnaît pas, vous devez en suivre une nouvelle.

Souvent, des travailleurs ayant des niveaux d’attestation en sécurité très similaires sont affectés à des projets d’envergure dans les champs pétrolifères ou à de grands projets d’infrastructure comme le site C. Ils passent alors une semaine ou dix jours supplémentaires en classe pour obtenir des attestations qu’ils ont déjà obtenues dans leur province d’origine.

La sénatrice Robinson : Nous sommes ici aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne, dont la première partie vise à éliminer les obstacles au commerce interprovincial.

Plus tôt cette semaine, notre comité a entendu le témoignage de la ministre Freeland. Elle a dit vouloir supprimer certains des obstacles auxquels sont confrontés les camionneurs au pays. L’un des obstacles au commerce interprovincial auxquels doivent faire face les agriculteurs et les éleveurs est le manque d’uniformité dans les limites de poids des camions. Le fait que l’incidence de ces restrictions est plus prononcée sur les routes rurales met en évidence leur incidence sur l’agriculture canadienne. Des camions remplis de fruits, de légumes et d’autres produits agricoles se heurtent à un ensemble disparate de restrictions de poids lorsque les denrées alimentaires sont acheminées vers les marchés. Ce manque d’efficacité entraîne inévitablement des hausses de prix des aliments pour les consommateurs canadiens.

Votre association a souligné les problèmes liés aux restrictions de poids dans le rapport de 2023 que vous avez mentionné au début de votre intervention. Travaillez-vous avec les gouvernements pour uniformiser ces restrictions dans l’ensemble du pays?

M. Wood : Je vous remercie de la question.

La réponse courte est oui. Il y a toute une série d’options que nous envisageons avec le Conseil des ministres responsables des transports et de la sécurité routière pour évaluer ce qu’il en coûterait pour uniformiser les règles du jeu en ce qui concerne les poids et les dimensions. Il examine le coût pour les infrastructures et le compare aux gains de productivité et aux avantages que vous avez mentionnés concernant le transport des produits agricoles.

Nous réfléchissons à la situation, nous avons eu quelques discussions préliminaires et nous examinons les premiers chiffres pour déterminer comme nous allons procéder.

La sénatrice Pupatello : Merci, messieurs, de votre présence parmi nous aujourd’hui. J’aime la tournure positive que vous donnez à vos commentaires sur le projet de loi.

Ma question s’adresse à M. Strickland, des Syndicats des métiers de la construction du Canada. Vous avez parlé des certifications en santé et sécurité. Il me semble que le travail en hauteur nécessite le même niveau de sécurité, que ce soit à Terre-Neuve ou en Ontario. Je ne vois donc pas la difficulté d’aplanir les différences entre les certifications, qui sont presque identiques dans chaque province. Je voudrais savoir si vous recommanderiez d’ajouter à cet effet un élément de réglementation — un règlement qui prévoirait la meilleure formation sur le travail en hauteur, les matériaux dangereux ou les éclairs d’arc électrique.

Je me demande comment vous pensez gérer la pénurie de travailleurs spécialisés dont nous aurons besoin, parce que lorsque les annonces débuteront — pourvu que les projets et leur emplacement puissent être annoncés —, les projets pourraient se retrouver dans plus d’une province. Il faudra une certaine mobilité de la main-d’œuvre, mais les effectifs sont insuffisants. Étant donné l’excellent travail que vous avez fait en attirant plus de femmes dans les métiers de la construction, que pouvez-vous faire pour améliorer les choses relativement rapidement et attirer davantage de femmes — et plus de membres de groupes racisés qui ne se dirigent pas naturellement vers ces métiers — afin d’atteindre le nombre voulu?

M. Strickland : Merci de votre question, sénatrice.

En réponse à la deuxième partie de la question, j’ai dit dans mon discours liminaire que, si des fonds fédéraux sont prévus pour ces projets, il devrait y avoir conditionnalité de la main-d’œuvre, qui devrait gagner le salaire courant. Il faut donc payer des salaires de syndiqués, ce qui veut dire que le travail serait réservé aux syndicats, avec ce que cela suppose de salaires plus élevés, de prestations intégrales de santé et de bien-être, de financement pour la formation industrielle et ainsi de suite. Il faut aussi un nombre minimum obligatoire d’apprentis.

Je traite souvent avec des propriétaires et de grands acheteurs en construction, et nous leur disons qu’ils ont besoin d’un minimum obligatoire d’apprentis de 10 %. Nous avons signé un protocole d’entente avec la First Nations Power Authority dans lequel nous avons convenu que, de ces 10 %, 50 % seraient des Autochtones. Nous en faisons autant pour les femmes, les Noirs, les Autochtones, les gens de couleur, les minorités visibles. Dans ce minimum obligatoire de 10 %, la moitié vient de minorités visibles pour attirer plus de femmes et de populations diversifiées dans les métiers.

(1450)

Pour contribuer à l’atteinte de cet objectif, nous pouvons miser sur les politiques gouvernementales et les marchés publics dont je viens tout juste de parler. Il y a aussi le Service canadien d’apprentissage, qui avait été établi avec beaucoup de succès. Nous en avons de nouveau besoin pour avoir un nombre suffisant d’apprentis et de compagnons. Il y avait une mesure incitative pour encourager les entrepreneurs à embaucher des apprentis : 5 000 $ pour un apprenti de première année; 10 000 $ pour l’embauche d’un apprenti appartenant à une minorité visible. Nous pouvons travailler de nombreuses façons différentes pour attirer plus de membres de minorités visibles dans les métiers.

Cependant, la principale chose dont nous avons besoin — je veux juste mettre en contexte la pénurie de gens de métier. Ce n’est pas dans tous les corps de métier et dans toutes les régions en tout temps qu’il manque de main-d’œuvre au Canada. C’est épisodique. À l’heure actuelle, nous avons un taux de chômage élevé à Toronto parce que le secteur des immeubles multirésidentiels et des gratte-ciel s’effondre. Nous avons également un taux de chômage élevé à Terre-Neuve-et-Labrador. Même chose en Colombie-Britannique compte tenu de l’achèvement du projet du Site C et d’un ralentissement dans le secteur du gaz naturel liquéfié. Nous avons aussi des frictions à Toronto et à Windsor à cause de mises à pied dans les secteurs de l’acier, de l’aluminium et de l’automobile — nos membres font tout l’entretien dans ces usines.

Nous devons donc examiner très attentivement notre main-d’œuvre, et c’est la raison pour laquelle je préconise que des données complexes sur le marché du travail soient jointes au processus d’approbation de ces projets. Les promoteurs doivent dire de combien de gens de métiers ils ont besoin et indiquer le moment et l’endroit. Nous pourrons alors gérer la situation. Nous pouvons faire venir les apprentis. Nous pouvons diversifier la main-d’œuvre. Nous pouvons accroître le nombre de femmes dans les métiers. Nous avons toutefois besoin de cette information dès le départ, sénatrice.

[Français]

La sénatrice Gerba : Puisque j’ai déjà obtenu une réponse à une partie de ma question, je vais la reformuler pour M. Strickland.

Le projet de loi C-5 vise à faciliter la mobilité de la main-d’œuvre et à harmoniser le commerce interprovincial. Il représente donc une occasion réelle pour les entreprises, en particulier les grandes entreprises.

J’aimerais savoir ce que vous recommandez ou ce que vous croyez faisable sur le plan de l’approvisionnement et des marchés publics. Y a-t-il des mesures ou des pratiques à mettre en place pour faire en sorte que le projet de loi C-5 puisse établir des normes grâce auxquelles les entreprises issues de la diversité ou celles qui appartiennent à des femmes et à des personnes immigrantes pourraient avoir accès aux marchés publics, soit du gouvernement ou des grandes entreprises?

[Traduction]

M. Strickland : Oui, bien sûr. Le gouvernement a instauré dans les crédits d’impôt à l’investissement dans l’économie propre une mesure incitative pour l’hydrogène, les petits réacteurs modulaires et la séquestration du carbone. Pour avoir droit au crédit d’impôt maximal de 30 % prévu par cette mesure législative qui a été adoptée par le Sénat, il fallait respecter les normes du travail, notamment quant aux salaires courants dans ce secteur — soit celui des travailleurs de la construction — et aux exigences minimales obligatoires à l’égard des apprentis.

Je pense qu’il faut aussi mettre en place des exigences relatives aux normes du travail et aux apprentis aux fins de la base de données sur les grands projets et du principe d’une seule approbation par projet.

Il faut en outre considérer la nature de ces projets qui pourront être réalisés dans différentes régions du pays. Il y a deux ans, le Sénat a aussi entériné la Déduction pour la mobilité de la main-d’œuvre, une disposition que notre groupe réclame depuis 30 ans. Cette déduction offre aux gens de métier un incitatif pouvant atteindre 4 000 $ afin qu’ils acceptent de se déplacer d’un endroit à un autre pour travailler, non pas de façon permanente, mais sur une base semi-permanente. Nos membres sont souvent envoyés un peu partout au pays pendant trois semaines, pour avoir droit ensuite à deux semaines de congé. Si le remboursement des frais liés à ces déplacements n’est pas prévu dans leur contrat, ils doivent les assumer eux-mêmes. C’est un obstacle à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.

Une déduction de 4 000 $ est maintenant offerte si le travailleur doit se déplacer sur une distance de plus de 150 kilomètres. Nous proposons de faire passer ce montant à 10 000 $ et de diminuer le rayon de déplacement à 120 kilomètres. On favorisera ainsi une plus grande mobilité de la main-d’œuvre partout au pays lorsque les frais ne sont pas couverts par le contrat.

J’estime donc qu’un large éventail de mesures pourraient être prises pour faciliter la mobilité de la main-d’œuvre d’un bout à l’autre du pays.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse au Conseil canadien des affaires. Si je comprends bien, le conseil est composé de dirigeants et d’entrepreneurs de plus de 170 entreprises canadiennes de premier plan, et ce, dans tous les secteurs et toutes les régions du pays. Je suppose que bon nombre de ces membres se préparent à soumissionner pour obtenir des contrats du gouvernement qui découleront de l’adoption du projet de loi C-5. Par ailleurs, je suppose que plusieurs de ces contrats seront assujettis aux programmes de marchés réservés du gouvernement.

Êtes-vous en train de préparer ou de conseiller les membres du conseil sur la manière de présenter un plan de participation des peuples autochtones dans le cadre des programmes de marchés réservés du gouvernement?

M. Hyder : Merci de votre question, sénateur. Chaque entreprise va œuvrer de son côté, projet par projet. Elles se font concurrence entre elles, même si je les représente toutes.

Je crois qu’il ne manque pas de données pour montrer que les projets qui ont été couronnés de succès l’ont été parce que les Autochtones qui y ont participé en étaient actionnaires.

Je vous rappelle, sénateur, que c’est en partie pour cette raison que le Conseil canadien des affaires a milité pour la création du programme de garantie de prêts pour les Autochtones, afin que les communautés autochtones, surtout celles qui n’ont pas vraiment d’expérience dans les affaires, puissent être actionnaires et partenaires de projets et pour les aider à atténuer les risques connexes parce que, quand on n’a pas d’expérience, on ne sait pas trop dans quoi on s’embarque.

L’idéal, c’est de ne jamais avoir à utiliser la garantie de prêt. Il s’agit davantage d’un filet de sécurité en cas de pépin. Je salue d’ailleurs le gouvernement actuel de l’avoir doublée quelques semaines à peine après l’entrée en fonction du premier ministre, si je ne m’abuse. La garantie a été doublée, ce dont nous nous réjouissons, parce que cette mesure ouvrira de nouveaux débouchés aux communautés autochtones, qui pourront mieux participer aux projets et en devenir actionnaires. Cela facilitera la mise sur pied de programmes, ce qui, à nos yeux, constitue l’un des moyens les plus rapides d’unir nos efforts et de recommencer à bâtir des immeubles et des infrastructures au pays.

[Français]

La sénatrice Henkel : Ma question s’adresse aux représentants du Conseil canadien des affaires. Les PME ont été durement touchées par la pandémie et elles continuent d’évoluer dans un climat économique incertain. Ces PME se heurtent souvent à des biais et à des perceptions qui amputent leur capacité à accéder à du financement, entre autres. Ajoutons à cela le fait que ces PME ne disposent pas des ressources humaines et financières pour participer aux appels d’offres publics.

Dans ce contexte, comment votre conseil envisage-t-il de soutenir la participation concrète des PME aux projets d’intérêt général qui découleront de la mise en œuvre du projet de loi C-5?

[Traduction]

M. Hyder : Merci, sénatrice. Je le répète, je suis heureux de dire que depuis le début de la pandémie, notre organisation travaille en étroite collaboration avec la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la Chambre de commerce du Canada, la chambre de commerce autochtone et d’autres associations précisément pour cette raison. Le fait est que, comme nous l’a démontré la COVID, lorsque les grandes entreprises se portent bien, la chaîne d’approvisionnement se porte bien; si les grandes entreprises ne contribuent pas à l’économie, la chaîne d’approvisionnement en souffre. Voilà pourquoi nous avions besoin de programmes de soutien pendant la pandémie, car les grandes entreprises pouvaient facilement faire travailler leurs employés de chez eux, mais les restaurants, les nettoyeurs et les cafés ont dû fermer leurs portes. Sans ce lien entre les grandes et les petites entreprises, ce sont les petites entreprises qui finissent par souffrir.

Elles sont nos partenaires. Elles constituent notre chaîne d’approvisionnement. Elles nous aident de nombreuses façons. Donc, quand je dis que nous sommes dans le même bateau, c’est vraiment le cas. Lorsque les grandes entreprises vont bien, les petites entreprises vont bien aussi parce qu’elles profitent de la croissance. Si elles sont en difficulté, c’est franchement parce que, comme je l’ai déjà dit, notre économie est assez stagnante. Sans la croissance démographique, notre croissance serait pratiquement nulle, entre 0 et 1 %. C’est une croissance anémique. Ce genre de situation ne devrait arriver que par accident dans un pays comme le nôtre. Nous devrions viser un objectif de 3, 4 ou 5 %. C’est à notre portée, comme nous l’avons tous mentionné dans nos commentaires. Il nous suffit de nous laisser le champ libre et de continuer à collaborer avec les communautés autochtones, les petites entreprises, les entreprises appartenant à des femmes. Nous estimons que toute la société peut y parvenir en travaillant ensemble.

(1500)

[Français]

La sénatrice Henkel : Vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question.

Nous savons à quel point il est complexe et difficile pour les PME de compétitionner sur des appels d’offres, non seulement sur les marchés publics, mais aussi auprès de grandes entreprises. Que comptez-vous faire pour faciliter la survie de ces PME qui sont, encore une fois, celles qui paient le gros prix de tous les déboires économiques?

[Traduction]

M. Hyder : Mon intention était de répondre comme je l’ai fait : quand les grandes entreprises vont bien, la chaîne d’approvisionnement se porte bien elle aussi; or la chaîne d’approvisionnement, ce sont les petites entreprises qui la composent. C’est ma réponse.

Je dirais que c’est possible dans certains cas. À l’échelle locale, disons qu’il se forme un consortium, alors ce serait une bonne idée qu’il requière les services des petites entreprises et les intègre dans les soumissions qu’il envoie en réponse aux demandes de propositions — ou dès que l’occasion se présente.

On parle ici de projets qui valent plusieurs milliards de dollars, alors il faudra que ce soit des grandes entreprises qui en prennent les commandes. Quand les grandes entreprises vont bien, la collectivité va bien, et j’inclus les petites et moyennes entreprises là-dedans.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être là, messieurs.

Je m’intéresse aussi à la mobilité de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction, particulièrement au Québec par rapport aux autres provinces canadiennes.

Il est vrai qu’il y a beaucoup moins d’ouvriers du Canada anglais qui viennent travailler au Québec que l’inverse, même s’ils ont une certification Sceau rouge, car ces travailleurs ont aussi besoin de se conformer à une étape administrative supplémentaire, soit l’obtention d’un permis de travail à la Commission de la construction du Québec.

Dans un effort en vue de faire tomber les barrières entre les provinces et de faire avancer ces grands projets, que proposez-vous de concret?

[Traduction]

M. Strickland : Je suis heureux de pouvoir dire que la Commission de la construction de Québec a entrepris des discussions concernant la reconnaissance des titres de compétence des autres provinces, et ce, il y a quelques semaines à peine.

Je crois aussi comprendre que le premier ministre s’est dit disposé à discuter de cette reconnaissance pour d’autres professions, pas seulement pour les métiers de la construction. C’est précisément le genre de chose qui faciliterait la mobilité et permettrait aux travailleurs du Québec d’aller dans d’autres provinces, et vice versa.

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors si on exclut le Québec de l’équation, la question de la mobilité serait réglée, vous croyez? Parce que cela ne semble pas être le cas des travailleurs de la construction. Le problème semble plus gros. J’aimerais aussi avoir l’avis de vos collègues sur les deux côtés de l’équation.

M. Strickland : À l’extérieur du Québec, la mobilité n’est pas un aussi gros problème pour nous grâce au programme Sceau rouge.

La sénatrice Miville-Dechêne : Quel pourcentage des travailleurs de la construction ont la certification Sceau rouge? Dressez-moi un bref portrait de la situation.

M. Strickland : Je vais me renseigner et vous donner une réponse, sénatrice, mais il est supérieur à 50 %. Nos travailleurs sont mobilisés pour réaliser des projets d’infrastructure majeurs dans tout le pays. Par exemple, en Alberta, lorsque vient la saison des révisions — la période d’arrêt pendant laquelle on effectue tous les travaux d’entretien — près de la moitié des travailleurs, soit entre 5 000 et 8 000 personnes, vient de l’extérieur de la province. Tous ces travailleurs doivent détenir l’accréditation Sceau rouge pour pouvoir travailler sur ces projets.

Je pourrai vous fournir des données plus détaillées à ce sujet, mais pour travailler dans le secteur syndiqué de la construction et garantir votre sécurité financière au Canada, vous devez obtenir l’accréditation Sceau rouge.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Hyder, j’aimerais connaître votre point de vue sur la question de la mobilité de la main-d’œuvre.

M. Hyder : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice, et je suis tout à fait d’accord avec mon collègue. Il y a une différence entre la mobilité et la disponibilité, et je pense que ce que nous observons en ce moment relève un peu des deux.

Je représente au moins six des plus grands constructeurs de notre pays. Lorsque je m’entretiens avec les PDG de ces organisations, et en particulier lorsque nous abordons le sujet du logement, qui est une question importante et chère au cœur des Canadiens, ce que je les entends dire, c’est que nous manquons de plombiers, d’électriciens, d’applicateurs de panneaux muraux et de chefs de projet.

Il se peut que ce problème soit en partie une question de mobilité. Ces travailleurs sont peut-être au chômage dans une autre province, mais ils ne peuvent pas déménager à Toronto ou ailleurs où nous avons besoin d’eux.

Cependant, le problème pourrait également être une question de disponibilité, ce qui nous ramène à la question posée précédemment concernant l’immigration et la nécessité de veiller à attirer des gens ayant les compétences dont nous avons besoin à l’heure actuelle et dont nous aurons besoin à l’avenir, en nous basant sur les données sur la main-d’œuvre, comme cela a été souligné.

Nous devons faire la distinction entre la disponibilité et la mobilité. Certains problèmes sont liés à une combinaison de ces facteurs.

La sénatrice Miville-Dechêne : Voici une question de ma collègue Pat Duncan. Que faites-vous pour récupérer la main-d’œuvre qui a quitté notre pays, par exemple les monteurs de lignes sont très spécialisés aux États-Unis. On aurait besoin d’eux au Canada pour mener à bien ces grands projets. Essayez-vous de les faire revenir?

M. Hyder : C’est une très bonne question, car j’entends de plus en plus souvent les membres dire qu’il y a là une occasion bien réelle d’attirer des talents qualifiés en provenance des États-Unis. C’est bien sûr le cas dans les institutions. D’ailleurs, je viens d’apprendre que les Émirats arabes unis ont mis la main sur un laboratoire complet. Les gens à l’université avaient peur. Beaucoup d’entre eux étaient des immigrants et ils ne savaient pas s’ils allaient être en mesure de faire leur travail. Alors, ils ont tout simplement déménagé, sachant que leurs compétences étaient prisées.

Si vous manquez de main-d’œuvre qualifiée et que vous savez où la trouver, vous allez vous battre pour l’avoir. De façon plus générale, le problème pour nous, c’est que nous parlons de mobilité de la main-d’œuvre au sein du Canada. Notre rêve serait de parler de la mobilité de la main-d’œuvre à l’échelle de l’Amérique du Nord. Nous aimerions voir un programme d’employeurs de confiance qui reconnaîtrait le fait que j’emploie des salariés au Canada, aux États-Unis et au Mexique, et que, le plus souvent, ces salariés sont, pour des raisons démographiques, dans ces autres pays. Or, je ne peux pas déplacer mes employés au sein de ma propre entreprise.

La sénatrice Petten : Je remercie les témoins d’être là aujourd’hui. J’aimerais adresser ma question à M. Strickland. Hydro Terre-Neuve-et-Labrador a récemment signé une nouvelle entente-cadre avec Hydro-Québec pour la vente de l’électricité produite à la centrale de Churchill Falls.

Cette entente prévoit également la réalisation conjointe de deux autres projets énergétiques sur le fleuve Churchill. Pendant toute sa durée, l’entente générera des revenus totaux de plus de 225 milliards de dollars pour ma province.

Elle permettra également de créer des milliers d’emplois, soit en moyenne 3 000 emplois durant la construction et un nombre record de 5 000 emplois directs. En raison des droits de douane imposés par les États-Unis, Churchill Falls a pris encore plus d’importance sur le plan de la sécurité énergétique et de la souveraineté du Canada.

Comment des projets comme celui de Churchill Falls, qui est un exemple de collaboration interprovinciale, pourraient-ils bénéficier de la mobilité de la main-d’œuvre qui est prévue par le projet de loi C-5?

M. Strickland : Ce projet, mieux connu sous le nom de Gull Island, nous enthousiasme. Nous avons eu des réunions préliminaires avec nos collègues des métiers du bâtiment de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec ainsi qu’avec les représentants d’Hydro-Québec. C’est un projet très ambitieux. Les travaux devraient commencer en 2027.

Selon nous, en ce qui concerne la mobilité de la main-d’œuvre, si nous avions droit à des mesures incitatives plus importantes comme celles dont j’ai parlé relativement à l’augmentation de la déduction fiscale pour la mobilité de la main-d’œuvre — quelque chose de distinct de cette mesure législative —, cela contribuerait à attirer la main-d’œuvre pour ce projet.

En ce qui a trait aux désignations professionnelles, je pense qu’il faudrait examiner la possibilité de faire reconnaître au Québec certaines désignations d’ingénieurs d’autres provinces.

Pour les métiers spécialisés, ce ne serait pas vraiment un problème, pourvu que nous ayons les bons types de contrats et de conditions de travail qui attireront la main-d’œuvre vers ce site et ce projet à un moment où, espérons-le, d’autres grands projets d’infrastructure seront en cours au Canada.

C’est là que réside le problème, et ce sera tout un défi à relever. C’est pourquoi je reviens toujours à ces données sophistiquées sur le marché du travail. Churchill Falls et Gull Island illustrent parfaitement pourquoi il faut informer le secteur des métiers du bâtiment du nombre de travailleurs qu’il faudra, et dire à quel moment et à quel endroit on aura besoin d’eux et à quels corps de métier ils devront appartenir. Une fois que nous aurons obtenu ces informations au sujet de ce projet et d’autres projets, nous pourrons veiller à ce que les certifications soient obtenues, à ce que les formations nécessaires soient dispensées, et à ce que tous les travailleurs soient disponibles au moment voulu pour participer à la réalisation d’un projet.

Le sénateur Yussuff : Messieurs, je tiens d’abord à vous remercier de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Monsieur Hyder, permettez-moi de commencer par vous. Le projet de loi dont il est question s’inscrit dans un certain contexte, la menace extérieure qui pèse sur notre pays n’ayant jamais été aussi évidente. Si quelqu’un n’a pas encore saisi l’importance de cette menace, c’est qu’il n’est manifestement pas attentif.

Nous demandons aux premiers ministres des provinces, dans deux volets de ce projet de loi, de faire quelque chose qu’ils ont hésité à faire pendant des décennies, voire 100 ans ou plus. Cela dit, il semble que les décideurs commencent à réaliser que nous devons agir plus rapidement.

(1510)

Parallèlement, le premier ministre affirme, à l’instar des premiers ministres provinciaux, qu’il faut construire les infrastructures nécessaires pour tirer parti de ce moment historique.

Dans un contexte plus large, comment, selon vous, le Canada doit-il relever les défis auxquels il est confronté? Je n’ai jamais vu une telle situation de mon vivant. Plus important encore, comment le projet de loi peut-il réellement contribuer à compenser ce que les Canadiens redoutent, à savoir la hausse du taux de chômage? Les possibilités de maintenir le niveau de vie dont jouissent les Canadiens s’amenuiseront si nous n’exprimons pas collectivement la volonté de réaliser ces projets rapidement.

M. Hyder : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je crois que vous avez bien exprimé ce que vivent actuellement les Canadiens. Nous n’avions jamais vécu ce que nous vivons depuis une centaine de jours. À bien des égards, nous pouvons remercier le président Trump d’avoir réveillé le Canada et d’en avoir uni toutes les parties, l’Est et l’Ouest, les francophones et les anglophones, les régions urbaines et les régions rurales. Nous avons tous soutenu les Oilers d’Edmonton jusqu’à leur élimination, hier. Je pense que ce moment galvanise les Canadiens, qui y voient une belle occasion. Il ne s’agit pas d’une menace, mais d’une occasion de prendre les rênes de notre destinée, de mettre à profit l’ensemble de nos ressources, aux quatre coins du Canada. Si nous ne les exploitons pas pleinement, il n’y aura personne d’autre à blâmer que nous-mêmes.

Le corollaire de tout cela, c’est la croissance. Ce qui rend anxieux les Canadiens, par rapport au coût de la vie et à certains défis que nous devons relever en ce qui concerne, par exemple, les infrastructures sociales et le système de santé, c’est de devoir subir les conséquences de la stagnation économique. Nous voilà donc devant une occasion en or, celle de prendre en main notre avenir, de faire croître notre économie et de stabiliser nos rapports avec les États-Unis, car peu importe les sentiments qui nous animent, le contexte géographique ne changera pas. Nous devons stabiliser ces rapports.

Je pense que les Canadiens sont sincèrement d’avis qu’il est temps de diversifier nos marchés. Nous devons rejoindre plus de clients et de marchés afin d’obtenir le plein prix pour nos ressources. Le jour où le projet TMX a été achevé, le prix du baril a augmenté de 6 $ au Canada. Une partie de cet argent a été récupérée sous forme d’impôts afin de financer les soins de santé et de meilleures infrastructures, notamment des infrastructures sociales.

Le lien entre la macroéconomie et la microéconomie fait maintenant partie du discours public, ce qui est tout à l’honneur du premier ministre. Nous n’avions pas entendu ce type de discours depuis longtemps. Le lien entre une stratégie de croissance économique et le fondement social de notre pays fait ouvertement l’objet de discussions. Je crois vraiment que les Canadiens s’attendent à ce que leurs élus profitent de ce moment — pas tant pour eux que pour leurs enfants et leurs petits-enfants et ce qu’ils leur laisseront.

Le sénateur Yussuff : Vous parlez beaucoup du programme du Sceau rouge et de vos membres. Les Canadiens sont mal informés sur le fait que vos membres reçoivent une formation incroyable à même votre réseau. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet afin que les sénateurs soient au courant des ressources considérables que le réseau des métiers de la construction consacre à la formation des travailleurs pour les aider à être pleinement qualifiés dans leur domaine?

Au fait, nous sommes dans un bâtiment que votre secteur a aidé à reconstruire et à rénover afin que le Sénat puisse avoir un lieu où siéger.

En terminant, ce projet de loi soulève une question importante : comment attirer les gens qui ne font pas traditionnellement carrière dans les métiers de la construction afin de les encourager à s’intéresser à ces types d’emplois et de leur offrir de meilleures perspectives d’avenir? Notre pays peine à convaincre un plus grand nombre de gens que ce secteur d’emploi peut leur offrir une carrière prometteuse.

M. Strickland : Je vous remercie, sénateur. Pour commencer, la formation fait partie de notre ADN. Les syndicats sont présents dans l’industrie nord-américaine de la construction depuis plus de 150 ans. Nous sommes les descendants des gens de métier d’Europe et des guildes qui ont bâti certains des plus beaux édifices et des plus belles cathédrales du monde. Les aqueducs de Rome, ils ont été bâtis par des gens de métier qualifiés. C’est donc dans notre ADN de former les gens.

Le Canada compte plus de 200 centres de formation syndicale, qui sont administrés par un fonds de fiducie pour la formation et l’apprentissage qui réunit les entrepreneurs, les employeurs et les syndicats. Nous sommes donc bien placés pour comprendre les besoins en formation de notre secteur d’activité. S’il y a une percée technologique, s’il existe une technique de construction novatrice ou si de nouveaux systèmes d’évaluation des bâtiments verts sont adoptés et que nos entrepreneurs remportent des appels d’offres, ils viennent nous voir et nous, nous nous chargeons de former les travailleurs en conséquence.

Notre secteur d’activité investit plus de 500 millions de dollars de son propre argent dans ces centres de formation, principalement dans le cadre des conventions collectives. C’est ce que nous faisons.

Le président : Merci. Je regrette de devoir vous interrompre, mais le temps file.

Le sénateur Smith : Monsieur Wood, les camionneurs jouent un rôle de premier plan dans les chaînes d’approvisionnement du Canada et ils doivent composer avec les répercussions concrètes d’une réglementation fragmentée, l’engorgement des infrastructures et des décisions stratégiques qui ne tiennent pas compte de leur réalité. Pouvez-vous nous faire part de ce que les camionneurs vous disent? Quelles sont leurs trois principales préoccupations en ce qui concerne les divergences réglementaires, les infrastructures inadéquates ou les répercussions possibles du projet de loi C-5 sur leurs itinéraires et leur gagne-pain?

M. Wood : De notre point de vue, la préoccupation prioritaire, c’est l’intensification de l’économie souterraine étant donné qu’un certain nombre de lois en vigueur ne sont pas appliquées, en particulier par l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, et Emploi et Développement social Canada, EDSC. C’est notre principal problème.

Le sénateur Smith : Mis à part l’adoption de règlements et de politiques, y a-t-il quelque chose que l’on puisse faire pour protéger les chauffeurs?

M. Wood : Oui : il faut rétablir la délivrance de relevés T4A aux entrepreneurs et instaurer un moratoire de 10 ou 15 ans sur les vérifications. Il faut le faire immédiatement. En ce qui concerne les infrastructures, la construction des deux chaussées de l’autoroute 185 au Québec multipliera les possibilités pour les configurations de camion les plus efficaces, car le port d’Halifax sera relié sans entrave à Windsor, pour le plus grand bien de nos chaînes d’approvisionnement.

Pour ce qui est des autres éléments d’infrastructure, nous allons publier un rapport à ce sujet. J’en ai vu la version définitive, qui sera publiée cette semaine. Nous ferons parvenir ce rapport au Sénat. Il relève les besoins en infrastructures dans l’ensemble des provinces et des territoires.

Cela dit, de manière générale, nous constatons un sous-investissement dans le réseau routier national. Nous aimerions que tous les pouvoirs publics, y compris le gouvernement fédéral, fassent ce qu’il faut pour y remédier. Il s’agit de faciliter le commerce interprovincial tout en fournissant des voies de circulation et des aires de repos où les camionneurs seront en sécurité.

Le sénateur Smith : Pouvez-vous préciser quels seraient les tronçons du réseau national sur lesquels, selon vous, il faudrait d’abord se concentrer?

M. Wood : Oui, c’est précisé. Le rapport sur les infrastructures contient des recommandations propres aux provinces et aux territoires.

Le sénateur Smith : Avez-vous des exemples à nous donner?

M. Wood : Je peux donner les exemples de la route 11/17, dans le Nord de l’Ontario, et de l’autoroute 185, qui complétera le trajet de Sudbury jusqu’à l’autre bout du Québec.

Le sénateur Smith : Pouvez-vous nous donner une idée de leur emplacement afin que nous puissions bien comprendre à quoi renvoient ces numéros?

M. Wood : À l’heure actuelle, la route 11/17, dans le Nord de l’Ontario, respecte les normes de construction de 1955.

Le sénateur Smith : Wow. Où la route se rend-elle et où commence-t-elle, pour qu’on puisse comprendre? J’ai besoin de votre aide. Vous avez piqué ma curiosité.

M. Wood : La route 11/17 relie North Bay ou Sudbury et la frontière du Manitoba. Elle s’étend sur environ 1 800 milles. Nous utilisons le système métrique ici, alors c’est beaucoup plus en kilomètres. Je l’ai déjà dit, mais il s’agit d’un corridor commercial majeur entre l’Est et l’Ouest. Je tiens à féliciter tous les premiers ministres provinciaux et tous les ministres fédéraux de reconnaître l’importance du camionnage et de nous faire participer aux projets pilotes.

Il y a beaucoup de travail à faire, mais nous avons de nombreuses solutions à proposer qui nous apparaissent nécessaires ou qui pourraient être appliquées sur-le-champ. Nous sommes ici pour aider ce groupe, la Chambre et tous les gouvernements du pays à faire ce qu’il faut.

Le sénateur Smith : Avez-vous déjà l’impression qu’on vous écoute?

M. Wood : À certains égards, oui, monsieur le sénateur, mais pas à tous. Il y a l’absence de contrôle de la conformité, surtout à l’Agence du revenu du Canada ainsi qu’à Emploi et Développement social Canada. C’est un problème depuis 10 ans.

Le sénateur Smith : Merci, monsieur.

Le président : Honorables sénateurs, le comité entend les témoins depuis maintenant 75 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse poursuivre avec le deuxième panel.

Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre les travaux pendant quelques minutes afin de nous préparer pour le deuxième panel. Nous allons reprendre à 15 h 25.

(La séance du comité est suspendue.)

(La séance du comité reprend.)

(1520)

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)

Le président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance en comité plénier afin de poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Le comité entendra maintenant Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, West Coast Environmental Law; Daniel-Robert Gooch, président-directeur général, Association des administrations portuaires canadiennes (AAPC); la Cheffe Shelly Moore-Frappier, Première Nation de Temagami.

Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos observations préliminaires.

Shelly Moore-Frappier, Cheffe, Première Nation de Temagami : Meegwetch.

Kwe kwe, sénateurs. Je tiens à saluer Linda Debassige, Cheffe du Grand Conseil, qui m’a cédé son temps de parole. Je suis la Cheffe de la Première Nation de Temagami, qui se trouve à Bear Island dans le lac Temagami et qui possède des droits inhérents sur un territoire de 10 000 kilomètres carrés dans la biorégion de Temagami. Ces droits découlent des 7 000 ans que nous avons passés comme peuple distinct dans notre territoire patrimonial. Nous sommes les seuls détenteurs de ces droits.

Notre responsabilité consiste à veiller sur les terres, les animaux, les eaux et tous les êtres qui se trouvent dans nos territoires traditionnels. C’est ainsi que nous avons maintenu notre identité nationale et nos impératifs territoriaux pendant des millénaires. Nous sommes toujours là. Nos droits et nos responsabilités sacrées sont intacts et nous n’avons aucune intention de partir.

Le Canada continue à parler de relations de nation à nation et de réconciliation. Le projet de loi fait l’opposé en conférant un pouvoir à l’endroit des Premières Nations, leurs ressources et leurs droits. Ce texte a été rédigé sans nous. Il mentionne vaguement les protections constitutionnelles et issues des traités. Son adoption aura pour effet d’inscrire encore plus profondément dans la loi l’unilatéralisme comme méthode systématique pour gouverner les Premières Nations.

Le projet de loi C-5 ne favorise pas la réconciliation; il la trahit.

L’obligation de consulter n’a jamais été suffisante. Elle a toujours mis sur les épaules des Premières Nations le fardeau de la preuve et de la défense de leurs droits, le plus souvent avec des ressources limitées et sans garantie. Le projet de loi C-5 propose même de faire main basse sur notre capacité de déclencher cette obligation. Ce n’est pas un progrès; c’est un recul vers la doctrine de la découverte, qui nie notre droit d’exister.

Ce qui est proposé ici, c’est un avenir où l’on peut mettre en branle des projets d’extraction à la suite de vagues consultations, sans transparence et sans respect. Sur notre territoire seulement, nous sommes confrontés à plus de 12 000 claims miniers, qui ont été faits sans notre consentement. Or, le projet de loi C-5 ouvre la voie à plus de choses de ce genre.

Pire encore, on brandit les menaces économiques et les droits de douane pour forcer notre assentiment. Lorsque nous affirmons nos droits et notre champ de compétence, on nous dépeint comme des obstacles à l’intérêt national du Canada. C’est un discours dangereux et malhonnête.

C’est de la coercition économique. Ce n’est pas ainsi que devraient se comporter des partenaires en vertu de traités. Le Canada a la responsabilité fiduciaire de nous protéger. Ce n’est pas ainsi que se comporte un pays juste. Ce n’est pas honorable.

Permettez-moi d’être claire : les Premières Nations veulent la prospérité. Nous voulons de l’énergie propre, des infrastructures robustes et sécuritaires, des communautés dynamiques. Nous voulons des débouchés pour nos enfants et nos petits-enfants pour être en tête de file au pays, pas seulement pour survivre.

Je rappelle au comité et au gouvernement que seules les Premières Nations peuvent créer la certitude que recherchent les investisseurs. Le succès à long terme — économique, environnemental ou social — est impossible sans notre participation en tant que partenaires souverains en bonne et due forme.

Nous ne cherchons pas à arrêter le progrès; nous voulons en faire partie. Le projet de loi C-5 contourne non seulement nos nations, mais aussi la Constitution que le Canada prétend défendre. L’article 35 de la Constitution exige que la Couronne reconnaisse et défende nos droits. Cependant, il n’a jamais garanti la protection de nos droits. Il n’a jamais garanti le consentement véritable, et avec ce projet de loi, l’interprétation de ces droits s’éloigne encore plus de l’intention de départ.

Les principes d’une relation de nation à nation ne sont pas respectés, et c’est inacceptable.

(1530)

Lorsque je lis ce projet de loi, je vois que le gouvernement s’intéresse plus à la vitesse économique qu’à la responsabilité morale. Ce n’est pas qu’une politique. C’est une vision du monde selon laquelle la Couronne a toujours l’avantage.

Le profit prime sur les principes. C’est une approche trumpiste qui consiste à passer les rouleaux compresseurs, à déréglementer et à détourner l’attention. Ce n’est pas seulement une politique qui est en jeu, mais notre relation avec la terre et notre droit d’exister en tant que peuples distincts qui possèdent leurs propres lois, leurs propres langues et leurs propres ordres juridiques.

Ce projet de loi menace non seulement notre souveraineté, mais aussi la relation sacrée que nous avons avec nos terres. Vous ne pouvez pas légiférer de cette façon. Nous n’accepterons pas l’unilatéralisme.

Lorsque nous disons qu’il faut nous rendre nos terres, nous ne parlons pas de propriété dans le sens colonial. Nous parlons d’un retour à nos responsabilités pour les gérer, les protéger et avoir la relation qui s’impose avec la création.

Je vous rappelle que nous sommes prêts à avancer ensemble. Si le Canada prend la réconciliation au sérieux, il doit alors commencer à agir comme un cosignataire des traités. L’honneur de la Couronne n’est pas uniquement cérémoniel; c’est le fondement moral de votre relation avec les premiers peuples. Cet honneur est en jeu.

Retirez ce projet de loi. Rétablissez la confiance. Revenez à la table et avançons finalement ensemble.

Meegwetch.

Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, West Coast Environmental Law : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Je comparais devant vous au nom de West Coast Environmental Law, mais mes commentaires ont également été sanctionnés par des organisations environnementales de partout au pays, notamment l’Association canadienne du droit de l’environnement, la Société pour la nature et les parcs du Canada, la Fondation David Suzuki, Ecojustice Canada, Environmental Defence, Équiterre, Greenpeace et la Fondation Sierra Club.

Nous sommes vivement préoccupés par le projet de loi C-5, en raison à la fois de sa teneur et de la précipitation avec laquelle il est étudié par le Parlement. Le Canada a bel et bien besoin d’importants investissements transformateurs dans des projets qui vont profiter aux Canadiens, mais il est aussi certes louable de vouloir s’assurer que les processus d’évaluation environnementale et de réglementation sont efficaces. Or, le projet de loi C-5 nous fait régresser, plutôt que progresser. On sort la hache pour régler un problème pour lequel un scalpel aurait été plus approprié. À franchement parler, c’est une attaque contre la science et la démocratie.

Vous avez entendu hier Josh Ginsberg et Martin Olszynski vous faire état des préoccupations relatives aux clauses Henri VIII, aux dispositions de présomption et au contournement systématique des normes en matière d’environnement, de santé et de sécurité. Nous faisons écho à ces préoccupations, mais, au lieu de les répéter aujourd’hui, je vais me concentrer sur deux autres aspects troublants du projet de loi.

Premièrement, en permettant au Cabinet de prendre des décisions sur les grands projets avant même la tenue d’études environnementales, le projet de loi va à l’encontre du principe de la prise de décisions éclairées. Depuis plus d’un demi-siècle, au Canada, lorsqu’il est question de grands projets, nous respectons le principe fondamental selon lequel il faut y regarder à deux fois avant de sauter. Le projet de loi C-5 fait fi de ce principe et laisse le Cabinet prendre d’abord des décisions, puis poser les questions ensuite.

Il laisse le Cabinet approuver les projets sans autre information que les renseignements de base que les promoteurs choisissent de lui donner. Ce modus operandi, qui consiste à agir avant de réfléchir, relègue aux oubliettes des dizaines d’années d’expérience et rejette carrément le principe de la prise de décisions éclairées. C’est comme si on bâtissait d’abord la maison et qu’on demandait après coup à l’ingénieur si elle est sûre.

Deuxièmement, le projet de loi empêche la population de prendre part aux décisions qui les touchent et permet au Cabinet de ne pas divulguer certains renseignements cruciaux sur les projets ou sur leurs effets. La population n’aura pas le droit d’être informée de certaines choses, comme les détails du projet, les résultats des études scientifiques, techniques et de sécurité, les conseils donnés par les ministres responsables et les raisons pour lesquelles le superministre a choisi de les suivre, le cas échéant.

Si l’on décidait d’accélérer le traitement d’un projet d’autoroute passant à quelques centaines de mètres de chez vous, le ministre n’aurait pas à vous donner d’autres renseignements que le nom et une brève description du projet. Vous n’auriez d’aucune façon votre mot à dire sur l’emplacement de l’autoroute ou sur la façon dont elle serait construite.

Si l’objectif est de réaliser des projets d’intérêt national, ne devrions-nous pas nous tourner vers la population, les peuples autochtones et la science pour nous aider à déterminer la nature des projets? Au lieu de cela, le projet de loi C-5 laisse ces décisions aux mains des politiciens, décisions qui pourraient être uniquement fondées sur le lobbying pour des intérêts privés.

La participation du public n’est pas un fardeau administratif; elle améliore les projets et aide à faire accepter des décisions.

Comme je l’ai mentionné dans mes observations liminaires, nous avons besoin d’importants investissements transformateurs dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, l’énergie éolienne et un réseau de distribution d’électricité est-ouest.

Cependant, l’incertitude économique ne peut être utilisée pour exclure le public des décisions qui le concernent ou pour bafouer les droits des peuples autochtones. La science ne peut être mise de côté pour faciliter les mises en chantier.

Il n’est pas dans l’intérêt national de contourner la séparation constitutionnelle des pouvoirs — comme vous l’avez entendu hier — ou les lois et les processus qui protègent les Canadiens et l’environnement dont nous dépendons.

Le projet de loi C-5 est mal conçu, car il a été rédigé à la hâte. Nous vous encourageons à collaborer avec la Chambre des communes afin de le reprendre du début et d’offrir aux Canadiens une loi qui fonctionne.

Nous appuyons les peuples autochtones qui réclament que le projet de loi respecte leurs droits et leurs pouvoirs. Nous aimerions aussi que soit supprimées les « clauses Henri VIII » qui permettent au Cabinet, et non au Parlement, de décider à qui les lois s’appliquent, et quand; que soit modifié le pouvoir de décision afin que les décisions et les conditions respectent ou surpassent les normes environnementales, sanitaires et sécuritaires; que le ministre rende toute l’information publique et favorise la pleine participation; que la période pendant laquelle le Cabinet peut désigner des projets soit ramenée de cinq à deux ans; et enfin, que l’article 24 soit amendé afin que le projet de loi fasse l’objet d’un examen indépendant du commissaire à l’environnement et au développement durable, et non d’une auto-évaluation du ministre.

Merci de votre temps. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Daniel-Robert Gooch, président-directeur général, Association des administrations portuaires canadiennes : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis le président-directeur général de l’Association des administrations portuaires canadiennes, qui représente les 17 administrations portuaires qui appartiennent à l’État fédéral, mais qui sont gérées de manière indépendante par des tiers. C’est un plaisir d’être ici et de voir autant de visages familiers.

[Français]

Les administrations portuaires du Canada jouent un rôle crucial dans la facilitation de notre commerce mondial. Alors que la plupart des marchandises destinées aux États-Unis sont transportées par train ou par camion, le commerce avec les marchés plus éloignés se fait par voie maritime. Plus de 80 % du commerce mondial se fait par voie maritime, et le Canada ne fait pas exception. Alors que les trois quarts des exportations canadiennes sont destinés aux États-Unis, la plupart des autres exportations se font par voie maritime.

[Traduction]

Les administrations portuaires canadiennes ont pour rôle de faciliter ce commerce en construisant et en entretenant les infrastructures qu’utilisent les partenaires privés dans les ports canadiens, ainsi qu’en gérant le trafic maritime intense à l’intérieur et autour de nos ports.

Alors que les exploitants privés investissent également dans les infrastructures portuaires, les autorités portuaires sont chargées de fournir des accès terrestres, routiers et fluviaux, des services publics et d’autres services de soutien, en plus d’investir dans leur propre infrastructure.

L’année dernière, nous avons interrogé les autorités portuaires membres de notre association sur leurs besoins en infrastructures d’ici 2040. Elles ont estimé ces besoins à au moins 10 milliards de dollars pour cette période, mais le financement de ces projets n’est confirmé qu’à hauteur d’environ 40 %.

Sur ce total, 5 milliards de dollars d’investissements sont prévus au cours des quatre prochaines années, et il ne s’agit là que des projets dont nous avons connaissance. Les besoins totaux jusqu’en 2040 pourraient atteindre 21 milliards de dollars. Ces investissements visent à améliorer l’efficacité, la fluidité et les systèmes numériques, à accroître la capacité, à remettre en état les infrastructures vieillissantes et à renforcer la résilience de l’ensemble du réseau.

Nous avons mené notre enquête avant que les États-Unis ne prennent les mesures commerciales actuelles et que le gouvernement fédéral ne décide de diversifier le commerce mondial. Les autorités portuaires canadiennes risquent certes de perdre des marchés sous l’administration Trump, mais elles pourront également saisir de nouvelles occasions.

Si le Canada transfère ne serait-ce que 6 % de ses échanges commerciaux des États-Unis vers des marchés étrangers, certains ports atteindront rapidement leur capacité maximale. Il est urgent d’agir, non seulement pour les entreprises canadiennes, mais aussi parce que la concurrence mondiale s’intensifie. Par exemple, les ports à conteneurs des États-Unis attirent 32 fois plus d’engagements d’investissement que ceux des côtes canadiennes de l’Atlantique et des rives du fleuve Saint-Laurent.

Les administrations portuaires canadiennes saluent les mesures prises par le gouvernement fédéral pour simplifier le processus d’approbation des projets d’intérêt national, que nous considérons comme l’un des nombreux éléments d’un programme de réforme plus vaste annoncé par le gouvernement fédéral.

Nous avons participé à une séance d’information technique la semaine dernière, et nous croyons comprendre que le gouvernement fédéral travaille en étroite collaboration avec les premiers ministres provinciaux et territoriaux afin de déterminer quels projets seront examinés dans le cadre du processus simplifié proposé par le projet de loi C-5. Comme nos membres gèrent, dans toutes les régions, des projets évalués à 5 milliards de dollars qui seront en cours jusqu’en 2028, certains de ces projets sont susceptibles d’être pris en considération.

Certains projets d’intérêt national qui sont déjà bien connus sont à un stade avancé de planification et ont été mentionnés par la ministre Freeland, notamment les projets portuaires de Vancouver, Montréal et Saint John. Ces projets, ainsi que beaucoup d’autres, font l’objet de discussions entre les administrations portuaires, les premiers ministres des provinces en question et le gouvernement fédéral.

En ce qui concerne les projets relevant du cadre du projet de loi C-5, nous reconnaissons que les ministères et organismes devront encore déployer des efforts considérables pour respecter les délais plus serrés. La création d’un bureau central pour les projets d’intérêt national, l’anticipation des décisions clés, l’établissement d’une liste centralisée de conditions et la fixation d’un délai d’approbation de deux ans sont des mesures prometteuses qui permettront d’améliorer la prévisibilité pour les grands investisseurs. Le projet de loi établit également une approche et un rythme ambitieux pour les entités fédérales et provinciales chargées des examens et de la délivrance des permis. Nous nous en réjouissons.

(1540)

Les administrations portuaires canadiennes, ou APC, souscrivent elles aussi à l’engagement du gouvernement fédéral en faveur de la protection de l’environnement et de la réconciliation avec les peuples autochtones. Nous pensons également que ces objectifs peuvent être atteints plus efficacement grâce à des réformes qui, sans tourner le dos à des normes rigoureuses en matière d’évaluation et de consultation, permettront des examens plus rapides. Si l’accent est actuellement mis sur les projets d’importance nationale, un processus plus efficace devrait en fin de compte profiter à tous les projets en éliminant les chevauchements, en augmentant la prévisibilité et en rationalisant les décisions.

Même avec des réformes ambitieuses et un renouvellement du financement fédéral des infrastructures — notamment le Fonds pour la diversification des corridors commerciaux de 5 milliards de dollars annoncé dans le récent discours du Trône —, la modernisation du modèle des administrations portuaires canadiennes reste essentielle. Les administrations portuaires canadiennes ont besoin d’une plus grande souplesse financière pour financer leur part des infrastructures. Cela comprend une réforme visant à permettre une plus grande collaboration, la modernisation des règles d’emprunt et la diversification des activités génératrices de revenus. Il s’agit aussi d’accroître la souplesse afin de permettre l’établissement de partenariats avec les secteurs public et privé, et de prendre d’autres mesures pour renforcer la capacité financière et la compétitivité. Les services frontaliers et policiers doivent également s’aligner sur le programme de réforme.

En conclusion, les administrations portuaires canadiennes estiment qu’avec le projet de loi C-5, le gouvernement du Canada affirme son engagement à l’égard d’objectifs audacieux en matière de diversification du commerce et à l’égard des changements stratégiques qu’il sera nécessaire de faire pour soutenir ces objectifs. Les administrations portuaires canadiennes sont prêtes à contribuer à la réalisation de ces objectifs. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Gooch. Nous allons maintenant passer à la période des questions. Comme de nombreux sénateurs souhaitent poser des questions, j’informe respectueusement les témoins que les sénateurs vous seraient reconnaissants de donner des réponses concises à leurs questions. Honorables sénateurs, je vous remercie d’indiquer à qui s’adressent vos questions.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse à la Cheffe Moore-Frappier.

Les droits et les responsabilités en matière d’environnement sont des éléments fondamentaux du droit autochtone, et leur reconnaissance constituerait une étape importante vers la réconciliation avec les peuples autochtones. Le droit à un environnement sain fait partie intégrante de notre identité collective. Il existe un urgent besoin d’améliorer le piètre rendement du Canada sur le plan environnemental et de préserver les paysages magnifiques, la richesse naturelle et la biodiversité de ce pays. Il est indispensable de protéger la santé des Canadiens contre les dangers environnementaux tels que la pollution atmosphérique, les aliments et l’eau contaminés et les substances chimiques toxiques.

Cheffe Moore-Frappier, nous savons que les Premières Nations sont préoccupées, à juste titre, par de nombreux aspects de ce projet de loi, qui accélérera les projets d’extraction et qui risque inévitablement d’écarter les préoccupations des Premières Nations.

Les clauses Henri VIII suscitent de vives inquiétudes. Ces clauses confèrent au gouvernement des pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de modifier des lois au moyen de règlements, contournant ainsi le rôle et la fonction du Parlement. Parmi les diverses lois qui peuvent être exemptées unilatéralement, il y a des lois essentielles comme la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la Loi sur l’évaluation d’impact et, surtout, la Loi sur les Indiens.

Compte tenu de l’honneur de la Couronne et de la responsabilité fiduciaire du gouvernement envers les Premières Nations, pensez-vous que ces responsabilités peuvent être conciliées avec l’approche adoptée dans ce projet de loi? Êtes-vous d’avis que les dispositions permettant l’exemption de certaines lois ouvrent une boîte de Pandore qui mènerait à des litiges sur divers fronts, ce qui, en fin de compte, ralentirait les délais d’approbation des projets et créerait une plus grande incertitude pour les investisseurs?

Mme Moore-Frappier : Je vous remercie de votre question. En effet, je suis d’avis que nous devons reconnaître nos ordres juridiques, et cela ralentirait absolument les grands projets. Il s’agit d’un engagement significatif, et en l’absence de tels engagements, beaucoup de problèmes risquent de survenir.

Comme je l’ai dit dans mes observations préliminaires, nous avons reçu plus de 12 000 demandes d’exploitation minière au sein de notre territoire. Nous collaborons avec environ 120 promoteurs différents à tout moment, et nous n’avons pas la capacité de faire face à la demande. Nous avons dans notre département un seul employé pour s’occuper des relations avec ces promoteurs, ce qui témoigne de nos capacités à répondre à la situation actuelle sur le terrain.

Selon moi, supprimer les leviers dont nous disposons pour obtenir l’obligation de consulter n’est pas une bonne idée. Cela va commencer par des contestations juridiques, puis cela va déboucher sur tout un dossier d’ordre juridique, car il y a des impacts énormes tant par rapport à nos terres que par rapport à nos droits constitutionnels. J’espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur D. M. Wells : Je remercie les experts d’être parmi nous aujourd’hui. J’aurais une question pour M. Gooch.

Le projet de construction du Terminal 21 au port de Trois-Rivières fait l’objet d’une évaluation environnementale fédérale depuis 2015, et une prolongation a été accordée jusqu’en juillet 2025, soit le mois prochain. Le retard est dû en partie à la découverte en 2022 de huit moules rares — pas huit espèces de moules, mais bien huit moules rares —, ce qui a nécessité des études supplémentaires. Entretemps, les coûts ont grimpé en flèche et le port fonctionne déjà au maximum de sa capacité.

Pensez-vous que le régime actuel, tel qu’il est structuré conformément à la Loi sur l’évaluation d’impact, est devenu trop lourd ou trop complexe pour permettre la mise en œuvre efficace de projets d’infrastructure essentiels?

M. Gooch : Merci pour votre question. Je ne peux pas me prononcer sur le cas particulier de Trois-Rivières, car je ne connais pas la situation et, en toute honnêteté, je ne suis pas habilité à parler au nom de ports individuels. Ce que je peux dire, c’est que l’accélération et la rationalisation des procédures d’approbation des projets, sans réduction de la portée du travail accompli, constituent une priorité des administrations portuaires canadiennes depuis bien avant la guerre commerciale.

Si j’avais été avec vous il y a un an, j’aurais parlé de la nécessité d’accélérer l’approbation des projets. Je sais que l’un des projets dont il a été question au Sénat est celui du Terminal 2 de Roberts Bank, à Vancouver. Le processus dure depuis plus de 10 ans. Le Canada ne peut pas être une nation commerçante concurrentielle s’il faut 10 ans avant qu’un projet d’envergure puisse avancer.

Le sénateur D. M. Wells : Merci beaucoup. Y a-t-il d’autres occasions ailleurs ou les projets sont-ils abandonnés?

M. Gooch : C’est un peu des deux. C’est certain que les États-Unis ont attiré beaucoup plus d’investissements que le Canada, et nous sommes en concurrence avec eux pour une partie du trafic. Le trafic pour lequel nous sommes en concurrence avec les États-Unis est en fait menacé par les mesures que le président Trump a indiqué vouloir mettre en place. La compétitivité de ces ports est actuellement une priorité absolue pour l’industrie portuaire.

Le sénateur D. M. Wells : Merci beaucoup de votre réponse. Selon vous, combien coûtent aux ports canadiens ou au Canada ces occasions manquées en raison des inefficacités inhérentes au processus?

M. Gooch : C’est une excellente question. Je ne sais pas si nous en avons évalué précisément le coût, mais la conséquence, c’est que les investissements privés s’en iront ailleurs. Les organisations mondiales du secteur des ports n’ont pas seulement le Canada ou les États-Unis où engager leurs investissements. Elles peuvent investir partout dans le monde.

Quand les projets tardent à se concrétiser, les coûts de construction grimpent en fonction de l’inflation. Nous connaissons d’ailleurs d’énormes taux d’inflation depuis 5 ou 10 ans. Même selon les façons de faire actuelles, le temps qu’il faut avant que les demandes de financement au Fonds national des corridors commerciaux soient approuvées fait en sorte que le coût du projet au moment de l’annonce, une ou deux années plus tard, dépasse déjà la somme prévue dans la demande.

Les coûts sont nombreux. D’une part, il y a le coût à payer pour les occasions ratées. D’autre part, il y a le coût de l’inflation associé à la commercialisation des projets.

Le sénateur D. M. Wells : Et le coût à assumer parce qu’ils arrivent trop tard. Très bien, je vous remercie.

Madame Johnston, j’ai une question pour vous. Le 16 juin 2025, vous avez qualifié le projet de loi C-5 d’antidémocratique notamment parce qu’il permettrait au Cabinet d’approuver des projets avant que leurs répercussions soient entièrement évaluées. Toutefois, il est bien clair dans le projet de loi que ces projets seraient toujours assujettis aux lois fédérales actuelles, y compris la Loi sur l’évaluation d’impact.

(1550)

Dans ce contexte, pourriez-vous nous expliquer en quoi le processus proposé dans le projet de loi C-5 enfreindrait les principes démocratiques si une évaluation environnementale complète est toujours requise avant toute démarche concrète de mise en œuvre?

Mme Johnston : J’aimerais apporter quelques précisions. La Loi sur l’évaluation d’impact s’appliquerait toujours aux projets déclarés d’intérêt national, mais tant que nous n’aurons pas vu l’annexe précisant ce qui sera considéré comme étant d’intérêt national, nous ne savons pas si tous devront faire l’objet d’une évaluation d’impact. La Loi sur l’évaluation d’impact s’applique uniquement à une poignée de projets. Au cours de la dernière année, elle n’a donné lieu qu’à une seule évaluation. Par exemple, l’aménagement d’une autoroute dans une seule province ne nécessiterait pas d’évaluation d’impact.

D’un point de vue démocratique, le projet de loi soulève deux préoccupations. Premièrement, comme l’ont expliqué Josh Ginsberg et Martin Olszynski hier, il ne respecte pas la séparation des pouvoirs, puisqu’il habiliterait le pouvoir exécutif à modifier les lois alors qu’en vérité, seul le Parlement doit pouvoir faire cela. De plus, il crée une structure de prise de décisions et d’examen conçue pour être à l’abri de tout mécanisme de surveillance, sauf peut-être en ce qui concerne les droits garantis par l’article 35. Il soustrait la loi à la surveillance judiciaire. Cet irrespect de la séparation des pouvoirs m’inquiète profondément.

L’autre préoccupation d’ordre démocratique concerne la démocratie participative. Lorsque le Cabinet fédéral autorise un projet avant de consulter le public et ne finit éventuellement par le consulter que pour régler certains problèmes dans le cadre d’une évaluation environnementale, j’estime qu’on assiste à une véritable érosion des normes démocratiques. Il faut consulter le public avant de prendre des décisions majeures qui le concernent.

Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie.

Pensez-vous que le nouveau processus prête flanc aux contestations judiciaires? Évidemment, cela entraînerait des retards et des coûts additionnels.

Mme Johnston : Oui, je le crains. Il pourrait aussi y avoir des manifestations, comme ce fut le cas avec la réglementation de 2012, lorsque le gouvernement fédéral a tenté de vider de leur substance ou de modifier les lois environnementales du Canada sous le couvert de la rationalisation. Le projet de loi C-38 a notamment donné lieu à une nouvelle loi sur l’évaluation environnementale qui imposait le critère des effets directs, de sorte que tout le monde ne pouvait pas participer à une évaluation. Il y a eu beaucoup de manifestations, en particulier au sujet des projets de pipelines, parce que les gens...

Le président : Merci madame Johnston.

La sénatrice Simons : M. Gooch, ma question s’adresse à vous. J’ai récemment eu le privilège de visiter le port de Vancouver et de faire une visite guidée de la zone portuaire de Burrard. En tant que sénatrice de l’Alberta, je suis particulièrement consciente du fait que les ports de Prince Rupert et de Vancouver sont absolument essentiels à la prospérité de l’Alberta dans un Canada uni et au transport de ses produits vers les marchés.

Au port de Vancouver, il m’a semblé que des mesures pourraient être prises pour faciliter, par exemple, le transport d’une plus grande quantité de pétrole sans construire un nouveau pipeline. Selon vous, quels projets pourraient être mis en œuvre et faire l’objet d’un consensus entre les municipalités, les provinces, les communautés autochtones et les groupes environnementaux? Pensez-vous qu’il soit possible de tenir une consultation et d’obtenir un consensus avant le début d’un projet?

M. Gooch : Je vous remercie, sénatrice. Je ne suis pas certain de pouvoir m’avancer sur le type de projets qui pourraient être proposés. D’après ce que des représentants du Bureau du Conseil privé nous ont dit, la semaine dernière, on s’attend à ce qu’une bonne partie des projets qui seront inscrits à l’annexe 1 soient déjà passablement avancés. Comme je le disais tout à l’heure, le processus de consultation et de délivrance des permis pour le terminal Robert Banks no 2 du port de Vancouver a débuté il y a plus de 10 ans. Les promoteurs attendent le permis du ministère des Pêches et Océans, ce qui peut prendre encore quelques années, selon moi.

Nous sommes bien évidemment dans l’hypothétique, mais les projets dont je parlais tout à l’heure — comme ceux de Contrecœur, du terminal Robert Banks et de Saint John, mais il y en a beaucoup d’autres — ont déjà fait l’objet de consultations et d’études. Des demandes de permis ont déjà été traitées. Pour l’Association des administrations portuaires canadiennes, il ne s’agit pas de projets complètement nouveaux ou inédits. Bon nombre d’entre eux sont déjà connus et sont en bonne voie d’être autorisés, alors il s’agit d’un bon moyen d’accélérer les choses, du moins c’est ce que nous espérons.

La sénatrice Pate : Ma première question s’adresse à Mme Johnston, et ma seconde, à la Cheffe Moore-Frappier.

Votre organisme a déjà dit que :

Décider d’autoriser un projet avant d’en évaluer le bien-fondé, c’est comme bâtir une maison, puis appeler un architecte pour savoir si vous vous y êtes pris comme il faut [...]

Pourriez-vous nous expliquer, outre ce que vous avez mentionné tout à l’heure, les répercussions que le processus d’autorisation des projets proposés dans le projet de loi C-5 risque d’avoir sur les mécanismes de protection de l’environnement ainsi que sur les droits des peuples autochtones et de quiconque sera touché par un projet?

Cheffe Moore-Frappier, que devrait-on faire pour que ce projet de loi respecte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la structure de gouvernance des Premières Nations, des Métis et des Inuit et en assure le bien-être environnemental?

Mme Johnston : Je vous remercie. C’est une bonne question. En effet, cela inverse carrément le processus.

Habituellement, que ce soit dans le cadre d’une étude d’impact ou d’un processus d’examen réglementaire, les fonctionnaires consultent les peuples autochtones, le public, les experts du ministère, ils obtiennent des renseignements auprès du promoteur, effectuent leur propre analyse, font appel à des experts indépendants et prennent ensuite une décision. Le projet de loi chamboule le processus. Les responsables prennent la décision, puis ils commencent à recueillir l’information, sans bien sûr consulter le public.

Par conséquent, la question n’est plus de savoir « si » on va de l’avant, mais plutôt « comment » on s’y prend, comme l’a déclaré le premier ministre lors de l’annonce du projet de loi. Le problème, bien sûr, c’est que la question du « si » est vraiment importante, et ce n’est pas nécessairement parce que les projets sont intrinsèquement mauvais. Par exemple, si vous avez un parc éolien situé directement sur la trajectoire d’une voie migratoire d’oiseaux, vous ne souhaitez peut-être pas que le parc éolien soit construit à cet endroit. Le fait de mener un processus d’examen avant de prendre une décision nous aide à nous assurer que nous faisons le bon choix dès le départ.

Mme Moore-Frappier : Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît?

La sénatrice Pate : Que devrait-on faire pour que ce projet de loi respecte la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la structure de gouvernance des Premières Nations, des Métis et des Inuit et en assure le bien-être environnemental?

Mme Moore-Frappier : Il faudrait d’abord examiner les résultats de la consultation avant d’envisager d’aller de l’avant. Il faut prendre du recul et organiser ce genre de consultation constructive avec nous afin de faire avancer les choses. Meegwetch.

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Mme Johnston et à la Cheffe Moore-Frappier.

En ce moment, le projet de loi C-5 ne prévoit aucune occasion pour la participation de la population, et il stipule qu’on n’a pas à passer par le processus habituel de publication dans la Gazette pour décider d’ajouter des projets à la liste des projets qui bénéficieront d’une procédure accélérée, alors que ce processus permet normalement au public de commenter les décisions réglementaires de ce genre.

Sachant que les Canadiens ont le droit de se prononcer sur une infrastructure qui les touchera directement, tout comme les Autochtones qui sont dans la même situation, et qu’ils chercheront définitivement à se prononcer, pensez-vous qu’en vertu du projet de loi C-5 sous sa forme actuelle, le gouvernement puisse s’assurer que le public prendra véritablement part à l’examen des projets?

Si vous aviez la possibilité d’améliorer le projet de loi, que recommanderiez-vous?

Mme Johnston : Merci de votre question. Il est important de noter que ce projet de loi permet beaucoup de choses. Il n’empêche certainement pas le ministre ou le bureau dont il prévoit la création de consulter le public, mais ma préoccupation réside dans le fait qu’il n’y a aucune obligation de participation publique. Nous aimerions donc que certaines améliorations soient apportées, notamment l’inclusion d’exigences explicites en la matière. Tout d’abord, il faudrait supprimer les dispositions qui stipulent que l’inscription et la déclaration de décision ne seront pas soumises à la Loi sur les textes réglementaires afin de permettre une période de consultation publique dans le cadre du processus de publication dans la Gazette du Canada. Il faudrait ensuite ajouter des dispositions visant à garantir une transparence minimale, afin que soient rendus publics la description détaillée du projet, l’analyse et les renseignements reçus et utilisés par le ministre, ainsi que les raisons pour lesquelles il s’écarte de l’avis de l’un ou l’autre des ministres. Une deuxième disposition devrait ensuite l’obliger à garantir au moins deux occasions de participation significative du public. Le fait qu’il y en ait une portant sur l’inscription et une autre au sujet du document détaillant la décision et les conditions connexes contribuerait grandement à apaiser mes craintes que le public soit exclu de ce processus.

Mme Moore-Frappier : Je pense que cela nous ramène à la question de l’engagement : à quoi cela ressemblera-t-il dans le cadre de la collaboration avec les Premières Nations? Chaque nation a ses propres protocoles.

C’est à l’égard de l’édification de cette relation que le gouvernement doit s’améliorer afin de faire avancer les choses de manière respectueuse, et non après coup. C’est très important pour la suite des choses. Meegwetch.

(1600)

Le sénateur Prosper : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Ma première question s’adresse à la Cheffe Moore-Frappier.

Vous avez parlé de menaces économiques et de droits de douane utilisés pour imposer des mesures de conformité. Lorsque vous cherchez à faire respecter vos droits et votre compétence, votre nation et votre peuple sont dépeints comme des obstacles à l’intérêt national du Canada, ce qui est, comme vous l’avez dit, un discours dangereux et malhonnête. Vous avez parlé notamment de « coercition économique ».

Vous avez dit également que les Premières Nations veulent de la prospérité et des possibilités pour leurs enfants et leurs petits-enfants dans ce pays, qu’elles peuvent offrir les certitudes que les investisseurs recherchent, et qu’elles ne cherchent pas à freiner le progrès, mais qu’elles veulent simplement pouvoir y contribuer. Un témoin a dit plus tôt que nous devions foncer, tandis que vous proposez de retirer ce projet de loi et de rétablir la confiance.

Selon vous, comment devrions-nous nous y prendre pour rétablir la confiance des Premières Nations?

Mme Moore-Frappier : Ouf, c’est une question épineuse. Il y a beaucoup à corriger, mais je crois que tout commence par une relation significative et constructive. Je sais que je me répète encore et encore, mais c’est ce que nous demandons. Incluez-nous dans la conversation. On ne nous a même pas demandé d’être présents, mais nous devons être là, car il se trouve qu’il y a beaucoup de grands esprits, de juristes et d’économistes autochtones. Tous ces gens peuvent proposer des solutions et aider le gouvernement à trouver un meilleur moyen d’avancer.

Il est question de notre relation avec l’État et de ses responsabilités envers nous, et je suis d’avis que le Canada peut en faire plus. Vous avez aujourd’hui l’occasion de dire : « Créons un processus qui nous aidera à avancer ensemble au lieu de faire comme nous l’avons toujours fait, c’est-à-dire agir de manière paternaliste, comme si le Canada avait toujours raison. Nous avons nos experts, mais nous souhaitons faire route ensemble, désormais. » Je vais m’en tenir à cela. Meegwetch.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie, Cheffe.

Ma prochaine question s’adresse à Mme Johnston. Vous avez dit tout à l’heure que le processus proposé dans le projet de loi C-5 n’est pas un examen indépendant, mais plutôt une auto-évaluation. J’aimerais que vous nous en disiez davantage. Quelle incidence cela aura-t-il sur la notion de bonne foi et de consultations sérieuses auprès des groupes des Premières Nations?

Mme Johnston : Je m’inquiète surtout des projets qui ne feront pas l’objet d’évaluations d’impact et qui ne s’appuieront pas sur une mobilisation externe. Quand les renseignements sont principalement examinés à l’interne et que les fonctionnaires vont discuter avec une communauté, un dialogue est possible. Comme la Cheffe vient de le dire, c’est une question de relations. Toutefois, si la majorité du travail est réellement effectué à huis clos, au sein du gouvernement, je crains fort que, même si les fonctionnaires tentent de consulter les nations, ces possibilités de dialogue constructif ne se présentent pas de la même manière que lorsque les processus d’examen sont ouverts et transparents et qu’il y a un échange d’information.

Le sénateur Quinn : Ma question s’adresse à M. Gooch. Bienvenue, monsieur. Comme vous l’avez mentionné, beaucoup de marchandises transitent par les ports, qui font le pont entre mer et terre, principalement dans le cas du transport ferroviaire et routier. Ce sont des acteurs extrêmement importants pour l’ensemble du programme commercial.

Comment les dispositions prévues dans le projet de loi C-5 aideront-elles les ports à évoluer dans l’exercice de leur rôle? Pourriez-vous nous parler un peu des avantages et des préoccupations que vous relevez?

M. Gooch : Le plus grand avantage que nous voyons est que cela semble être un signal du gouvernement du Canada indiquant que nous devons travailler plus efficacement et faire avancer les projets. Les administrations portuaires du Canada sont indépendantes du gouvernement et travaillent donc en étroite collaboration avec lui pour déterminer les types de projets qui profiteront au Canada sur le plan économique. Ce ne sont pas des organismes à but lucratif; elles sont là dans l’intérêt du Canada.

Comme je l’ai dit, les délais associés aux projets nous ont rendus non compétitifs. Il ne devrait pas falloir 10 ans pour qu’un projet avance. Des projets formidables ont été conçus et ils avancent, mais ils prennent beaucoup de temps à se concrétiser. Si nous parvenons à diversifier nos échanges commerciaux à l’échelle mondiale, ce qui est une des priorités absolues selon le premier ministre, l’augmentation des exportations vers les marchés étrangers — en Europe, en Asie et en Amérique latine — se fera par la voie maritime. Nous devons nous assurer que les ports canadiens ont la capacité à la fois en matière de conteneurs et en matière de vrac pour s’adapter à la hausse des exportations que nous espérons voir vers les marchés étrangers.

Comme je l’ai indiqué dans mes notes, une étude révèle que nous pouvons seulement réacheminer 6 % de nos exportations vers d’autres marchés étrangers. Si on en réachemine davantage, on dépasse la capacité des ports, ce qui entraîne des coûts, prolonge les délais et mine la capacité concurrentielle du Canada, si bien que les transporteurs et les consommateurs canadiens risquent d’aller voir ailleurs.

Le sénateur Quinn : Merci. Les ports du Canada ont fait des progrès considérables non seulement pour ce qui est d’inclure directement les parties intéressées dans l’élaboration des propositions de projets stratégiques, mais également pour ce qui est d’adopter des approches inclusives auprès des communautés qui les soutiennent, des groupes d’intérêts et surtout, des communautés autochtones. Aujourd’hui et au cours des derniers jours, nous avons entendu plusieurs témoins exprimer leurs préoccupations, notamment au chapitre de la consultation.

Quels efforts déployez-vous auprès de vos membres, les ports, pour renforcer — et non miner — tout le travail effectué pour bâtir cette relation avec les communautés, y compris les communautés autochtones, et encourager leur participation à mesure que nous faisons franchir les étapes aux initiatives législatives?

M. Gooch : Notre association de 17 administrations portuaires canadiennes offre à ses membres un forum où échanger des connaissances. On peut dire que les ports du pays ont fait de l’excellent travail pour établir des relations avec les communautés autochtones qui les entourent. Par exemple, 27 nations appuyaient le projet du terminal 2 de Roberts Bank. Prince Rupert accomplit un travail formidable pour ce qui est de faire participer les Autochtones et d’intégrer les nations autochtones aux activités économiques qui se développent dans la région. Les PDG de tout le pays en tirent des leçons, notamment parce qu’il s’agit d’organisations indépendantes du gouvernement fédéral. Une culture d’inclusion et de consultation des communautés s’installe depuis un certain temps et les membres veulent apprendre les uns des autres afin de s’améliorer.

Le sénateur Quinn : Ma dernière question est la suivante : votre association collabore-t-elle avec les provinces afin de s’assurer qu’elles sont conscientes de l’importance des priorités des ports pour le commerce national dans son ensemble? Comment établir ce lien entre les ports, les provinces et le programme national?

M. Gooch : Nous n’interagissons pas avec les gouvernements provinciaux. Ce sont nos membres qui interagissent directement avec eux. Ils entretiennent des relations solides avec les premiers ministres provinciaux. En discutant avec nos membres au cours du dernier mois, j’ai appris que la ministre Freeland avait rencontré bon nombre d’entre eux et souligné que le gouvernement fédéral allait travailler avec les premiers ministres provinciaux. J’estime que c’est une bonne nouvelle, car nos membres collaborent déjà très étroitement avec les provinces, non seulement avec la leur, mais aussi avec les provinces voisines. Les provinces des Prairies se soucient beaucoup de la capacité des ports de la côte Ouest, car c’est à partir de là que leurs produits sont exportés vers les marchés mondiaux.

Il est juste de dire que l’on mène des discussions approfondies avec les provinces. Ainsi, les projets les plus susceptibles d’aller de l’avant sont bien connus des premiers ministres provinciaux et ils recevront, espérons-le, leur appui.

(1610)

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à M. Gooch. Pour commencer, c’est très gratifiant d’entendre parler du terminal 2 plusieurs fois dans les déclarations des délégués que nous recevons parce que j’ai consacré 10 ans à ce projet et je sais à quel point ce fut difficile de le faire aboutir.

Si on fait abstraction des projets qui ont fait l’objet d’une grande visibilité, comme le terminal 2, le projet de Contrecœur ou l’agrandissement des installations de Prince Rupert, ce que j’aimerais voir, en bref, ce sont des projets d’intérêt national qui pourraient être admissibles à ce... je vous demande pardon? Je suis désolé, notre leader essayait de me signaler quelque chose.

Dans l’ensemble, certains projets de petite envergure peuvent aussi être d’intérêt national. Je pense par exemple aux projets de portail maritime, de voies ferrées ou de dégoulottage qui suivent le tracé des corridors commerciaux, que ce soit près des ports ou ailleurs au Canada. Ces projets peuvent avoir de vastes retombées, et il y en a partout. Selon mon expérience, il manque de financement pour les réaliser, et pourtant, on demande aux administrations portuaires de porter tout le fardeau et de déterminer qui doit en assumer les frais.

Avez-vous discuté avec le gouvernement de la manière dont ces projets seront financés dans le contexte de priorisation qui découlera du projet de loi C-5?

M. Gooch : Évidemment, nous sommes ravis de constater l’engagement, annoncé dans le discours du Trône, d’ajouter 5 milliards de dollars par l’intermédiaire du Fonds pour la diversification de corridors commerciaux. Vous avez toutefois raison, le gouvernement ne finance pas tout, et ce n’est pas nécessairement souhaitable qu’il le fasse.

Si j’avais été convoqué ici l’année dernière, j’aurais probablement eu d’autres priorités que d’accélérer la mise en œuvre des projets. J’aurais mis l’accent sur la nécessité de donner une plus grande flexibilité aux administrations portuaires et d’améliorer leur capacité à trouver des projets.

En tant qu’administrations portuaires canadiennes, les ports sont soumis à plusieurs restrictions financières par rapport à leur fonctionnement. Ils sont assujettis à des lettres patentes qui prescrivent des limites d’emprunt strictes. Il faut parfois des années pour modifier ces conditions. Parce que les ports ont généralement une capacité d’emprunt bien inférieure à celle d’une organisation similaire dans le secteur privé ou même à celle d’une administration aéroportuaire — j’ai été représentant d’administrations aéroportuaires pendant 15 ans —, les administrations portuaires tentent de moderniser les règles en matière d’emprunt pour que les ports puissent être un peu plus souples et agiles afin d’optimiser leurs ressources financières et d’élargir leur capacité financière.

Certains ports — mais pas nécessairement tous — jouissent d’une plus grande souplesse en ce qui concerne les activités commerciales qu’ils peuvent mener pour générer des revenus et ainsi soutenir les investissements dans les infrastructures essentielles. Si un port voulait construire une installation sur l’eau et y ériger une tour de bureaux, il pourrait se heurter à des restrictions sur ses activités. En réalité, il y a un ensemble de restrictions qui, à notre avis, méritent d’être modernisées en ce qui a trait à la façon dont les ports peuvent fonctionner, générer des revenus et obtenir des emprunts pour remplir leurs mandats. Il ne s’agit pas toujours d’un grand projet excitant avec un ruban à couper, mais tout ce travail est important.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à la Cheffe Moore-Frappier. Hier, j’ai demandé à la ministre Alty pourquoi le gouvernement fédéral avait inclus la Loi sur les Indiens parmi les lois qu’il pourrait contourner en vertu du projet de loi C-5. Elle a répondu que cela permettrait au Cabinet de suspendre certaines dispositions en consultation avec les Premières Nations, mais elle n’a fourni aucun autre détail. Devrions-nous nous inquiéter d’accorder au Cabinet le pouvoir illimité de déroger à la Loi sur les Indiens ou à certaines de ses dispositions, ce qui pourrait supprimer des garanties juridiques essentielles qui protègent les terres et les ressources des réserves? Cela ne crée-t-il pas un risque réel que les gouvernements actuels ou futurs puissent porter atteinte à l’autodétermination, par exemple en contournant les conseils de bande?

Mme Moore-Frappier : Je ne comprends pas comment cette option peut être envisagée, car ce que vous décrivez est essentiellement l’usurpation de nos droits. Cela est impossible. Nous ne pouvons pas soutenir une mesure qui créerait un processus décisionnel unilatéral et qui nous exclurait du processus décisionnel.

Puisque la question est en partie de nature juridique, je vais aussi céder la parole à M. Bellefeuille.

Fred Bellefeuille, avocat, Nation anishinabek : Bonjour. La Loi sur les Indiens n’a pas nécessairement ancré nos droits issus de traités et nos droits ancestraux. Il n’y a aucune obligation de consultation pour les modifications apportées à la Loi sur les Indiens. Cet octroi de pouvoirs ministériels — ce pouvoir de modifier la Loi sur les Indiens — est donc une réelle menace.

Nous avons vu à maintes reprises ce genre de questions s’enliser devant les tribunaux, notamment les enjeux relatifs au statut d’Indien, qui sont devant les tribunaux depuis des décennies maintenant. Merci. Meegwetch.

Le sénateur Francis : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : Merci. Ma question s’adresse à Mme Johnston. Je veux me concentrer sur la clause Henri VIII qui donne à l’exécutif le pouvoir de passer outre diverses lois du Parlement. Il y a une liste à la partie 1 de l’annexe 2, mais en fait, l’article 20 précise que les lois qui figurent sur cette liste peuvent être modifiées en tout temps, si je comprends bien.

Vous avez approuvé l’idée que des projets d’envergure soient menés, et le projet de loi vise à faciliter la réalisation de ces projets. Je consulte le calendrier parlementaire. La Chambre s’ajourne cette semaine et nous examinerons le projet de loi la semaine prochaine à notre retour. En fait, le meilleur moment pour modifier le projet de loi est cette semaine à la Chambre des communes. J’imagine que vous discutez avec nos collègues à l’autre endroit.

Si le projet de loi est adopté, pensez-vous que cela ralentira les choses? Pensez-vous qu’il y aura des procédures judiciaires? Avez-vous d’autres idées sur la façon dont nous pouvons avoir des projets d’envergure sans les retards dont se plaignent de nombreux gouvernements et entreprises?

Mme Johnston : Je vais commencer par la deuxième partie de la question. Une des choses que j’aurais aimé voir dans le projet de loi est l’instauration des multiples instruments dont nous savons qu’ils peuvent accroître l’efficacité et la rentabilité des processus. Au Canada, on fait appel depuis plus de 50 ans à des groupes d’étude indépendants pour bâtir sa crédibilité, obtenir une expertise indépendante et tenir compte de l’apport des parties prenantes.

Je cite souvent en exemple un projet qui a été soumis à une évaluation, en l’occurrence la mine de nickel à Voisey’s Bay au Labrador. Ce projet a été évalué par un groupe d’étude indépendant en 1997. Le groupe a pris moins de deux ans pour l’examiner. Il a découvert que les collectivités étaient dans l’ensemble d’accord avec le concept, mais qu’elles étaient préoccupées par la durée de vie du projet, qui avait été établie d’entrée de jeu à environ huit ans seulement parce que le promoteur voulait maximiser la production le plus rapidement possible.

Au cours de l’évaluation, le promoteur a accepté de baisser la capacité de production et de prolonger la durée de vie du projet. La mine est encore active aujourd’hui. Elle vient de connaître une expansion et elle emploie une centaine de personnes. Tout cela a été fait en moins de deux ans.

En Colombie-Britannique, on utilise les groupes de travail pour que les communautés, les promoteurs et les experts examinent ensemble les enjeux principaux. Il existe des outils dans la trousse à outils. J’ignore pourquoi le Parlement n’a pas choisi d’employer certains outils connus qui mènent non seulement à des évaluations plus efficientes, mais aussi à des résultats plus crédibles et plus rigoureux.

On n’a pas choisi cette avenue, comme je l’ai dit plus tôt. Voilà pourquoi je crains que de ne pas tenir compte de l’opinion de la population dans des décisions qui la touchent mène à des manifestations. Déterminer que des projets sont d’intérêt national avant de parler à la population et de consulter significativement les Autochtones pourrait entraîner des poursuites judiciaires et provoquer d’autres manifestations. Des membres des Premières Nations ont déclaré que cela pourrait mener à un autre Idle No More. C’est extrêmement dommageable et cela n’aide pas à bâtir le pays. Je crains fort que ce projet de loi ne cause par inadvertance un effet opposé à ses objectifs.

Le sénateur Cardozo : Ils pourraient encore approuver les projets et respecter les règles, n’est-ce pas? Ils pourraient décider de ne pas le faire, mais on pourrait souhaiter qu’ils respectent quand même les règles.

Mme Johnston : C’est ce qu’ils pourraient faire. Je ne sais pas pourquoi ils se donneraient le pouvoir de contourner ces lois s’ils n’avaient pas l’intention de s’en servir. Pour certains projets d’intérêt national qui ont été présentés et envisagés, il y a des préoccupations liées à des espèces en péril. Je pense que les espèces en péril sont probablement la principale préoccupation.

Cela dit, mon collègue de l’association des administrations portuaires a parlé, entre autres choses, des exigences en matière de permis de la Loi sur les pêches. C’est inscrit dans la réglementation. Une modification qui limiterait le pouvoir conféré par les clauses Henry VIII au seul fait de permettre au Cabinet de modifier les règlements leur permettrait toujours de s’attaquer aux problèmes de la Loi sur les pêches qui occasionnent des retards dans la délivrance de permis sans donner à l’exécutif ce qui est en fait des pouvoirs parlementaires.

(1620)

Il y a des amendements qui, à mon avis, permettraient d’atteindre les objectifs que le gouvernement cherche à atteindre sans créer cette...

Le sénateur Cardozo : Puis-je porter cette information à l’attention de la Chambre des communes entretemps?

Mme Johnston : Oui.

La sénatrice Senior : Je vous remercie tous d’être venus. J’aimerais adresser mes questions à Mme Johnston et à la Cheffe Moore-Frappier.

Au cours des dernières semaines, je suis certain que bon nombre d’entre nous ont reçu des centaines de courriels de citoyens inquiets au sujet de ce projet de loi. J’ai relevé deux préoccupations principales. Premièrement, le projet de loi affaiblirait la surveillance environnementale en accélérant l’approbation de grands projets sans évaluation environnementale rigoureuse — vous en avez discuté —, ce qui pourrait causer des dommages irréversibles aux espèces en péril, aux écosystèmes et aux collectivités. Deuxièmement, le projet de loi porterait atteinte aux droits des Autochtones, car il ne contient aucune disposition garantissant le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des communautés autochtones ou une consultation sérieuse sur les violations potentielles des droits et des territoires traditionnels.

Plus tôt cette semaine, nous avons appris que le gouverneur en conseil doit tenir compte de plusieurs facteurs lorsqu’il modifie ou supprime des projets d’intérêt national, y compris la mesure dans laquelle les projets d’intérêt national peuvent renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada, procurer des avantages économiques ou autres au Canada, promouvoir les intérêts des peuples autochtones et contribuer à une croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques.

Pensez-vous que cela soit possible dans le cadre d’un processus accéléré? Pensez-vous qu’il soit possible, comme nous en avons été informés, de réaliser certains de ces processus ou étapes simultanément afin de gagner du temps?

Mme Moore-Frappier : La réponse courte est non.

J’aime qu’on parle de promouvoir les intérêts des peuples autochtones. Cependant, on parle ici d’une véritable consultation. Il est question de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il s’agit de nous inviter à la table non pas après coup, mais pendant la planification, alors je pense que nous n’allons pas accepter cela. Je pense que si ce projet de loi est adopté, il y aura notamment beaucoup de contestations judiciaires, de manifestations et de rassemblements qui auront exactement l’effet contraire de celui que vous recherchez.

Si vous choisissez d’aller de l’avant de cette façon, vous allez essentiellement semer le chaos. Cependant, vous avez encore la possibilité de prendre un peu de recul et de bien faire les choses, et c’est ce que je vous implore de faire. Meegwetch.

Mme Johnston : J’ajouterais que, d’un point de vue environnemental, une autre de mes préoccupations est cette volonté de prendre des décisions en deux ans. Elle ne correspond pas à la réalité du temps qu’il faut pour étudier les effets des projets et de ce qui cause souvent des retards dans l’octroi des permis.

Les processus d’évaluation et de réglementation sont censés chevaucher la planification des projets. Il s’agit d’un processus itératif, et souvent, les promoteurs ne disposent pas des informations techniques dont Pêches et Océans Canada, par exemple, a besoin pour délivrer une autorisation. Or, le projet de loi prévoit que l’autorisation sera incluse dans la déclaration de décision que le ministre remettra aux promoteurs, peu importe qu’ils disposent des informations requises; ils ne seront plus tenus de respecter les normes prévues dans les diverses lois environnementales. Ainsi, les conditions ne seront pas contraignantes. Elles constitueront une exigence pour que les promoteurs présentent un plan à une date ultérieure, et ce plan ne fera pas l’objet du même type d’examen auquel il aurait été soumis dans le cadre du processus d’autorisation actuel.

L’empressement du gouvernement et le délai arbitraire de deux ans ne reflètent pas le pragmatisme et la réalité du processus de délivrance de permis. Ils ne reflètent pas le fait qu’il y a eu beaucoup d’expériences négatives au Canada avec ce genre de conditions vagues qui consistent à présenter un plan ou à prévoir l’élaboration d’un plan à une date ultérieure.

[Français]

La sénatrice Hébert : Ma question s’adresse à M. Gooch.

Au sujet de la diversification des marchés d’exportation, le commerce maritime est incontournable, car il s’agit du moyen d’atteindre les marchés plus éloignés. En ce qui concerne le risque de saturation, j’arrive au même taux de 6 % que vous avez mentionné plus tôt.

Nous savons que les ports de la côte Est américaine continuent d’investir massivement pour augmenter leur capacité. Au Canada, on ne peut pas dire qu’on est les Lucky Luke de l’investissement. Au Port de Montréal, le plus important port de conteneurs de l’Est du Canada, un projet d’expansion a été lancé à la fin des années 1980, mais il n’est toujours pas terminé. Dans ce contexte, le Canada risque de perdre des parts de marché au profit de son voisin du Sud, parce que la construction est trop lente.

Quelles sont les trois conditions qui permettraient au projet de loi C-5 de répondre à ce défi?

M. Gooch : Je vous remercie de votre question. Je vais y répondre en anglais.

[Traduction]

À bien des égards, nous estimons que le projet de loi C-5 avant tout un cadre et un signal que nous devons être plus efficaces et faire avancer les dossiers. En ce qui concerne les processus des divers ministères et organismes qui participent à la délivrance des permis, il y a certainement beaucoup de travail à faire également. Nous lançons un signal aux investisseurs que le Canada a l’intention de faire les choses plus rapidement et avec plus de prévisibilité. Je pense que c’est essentiel, car les exploitants privés qui travaillent dans nos ports et qui investissent dans les ports et les installations veulent cette prévisibilité lorsqu’ils choisissent où investir.

Les États-Unis ont prouvé qu’ils sont capables de faire les choses plus rapidement. Dans une certaine mesure, les ports canadiens sont en concurrence avec les ports américains pour le trafic. À l’heure actuelle, dans nos ports à conteneurs, entre 10 et 20 % — et même plus dans certains cas — des marchandises reçues sont destinées aux États-Unis. Ces marchandises sont débarquées des navires dans un port canadien et sont ensuite transportées par train ou voie terrestre. Nous faisons face à des sanctions imposées par les États-Unis à cet égard, ce qui ne fera que nuire davantage à la position concurrentielle des administrations portuaires canadiennes.

La volonté du premier ministre, c’est de diversifier nos marchés internationaux et d’y arriver rapidement. Les administrations portuaires canadiennes veulent vraiment contribuer à cet effort, et ce dont nous discutons aujourd’hui n’est pas nouveau. C’est un enjeu au haut de la liste des priorités depuis que j’ai rejoint l’Association des administrations portuaires canadiennes, il y a trois ans. Notre organisation est heureuse de voir que cette question attire maintenant une grande attention. Nous sommes satisfaits du cadre proposé dans le projet de loi C-5. Il est évident que la mise en œuvre de ce cadre soulève de nombreuses questions. C’est tout à fait normal, parce que les détails sont toujours la pierre d’achoppement. Nous considérons toutefois qu’il s’agit d’un premier pas important qui nourrit l’espoir d’assister à un processus de réforme en profondeur, ce dont le secteur a besoin.

La sénatrice Coyle : Je remercie les témoins de contribuer à notre étude du projet de loi C-5. Mes questions s’adressent à Mme Johnston et à la Cheffe Moore-Frappier.

Le gouvernement a promis de bâtir une économie canadienne forte, résiliente et durable, et ce, de toute urgence. Dans une déclaration récente au sujet du projet de loi C-5, West Coast Environmental Law a dit ceci :

L’expérience nous a appris que les approbations précipitées accordées sans évaluation adéquate des risques sont source de conflits, de contestations judiciaires et d’éventuelles catastrophes environnementales.

Madame Johnston, merci pour tout ce que vous avez déjà dit ici. Ma question est similaire à celle du sénateur Cardozo. Si vous souhaitez ajouter quelque chose, pourriez-vous nous dire comment le Canada pourrait mieux concilier la nécessité de renforcer l’économie canadienne de toute urgence grâce à de grands projets tels qu’un réseau électrique national, tout en menant des processus adéquats d’examen de projets, de consultation, de mobilisation et d’évaluation environnementale?

Je vais aussi poser tout de suite ma deuxième question, qui s’adresse à la Cheffe Moore-Frappier. Après avoir entendu Mme Johnston, croyez-vous qu’il est possible d’accélérer et de rationaliser les processus d’approbation des grands projets tout en menant des processus adéquats de mobilisation, de consultation et d’évaluation?

(1630)

Mme Johnston : Je vous remercie sincèrement de poser cette question. C’est une bonne question.

J’ai mentionné quelques moyens d’améliorer l’efficacité des processus. Il existe de nombreux autres outils, notamment ceux prévus par la Loi sur l’évaluation d’impact. Voici un exemple important et récent : deux évaluations régionales sur l’énergie éolienne extracôtière ont été réalisées à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse. Ces évaluations ont été achevées il y a environ six mois. Elles sont largement considérées comme rigoureuses, crédibles et participatives. Leur objectif est de rendre beaucoup plus efficaces les processus d’évaluation et d’autorisation individuels pour tout projet spécifique proposé. Elles ont permis de désigner les zones propices aux projets d’énergie éolienne, les mesures d’atténuation types — tout ce qui doit être fait au cas par cas pour chaque projet.

C’est ce qu’on appelle une évaluation régionale. Il s’agit d’un outil prévu par la Loi sur l’évaluation d’impact. Une autre évaluation régionale est en cours dans la région du Cercle de feu, en Ontario, qui, selon nos informations, serait une zone d’intérêt majeur pour les minéraux critiques.

Il s’agit d’outils destinés à garantir que nous disposons de toutes les informations nécessaires afin de ne pas avoir à demander aux promoteurs de réaliser ces études, ce qui prend plusieurs années.

Mme Moore-Frappier : Pardon, pouvez-vous répéter votre question, s’il vous plaît?

La sénatrice Coyle : Madame la Cheffe, pensez-vous qu’il soit possible d’accélérer et de simplifier les processus d’approbation des grands projets tout en garantissant une participation publique, une consultation et une évaluation qui soient sérieuses?

Mme Moore-Frappier : Si la volonté est là, on trouvera un moyen, mais cela doit être fait de concert avec nous avant qu’on aille de l’avant.

Nous pouvons envisager de travailler à accélérer les choses, mais cela doit se faire dans le cadre d’une relation basée sur la confiance, car nous allons progresser à la vitesse de la confiance. Si on ne vous fait pas confiance, nous ralentirons le processus, et cela, je vous le promets. Meegwetch.

La sénatrice Petten : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Gooch.

Au cours des derniers mois, j’ai pris le temps de visiter quelques ports, notamment ceux d’Halifax, de Montréal et, bien sûr, de St. John’s. Je serai à Vancouver en août pour y visiter le port. Plusieurs thèmes reviennent régulièrement : les ports du pays sont touchés par les droits de douane, et même si de nombreux pays comblent en partie le vide, comme la Chine par exemple, les volumes sont inférieurs à ce qu’ils étaient auparavant.

Pensez-vous que ce projet de loi contribuera à compenser les effets négatifs qu’ont les droits de douane imposés par les États-Unis sur les ports du pays, y compris celui de St. John’s? Avez-vous des exemples précis concernant ma province, Terre-Neuve-et-Labrador?

M. Gooch : Lorsque nous examinons la situation, il y a évidemment le court terme, le moyen terme et le long terme. Le projet de loi C-5 porte sur le long terme, en ce sens qu’il vise à accélérer les choses et à offrir une plus grande prévisibilité. Il ne concerne donc pas tant le court terme.

Alors que nous travaillons, à l’échelle du pays, à rendre nos produits, nos services et nos marchandises plus attrayants pour d’autres marchés, ce projet de loi vise à garantir que nos ports ont la capacité de faciliter ces échanges commerciaux.

Je suis désolé, mais je n’ai pas d’exemples précis pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui est frustrant, car je suis originaire de cette province. Cependant, si l’on prend l’exemple des ports à conteneurs, le chiffre dont nous disposons est de 6 %. Ce n’est pas beaucoup si l’on considère l’ampleur de notre dépendance à l’égard des États-Unis. Être en mesure de rediriger 6 % de ces échanges vers les marchés internationaux n’est pas énorme, mais c’est assez pour que certains ports arrivent à leur capacité maximale.

La sénatrice Clement : Merci à tous pour vos commentaires. M. Gooch, j’ai apprécié votre réponse à la question du sénateur Quinn sur les obligations de votre organisation s’agissant de bâtir la relation ainsi que vos projets à cet égard. Cheffe Moore-Frappier, vos observations préliminaires étaient remarquables. Je dirai nawa en mohawk, qui est la langue du territoire où se trouve ma communauté d’origine, Cornwall, en Ontario.

C’est toutefois avec Mme Johnston que je souhaite m’entretenir, parce que j’ai lu l’article publié sur votre site Web le 16 juin 2025, qui fait état d’une vague de protestations, de rassemblements et d’actes de désobéissance civile contre l’oléoduc Trans Mountain. Il y a eu la catastrophe de la mine Mount Polley en 2014, quand le barrage du bassin de décantation des résidus miniers a cédé, déversant 25 milliards de litres de déchets toxiques dans le lac Polley, le ruisseau Hazeltine et le lac Quesnel. Il y a eu les étangs bitumineux de Sydney, l’un des sites les plus contaminés par les déchets toxiques au Canada, qui est le résultat de décennies d’absence d’étude d’impact et de réglementation adéquate pour une aciérie. Il y a eu la contamination à l’uranium près d’Elliot Lake, en Ontario, qui s’est accumulée pendant plusieurs décennies d’élimination des résidus de l’extraction minière de l’uranium sans étude d’impact ni réglementation adéquate. Ecojustice a également publié un article qui parle de la vallée des produits chimiques, près de Sarnia, en Ontario, où se trouve environ 40 % de l’industrie chimique au Canada, et de l’empoisonnement au mercure à Grassy Narrows.

Étant donné que ces exemples sont le résultat d’un assouplissement de la réglementation ou d’une absence de réglementation et que vous avez formulé des recommandations à cet égard dans votre déclaration préliminaire, quels sont, selon vous, les points les plus urgents à examiner? Vous avez parlé de présomption et d’examens indépendants. C’est la première partie de ma question.

Je voudrais également vous parler de racisme environnemental. La sénatrice McCallum a abordé le sujet dans cette enceinte. Je voudrais simplement citer l’exemple d’Africville, en Nouvelle-Écosse. Les anciens Afro-Américains se sont vu refuser les services municipaux de base qui étaient offerts aux résidants blancs d’Halifax. Dans les années 1960, le quartier a été rasé à cause de cette négligence, entraînant le déplacement de ses résidants. Les Néo-Écossais d’origine africaine ressentent encore les effets de cet événement, et je crains que d’autres groupes vulnérables ne soient touchés par cette mesure législative. La contamination des sols, les sites d’enfouissement de déchets et l’utilisation industrielle des terres touchent de manière disproportionnée les quartiers où vivent des communautés racisées, des immigrants récents et des personnes à faible revenu. Hier, le sénateur Prosper a demandé à une témoin d’inscrire dès le départ, dans la loi, les pratiques exemplaires en matière de consultation.

C’est beaucoup d’information à digérer. Qu’en pensez-vous?

Mme Johnston : En effet, et je vous remercie d’avoir mentionné le blogue. Je vais en profiter pour faire un peu de publicité : nous publions demain un rapport qui décrit ces catastrophes plus en détail et qui donne également des exemples où une bonne évaluation environnementale et des modèles de cogouvernance ont permis de prendre de meilleures décisions concernant les projets.

En ce qui concerne le racisme environnemental, l’un des aspects de la Loi sur l’évaluation d’impact qui nous ont beaucoup plus, c’est que la loi intègre l’obligation de prendre en compte l’interaction du sexe, du genre et d’autres facteurs identitaires — c’est un des sujets qui me préoccupent. Par exemple, si on veut construire une mine près d’une petite localité qui dispose de ressources limitées en santé, puis qu’on fait venir un groupe de travailleurs et qu’on les loge dans cette localité ou à proximité, il y aura de nombreuses conséquences imprévues : hausse du prix du logement, pression sur le système de santé, augmentation des ITS et des grossesses chez les adolescentes. Toutes ces conséquences peuvent être atténuées, mais il faut relever et comprendre le problème pour pouvoir l’éviter.

Avec le projet de loi 5, l’Ontario a soustrait la région du Cercle de feu à toute loi provinciale sur l’évaluation environnementale. Si un projet minier n’est pas soumis à une évaluation d’impact fédérale parce qu’il se situe juste en dessous du seuil requis, aucun de ses effets ne serait pris en compte. Nous parlons ici d’effets potentiellement énormes pour de nombreuses collectivités de cette région.

Je suis préoccupée par le fait non seulement que ce projet de loi risque d’affaiblir les normes environnementales, de santé et de sécurité, mais qu’il ne prévoit pas non plus la mise en place de processus ni de normes. Cela dit, si je n’avais qu’un ou deux souhaits à formuler, je dirais que ce sont les clauses Henri VIII qui me préoccupent le plus. J’aimerais donc les supprimer, ainsi que la possibilité de considérer que les conditions auxquelles vous vous opposez sur les documents respectent les normes d’autres lois environnementales, alors que ce n’est pas le cas en réalité.

Je pense donc qu’il est important de s’assurer que, à travers ces processus et ces décisions, nous ne nous soustrayons pas aux normes que le Parlement a fixées pour les processus de prise de décision du gouvernement fédéral. Ce sont là mes deux principales préoccupations.

(1640)

Le président : Honorables sénateurs, le comité entend les témoins depuis maintenant 75 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse poursuivre avec le troisième panel.

Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre les travaux pendant quelques minutes afin de nous préparer pour le troisième panel. Nous allons reprendre à 16 h 47.

(La séance du comité est suspendue.)

(La séance du comité reprend.)

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)

Le président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance en comité plénier afin de poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Le comité entendra maintenant l’honorable Lisa Raitt, ancienne ministre du Cabinet fédéral et coprésidente, Coalition pour un avenir meilleur, et l’honorable Brian Gallant, ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick.

Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos observations préliminaires.

L’honorable Lisa Raitt, c.p., ancienne ministre du cabinet fédéral et coprésidente de la Coalition pour un avenir meilleur : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui. C’est un peu comme un retour aux sources. Je suis ravie de voir autant de visages familiers, tous partis confondus, et je vous suis très reconnaissante de m’avoir invitée ici en raison de mon rôle au sein de la Coalition pour un avenir meilleur. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer au sujet du projet de loi C-5.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être, je suis coprésidente de la Coalition pour un avenir meilleur, une fonction que je partage avec l’honorable Anne McLellan, qui aurait beaucoup aimé être ici aujourd’hui. Loin de moi l’idée de vouloir suggérer que la présence de M. Gallant n’est pas formidable elle aussi. Mme McLellan voulait être ici, mais elle n’est malheureusement pas disponible, alors je vais devoir faire le travail pour nous deux.

La Coalition pour un avenir meilleur rassemble 140 organisations issues du monde des affaires, des syndicats, des communautés autochtones, de la société civile et plus encore. Nous partageons un objectif clair : bâtir un Canada plus fort, plus inclusif et plus prospère.

Notre organisation appuie l’intention qui sous-tend le projet de loi C-5, et nous croyons qu’il peut contribuer à renforcer les fondements économiques à long terme du Canada, surtout s’il est accompagné d’une stratégie plus vaste et audacieuse visant à stimuler la croissance, la productivité et la compétitivité.

(1650)

Pour y parvenir, nous devons maintenir la croissance économique à long terme. Cependant, il doit s’agir d’un type de croissance qui se traduit par une économie plus concurrentielle, par la création d’emplois bien rémunérés, par un soutien aux familles, par davantage de possibilités pour les gens de se sortir de la pauvreté, et par l’utilisation de carburants plus propres. Voilà donc l’angle que nous utilisons dans notre fiche d’évaluation.

Grâce à notre fiche d’évaluation, nous mesurons les progrès accomplis au moyen de 21 indicateurs reconnus à l’échelle internationale couvrant tous les domaines, des revenus aux émissions, en passant par les investissements, par rapport aux objectifs fixés pour 2030 dans le monde entier. Notre fiche d’évaluation se trouve à l’adresse www.canadacoalition.ca.

Malheureusement, notre fiche d’évaluation de cette année dresse un portrait peu réjouissant du Canada. En effet, notre pays n’est pas sur la bonne voie. Le niveau de vie des Canadiens baisse. Nous avons constaté que le revenu réel est en baisse, que la pauvreté est en hausse et que le logement demeure inabordable pour beaucoup de nos concitoyens. Le chômage est en hausse, en particulier chez les immigrants et les jeunes. La représentation des femmes dans les postes de direction stagne, et la participation des Autochtones au marché du travail est en diminution.

Le Canada se classe maintenant presque au dernier rang parmi les pays de l’OCDE sur le plan de la productivité. Les investissements en matière de recherche et de développement des entreprises, de machinerie et des droits de propriété intellectuelle se sont effondrés pour atteindre un creux historique. Il ne s’agit pas uniquement d’une donnée statistique, mais d’un signal que notre économie est en perte de vitesse.

Sur le plan de la durabilité, nous faisons des progrès par rapport aux émissions, mais pas assez rapidement. Les investissements dans les technologies propres sont au point mort, et nous ne prenons pas les mesures nécessaires pour nous adapter aux réalités futures. Tous ces problèmes, comme la crise de l’abordabilité, la faiblesse des investissements et les disparités en matière de croissance, surviennent dans un contexte d’instabilité mondiale, de tensions géopolitiques, de fragmentation du commerce et de montée du nationalisme. Malheureusement, d’après nos informations, notre économie, dans son état actuel, n’est tout simplement pas assez résiliente.

En toute franchise, honorables sénateurs, lorsque Mme McLellan et moi avons créé la coalition, en 2021, les gouvernements minoritaires successifs se concentraient sur ce qui était politiquement rentable plutôt que sur ce qui était nécessaire sur le plan économique. En sept élections, nous avons élu cinq gouvernements minoritaires. Ayant fait partie d’un gouvernement minoritaire, je sais qu’un gouvernement minoritaire cherche activement à obtenir une majorité, et qu’ils peuvent prendre certaines décisions stratégiques en fonction de cet objectif.

Ce que nous voulions, cependant, c’était un outil qui transcenderait la partisanerie. C’est pourquoi les paramètres restent cohérents. Les 21 paramètres du tableau de bord que nous avons définis en 2021 seront les 21 paramètres que nous mesurerons jusqu’en 2030 — il n’y aura pas de cibles changeantes, pas de garde-fous différents selon qui est ministre des Finances. Il n’y aura que les données, afin que les Canadiens puissent juger par eux-mêmes. La vérité, c’est que nous tournons en rond depuis 20 ans. Tous les gouvernements ont évité les questions difficiles sur la compétitivité, la résilience et la durabilité, et maintenant, malheureusement, nous manquons de temps. Cependant, nous ne manquons pas d’options. Nous disposons de talents de classe mondiale, de ressources énergétiques abondantes et d’une population diversifiée. Nous devons toutefois sérieusement corriger le tir et le faire dès maintenant.

La question est donc la suivante : sommes-nous prêts à agir? Une stratégie canadienne audacieuse place l’investissement, la productivité et la compétitivité au cœur du programme économique. C’est ce que visent bon nombre des mesures prévues dans le projet de loi à l’étude aujourd’hui : éliminer les obstacles au commerce interprovincial, moderniser notre régime fiscal pour favoriser l’investissement, soutenir nos économies rurales et veiller à ce que nos collectivités soient considérées comme des moteurs économiques plutôt que d’être reléguées au second plan. Il faut tracer une voie pragmatique pour réduire les émissions en investissant dans l’énergie propre, le captage du carbone, le nucléaire et l’expansion des énergies renouvelables. Il faut tirer parti de nos ressources énergétiques et de nos négociations sur la scène mondiale tout en préservant la sécurité énergétique et les possibilités économiques. Il faut construire des logements abordables sans dépasser nos seuils d’émissions et mettre vraiment l’accent sur la productivité — pas seulement en paroles, mais en gestes concrets.

Le Canada a un brillant avenir, mais il faut le bâtir avec dessein, avec audace, et nous devons avoir le courage de prendre des risques à long terme dans une culture politique à court terme. Je sais que ce n’est pas facile, mais je dirais — tout comme Mme McLellan — que c’est nécessaire. Nous demandons donc aux gens de choisir l’innovation, la collaboration et l’action, parce que les meilleurs chapitres de l’histoire canadienne restent à venir.

Le président : Merci, madame Raitt.

[Français]

Monsieur Gallant, vous avez la parole pour les cinq prochaines minutes.

L’honorable Brian Gallant, ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, merci pour l’invitation. C’est un honneur d’être ici, au Sénat, avec d’anciens collègues, des amis et de valeureux Canadiens et Canadiennes de différentes origines et perspectives.

[Traduction]

Le Canada est à la croisée des chemins. Donald Trump a unilatéralement abdiqué le leadership mondial des États-Unis. Il a relégué à l’arrière-plan l’approche américaine qui consistait à obtenir une influence discrète grâce à la collaboration économique pour plutôt mettre de l’avant une approche transactionnelle où l’on veut arracher à tout prix de soi-disant « victoires » avec des accords commerciaux renégociés de force.

Le prix de cette mentalité où un seul partenaire peut gagner est très élevé, en raison de l’incertitude économique accrue, de l’absence d’initiatives mondiales pour lutter contre la crise climatique, de l’augmentation des inégalités et de l’intensification des tensions géopolitiques. Le moment est venu pour le Canada de se positionner sur la scène internationale. Le pays doit relever les défis et saisir les occasions que la situation engendre en agissant sans délai de manière stratégique et audacieuse. C’est une occasion que nous ne pouvons pas manquer.

Pour accomplir tout cela, nous devons, en tant que Canadiens, travailler en étroite collaboration, faire preuve de plus de souplesse et réaliser de grandes choses, tout en créant des possibilités économiques pour chaque citoyen, en luttant contre les inégalités et les injustices, en combattant les changements climatiques et en protégeant l’environnement, en améliorant les soins de santé et le niveau de vie des Canadiens, et en favorisant la réconciliation avec les Autochtones.

[Français]

À l’heure actuelle, nos gouvernements ont de nombreuses préoccupations. Selon moi, l’objectif du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada est de trouver le bon équilibre.

Ce projet de loi propose d’éliminer les barrières fédérales au commerce interne et à la mobilité des travailleurs, ce qui aidera à stimuler la croissance économique. De plus, le projet de loi propose d’identifier des projets d’intérêt national et d’accélérer leur progression grâce à un processus fédéral revitalisé.

Ce projet de loi suscite des inquiétudes en ce qui a trait à la protection de l’environnement.

[Traduction]

Après avoir examiné le projet de loi, je crois comprendre que, pour aller de l’avant, le projet envisagé au titre de la mesure législative devra respecter les conditions qui seront établies dans le cadre d’une évaluation d’impact et d’un examen par les organismes de réglementation.

On pourrait alors se demander ce que changerait ce projet de loi. Après l’avoir examiné, j’ai cru comprendre que divers ministères, organismes et organismes de réglementation fédéraux évalueront simultanément un projet jugé d’intérêt national au lieu de suivre leurs processus respectifs de manière séquentielle. En termes plus simples, si le projet de loi C-5 est adopté, il établira le principe d’un seul examen par projet pour les projets jugés d’intérêt national.

Il me semble tout à fait logique que, dans l’intérêt national, divers ministères et organismes fédéraux travaillent en parallèle afin de faire avancer un projet de manière plus efficace et plus rapide.

[Français]

Je dois ajouter que je suis rassuré par le fait que ce projet de loi vise à rendre le processus d’approbation plus efficace et rapide, et qu’il ne cherche pas nécessairement à modifier le travail important effectué par divers ministères et agences durant l’évaluation des projets.

Par ailleurs, le projet de loi suscite d’autres préoccupations quant à son impact sur les droits des peuples autochtones.

[Traduction]

D’après ce que je sais de l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones, ce projet de loi ne pourrait pas, même s’il le voulait, contrecarrer l’obligation de l’État de consulter et d’accommoder les peuples autochtones. Du reste, le projet de loi reconnaît expressément les droits constitutionnels des peuples autochtones et précise la nécessité de consulter les peuples autochtones au sujet des projets envisagés au titre de la mesure législative proposée.

[Français]

Certaines personnes pensent aux oléoducs lorsqu’elles entendent parler de ce projet de loi. Des discussions sur la manière dont ce projet de loi pourrait influencer l’avancement de plusieurs projets sont certainement justifiées.

[Traduction]

Le projet de loi pourrait contribuer à faire avancer de nombreux autres types de projets importants pour le Canada, y compris, si vous me le permettez, certaines initiatives spatiales. Grâce à ses capacités spatiales, le Canada peut fournir une connectivité aux collectivités éloignées, nordiques ou autochtones, assurer notre souveraineté dans l’Arctique, renforcer notre collaboration avec nos alliés en matière de défense et de sécurité, protéger plus efficacement nos océans, nos forêts et nos côtes, lutter contre les effets des changements climatiques et les atténuer, stimuler l’innovation dans le domaine de la recherche et du développement, et bien plus encore. Il y aurait également de merveilleux projets qui pourraient être mis en œuvre au Nouveau-Brunswick et que je serais ravi d’ajouter à ma liste si quelqu’un souhaite en discuter.

(1700)

Tel que l’a exposé ma collègue, le retard du Canada en matière de productivité est l’une des statistiques économiques qui devraient nous préoccuper le plus ici, au Canada, compte tenu de la corrélation entre la productivité d’un pays et son niveau de vie. Le projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne, s’il est adopté, servira d’outil pour nous aider à accroître notre productivité et à relever les défis actuels. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie, monsieur Gallant.

Nous passons maintenant à la période des questions. Étant donné que de nombreux sénateurs souhaitent poser des questions, j’avise respectueusement les témoins que les sénateurs aiment qu’on réponde à leurs questions avec concision.

Honorables sénateurs, je vous remercie de bien préciser à qui vous adressez vos questions.

[Français]

Le sénateur Housakos : Bienvenue au Sénat, monsieur Gallant.

[Traduction]

Madame Raitt, je vous souhaite un bon retour à Ottawa. Vous nous avez manqué. En tant qu’ancienne ministre du Travail et des Transports et désormais vice-présidente de la Banque d’investissement du réseau mondial de la CIBC, vous avez pu constater les répercussions des normes fédérales et de la mobilité économique sur les marchés et, bien sûr, sur les travailleurs. Pensez-vous que le projet de loi C-5, qui se concentre spécifiquement sur les obstacles fédéraux au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre, tire suffisamment parti des pouvoirs fédéraux pour générer des avantages économiques à l’échelle nationale? Selon vous, ce projet de loi est-il suffisant pour exploiter pleinement le potentiel lié à la suppression des obstacles au commerce?

Mme Raitt : Merci pour cette question, sénateur. Je vous en suis reconnaissante, et je vous félicite pour votre nouvelle fonction. Je sais que vous vous acquitterez bien de votre tâche.

Si je devais reprendre mon ancien rôle de législatrice, je dirais que la loi est rédigée de manière si générale qu’on pourrait supposer que vous avez la possibilité de faire ce que vous jugez nécessaire. En fin de compte, sénateur, je pense que la question est de savoir si vous disposez des structures adéquates pour prendre les décisions qui s’imposent et si vous serez en mesure de mettre en œuvre les décisions que vous avez prises.

Cette loi confère donc beaucoup de pouvoir à un ministre, à un gouvernement ou à un gouverneur en conseil, mais si le gouvernement ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour la mettre en œuvre, elle ne reste qu’un simple bout de papier.

Du point de vue du commerce, c’est là que réside le problème. Le fait est que, oui, le gouvernement dispose d’un pouvoir considérable et d’une grande capacité législative, mais en réalité, il arrive parfois qu’il ne les exerce pas de manière appropriée, rapidement ou de façon décisive. Le commerce exige de la certitude. La loi peut y contribuer, mais c’est lorsque les projets seront approuvés et mis en œuvre que les entreprises du monde entier seront rassurées.

Le sénateur Housakos : Je comprends, d’après vos commentaires, que vous croyez que le processus décisionnel sera fortement politisé. Selon ce qu’on peut voir, certains ministres auraient beaucoup de pouvoir pour ce qui est de déterminer comment les projets seront choisis. À votre avis, quelle structure serait plus appropriée pour que le monde des affaires puisse avoir confiance que le processus décisionnel est fondé non pas sur des considérations politiques, mais bien sur des modèles économiques pertinents?

Mme Raitt : Il faudrait avoir plus d’informations sur la manière dont les informations pertinentes se rendront jusqu’au décideur final. Par exemple, vous vous souvenez peut-être, sénateur, qu’à l’époque où nous étions au pouvoir, nous avions le Bureau de gestion des grands projets. Il était soutenu par un sous-comité de sous-ministres qui supervisaient réellement la progression des projets au sein du système et veillaient à ce qu’il y ait une coopération horizontale entre tous les ministères pour l’obtention des permis et autorisations nécessaires. Au final, tout remonte jusqu’au décideur final, mais avec la bonne quantité d’informations.

Les entreprises peuvent voir s’il existe des arbres décisionnels appropriés tout au long du processus. Elles savent à qui s’adresser au cours du processus. S’il y a des mécanismes de soutien appropriés, c’est moins opaque que lorsqu’un seul décideur prend une décision politisée.

La sénatrice Poirier : Bienvenue à vous deux. C’est un honneur de vous avoir avec nous aujourd’hui.

[Français]

Merci d’être ici tous les deux. Ma question s’adresse à M. Gallant.

[Traduction]

Ma question s’adresse à l’ex-premier ministre du Nouveau-Brunswick.

En tant que premier ministre, vous avez eu à trouver un équilibre entre les efforts pour encourager la mobilité interprovinciale des travailleurs et ceux visant à éviter un exode de la main-d’œuvre qualifiée de votre province vers les autres provinces. Les Néo-Brunswickois connaissent trop bien la question de la mobilité des travailleurs, puisqu’ils sont nombreux à se rendre dans les autres provinces pour le travail et à rentrer chez eux à intervalles réguliers.

À votre avis, est-ce que les mesures prévues à la partie 1 du projet de loi C-5 visant à accroître la mobilité de la main-d’œuvre risquent d’inciter davantage de gens des petites provinces, comme le Nouveau-Brunswick, à aller travailler dans les plus grands marchés?

M. Gallant : Merci beaucoup de votre question. C’est formidable de vous voir, sénatrice.

Premièrement, j’aime à penser que le Nouveau-Brunswick, les petites provinces et les petites collectivités peuvent rivaliser avec n’importe qui. En fait, je pense que la pandémie a montré que la région de l’Atlantique était un endroit très intéressant où vivre. Un peu partout au pays, les gens ont commencé à voir les avantages formidables que nous avons à offrir.

Deuxièmement, je veux que les Canadiens, y compris les Néo-Brunswickois, aient le sentiment que la prospérité économique est possible. Je l’ai dit dans le temps où j’étais premier ministre de ma province, et j’ai fait attention de bien choisir mes mots. Il est aussi important de permettre aux gens d’acquérir de l’expérience. Cela peut être une bonne chose. Quand j’étais un peu plus jeune, j’ai étudié à l’Université McGill pendant un an. Ce fut une expérience merveilleuse pour moi. Je suis ensuite revenu à Shediac Bridge et regardez-moi maintenant. Moi qui suis à Shediac Bridge, je suis invité dans cette magnifique enceinte.

Il n’y a rien de mal à laisser les travailleurs acquérir ce genre d’expérience. Chose certaine, je ne voudrais pas que quelqu’un reste dans une petite province simplement parce qu’il ne peut pas obtenir le certificat de compétence pour travailler ailleurs.

On incitera également les employeurs, y compris les gouvernements, qui emploient de nombreuses personnes ayant besoin de ce type de certificat pour déménager, à mieux rémunérer leurs employés et à leur offrir de meilleures conditions de travail. Il s’agit là d’une conséquence supplémentaire, bien que potentiellement involontaire, qui est en fin de compte favorable aux travailleurs.

Tout est-il bénéfique? L’esprit de votre question, à savoir si nous pourrions constater cette incidence, est tout à fait légitime. En collaboration avec les provinces, dont les champs de compétence et les efforts doivent être respectés, notre pays doit veiller à être bien conscient de ce risque et à prendre des mesures très concrètes et proactives pour tenter de l’atténuer.

La sénatrice Poirier : Si un afflux massif de travailleurs se produit, les répercussions potentielles sur les infrastructures locales vous préoccupent-elles, par exemple, dans le cas du système de santé et du logement, qui dépendent d’un accès stable à une main-d’œuvre qualifiée? Craignez-vous que, sans mesures de protection, le projet de loi C-5 aggrave involontairement les disparités régionales?

M. Gallant : Oui, c’est possible, et nous ne devons pas faire preuve de naïveté face aux difficultés qui pourraient surgir lorsque nous mettrons ces mesures en œuvre. Mais je me dis aussi que le gouvernement fédéral et les provinces sont capables de surmonter ces difficultés. En fin de compte, l’objectif est réalisable, et le résultat serait bénéfique. Par exemple, si des règles de certification des compétences sont établies à l’échelle nationale, une personne pourra travailler dans une autre province avec le certificat obtenu dans sa province. Pour pouvoir recruter de la main-d’œuvre et la retenir, chaque province devra veiller à ce que les travailleurs y soient heureux. Les mesures d’atténuation pourraient donc avoir des conséquences imprévues qui, en fin de compte, seraient bénéfiques pour les personnes et, espérons-le, pour la province.

Encore une fois, j’insiste sur ce point : je ne nie pas que des problèmes puissent se produire. Il s’agit d’une question tout à fait légitime, mais il existe d’autres politiques. Qu’il s’agisse de l’immigration, des sommes consacrées à l’éducation et la formation, ces politiques pourraient également contribuer à atténuer les problèmes. Il est important que le gouvernement fédéral sache que cette mesure pourrait créer des tensions et des difficultés pour les petites régions et les petites provinces, et que ces provinces agissent également en conséquence.

Cependant, comme je l’ai dit, la situation s’est un peu inversée durant la pandémie, du moins pour un certain temps. Par exemple, beaucoup de gens ont quitté l’Ontario et le Québec pour s’installer au Nouveau-Brunswick. Nous avons beaucoup à offrir. Nous pouvons rivaliser contre le reste du pays pour attirer les talents et les gens qui veulent vivre dans notre province et en faire partie. Je pense que toutes les provinces canadiennes partagent cette conviction.

La sénatrice Poirier : Y a-t-il des mesures que vous recommanderiez aux gouvernements provinciaux d’envisager afin d’atténuer les déficits de main-d’œuvre, tout en favorisant l’intégration nationale?

M. Gallant : Oui, j’en ai mentionné quelques-unes. Il est vraiment important de permettre aux gens d’acquérir l’expérience dont ils ont besoin. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable qu’une personne demeure dans une province pour la seule raison qu’elle n’a pas accès à des emplois ou à des débouchés ailleurs, et ce, à cause de problèmes de certification des compétences. Nous ne devrions pas adopter cette approche pour augmenter notre main-d’œuvre. Le meilleur moyen d’y arriver, c’est de faire du recrutement, puis de rémunérer généreusement les travailleurs, de bien les traiter, de les fidéliser et de veiller à ce que nos collectivités disposent des infrastructures dont ils ont besoin pour y mener une vie épanouissante. De plus, investir dans l’éducation et la formation, y compris dans l’enseignement postsecondaire, ainsi que dans les politiques d’immigration, nous permettra de disposer de la main-d’œuvre dont nous avons besoin.

Avant de devenir premier ministre du Nouveau-Brunswick, j’étais — il y a longtemps de cela — leader étudiant à l’Université de Moncton. Cet établissement est la plus grande université francophone en Amérique du Nord, à l’extérieur du Québec, bien sûr. Je voulais voir qui m’écoute encore.

(1710)

Pendant mes études à cette université, j’ai milité pour l’accessibilité et l’abordabilité des études postsecondaires dans le cadre de mes fonctions au sein de la fédération étudiante. Je me souviens de la publication d’un rapport très troublant où le Canada faisait piètre figure dans le classement de 60 États en matière d’accessibilité et d’abordabilité des études postsecondaires. Si ma mémoire est bonne, le Nouveau-Brunswick occupait la 57e place sur 60.

Ce qui est vraiment intéressant, c’est la manière dont les auteurs du rapport sont parvenus à ces conclusions : ils ont examiné le coût des études postsecondaires, principalement des études universitaires dans ce cas-ci, mais également des études collégiales. Combien les étudiants avaient-ils payé à la fin de leurs études? Quelle somme devaient-ils rembourser? À quoi ressemblait leur dette? Puis, quels types d’emplois ont-ils trouvés et quelle était leur capacité à rembourser leur dette?

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour à tous et merci d’être ici.

Madame Raitt, comme vous l’avez dit, vous êtes la coprésidente de la Coalition pour un avenir meilleur, qui affirme sur son site Web que le programme de croissance doit être durable sur le plan environnemental.

Comment le projet de loi C-5 s’inscrit-il dans cette définition? Après tout, le projet de loi visant à bâtir le Canada prévoit, à l’article 5, que le gouvernement peut tenir compte — c’est seulement une possibilité — de la contribution du projet à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques. Ce libellé vous semble-t-il suffisamment fort? Qu’en pensez-vous?

Mme Raitt : Dans le fond, sénatrice, cela revient à la réponse que j’ai fournie plus tôt au sénateur Housakos, à savoir que tout dépend de l’exercice du pouvoir. Le libellé de la loi est très vague et donne effectivement carte blanche au ministre — quel qu’il soit — à bien des égards pour déterminer laquelle des lois s’applique.

Cependant, les contribuables vont porter attention aux résultats, c’est-à-dire qu’ils vont remarquer si un gouvernement ou un ministre fait quelque chose d’extrêmement étrange ou décide d’éviter ou d’ignorer des pans entiers de nos lois qui sont vraiment importantes pour respecter les valeurs des Canadiens.

Les Canadiens ne ferment pas les yeux et ils ont la capacité et les moyens d’évaluer si leur gouvernement fait du bon travail ou non.

En fin de compte, le premier ministre, le gouvernement, les députés de l’opposition, tous les élus veulent conserver leur siège, donc ils vont se laisser guider par ce qui est dans leur intérêt. Cependant, le gouvernement a manifestement jugé qu’il a besoin de ce pouvoir très étendu — qui est certes très large et aussi, probablement, terrifiant —, car, en substance, il demande aux Canadiens : « Accordez-nous votre confiance. Nous allons faire du bon travail. »

Dans la première partie de mon discours d’aujourd’hui, j’espère avoir bien expliqué aux sénateurs que la situation est urgente et qu’il faut agir. L’approche actuelle ne fonctionne pas. Nous perdons du terrain, et nous allons perdre des choses que nous chérissons et auxquelles nous tenons dans ce pays si nous ne faisons rien pour l’économie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’en est-il du climat?

Mme Raitt : Il ne fait aucun doute qu’il faut également tenir compte du climat. Cependant, si on ne fait pas ce qu’il faut pour l’économie, nous ne pourrons pas mettre en œuvre des mesures pour réduire les émissions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je pense que je connais la réponse, mais le projet de loi C-5 devrait-il contenir des mesures plus rigoureuses en matière de protection de l’environnement, et devrait-il être plus direct en précisant, par exemple, que les projets d’intérêt national ne devraient pas faire augmenter les gaz à effet de serre au Canada?

Mme Raitt : Je crois que si vous commencez à proposer au gouvernement d’associer diverses conditions du genre, cela ouvrira la porte à l’ajout d’autres types de conditions. C’est une question de priorités.

Est-ce que la définition d’un projet d’intérêt national inclut ceci ou cela? Le projet de loi est très vague à ce sujet et ne précise aucune condition.

Vous pouvez le proposer au gouvernement, mais je doute qu’il l’accepte, car il veut se donner autant de pouvoir et de marge de manœuvre que possible.

Pour sa part, la coalition ne prescrit pas au gouvernement les politiques à instaurer. Toutefois, c’est clair que nous évaluons celles qu’il choisit d’instaurer pour déterminer si elles sont judicieuses.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Je vais demander à M. Gallant de continuer cette conversation.

Jugez-vous que le langage utilisé dans ce projet de loi est suffisamment clair pour que nous continuions de respecter nos engagements climatiques? C’est très bien d’avoir une superéconomie, mais si la planète brûle, nous n’avançons pas tellement.

M. Gallant : Je suis d’accord avec votre commentaire final. Il est important de réaliser que ce projet de loi touchera plusieurs secteurs, sans aucun doute, mais qu’il ne représente pas le plan du gouvernement fédéral pour toutes les questions dont nous devons traiter comme pays. En résumé, le fait que le projet de loi indique qu’il faut avoir des projets —

[Traduction]

... pouvant contribuer à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques...

[Français]

— signifie que le gouvernement pourra dire publiquement, comme je l’espère, en tout cas : « Voici nos objectifs, voici nos cibles de réduction des gaz à effet de serre. » Je ne sais pas si ce sera au moyen d’un projet de loi, mais j’espère que ce sera fait publiquement. Cet engagement sera le mécanisme par lequel le gouvernement sera responsable en ce qui concerne les changements climatiques. Certains projets pourraient être très utiles pour l’environnement ou pour le pays, mais ils pourraient aussi faire augmenter légèrement les gaz à effet de serre. Si nous utilisons le langage strict dont vous avez discuté avec Mme Raitt, cela voudrait dire que ces projets ne pourraient pas progresser, même si nous réussissons, dans l’ensemble, à atteindre nos cibles de réduction des gaz à effet de serre.

Il ne faut donc pas dire que ceci représente maintenant le seul plan du gouvernement fédéral. Il y aura d’autres engagements et d’autres projets de loi.

Le président : Merci, monsieur Gallant.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Bienvenue à vous deux, et merci d’être avec nous aujourd’hui.

Mme Raitt, c’est un plaisir de vous revoir à Ottawa.

Je pense que le projet de loi répond à certaines des principales recommandations formulées dans le dernier tableau de bord de la Coalition pour un avenir meilleur, qui, selon moi, met en évidence l’excellent travail accompli par la Coalition. Je vous remercie de l’avoir rédigé.

Dans votre rapport, vous mentionnez l’écart de productivité considérable du Canada et vous soulignez le fait que la seule voie infaillible vers une croissance durable consiste à accroître la productivité, en précisant qu’il faut d’abord créer un environnement plus propice à l’investissement. Dans cette optique, pensez-vous que le projet de loi C-5 établit les conditions nécessaires pour faire du Canada une destination plus attrayante pour les investissements nationaux et internationaux?

Deuxièmement, la coalition a-t-elle fait des projections concernant les répercussions que l’augmentation de la productivité pourrait avoir sur l’économie canadienne, notamment du point de vue de la croissance, du niveau de vie et de salaires?

Mme Raitt : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question et de votre accueil chaleureux à Ottawa. Pour tout vous dire, je ne reviens pas souvent ici.

Pour ce qui est de la dernière partie, non, la Coalition pour un avenir meilleur ne finance pas et ne cherche pas à financer des études établissant un lien entre ces facteurs économiques. Nous nous en remettons à d’autres instances comme la Chambre de commerce du Canada, le Conseil canadien des affaires, ou d’autres organismes qui peuvent suivre l’évolution de ces facteurs. Nous évaluons la situation du point de vue de ce qui s’est passé au cours des deux dernières années.

En ce qui concerne votre question sur les investissements à l’échelle nationale et internationale, je dirais que je reste mitigée. Je peux vous dire que ce qui se passe actuellement n’attire absolument pas les investissements nationaux et internationaux. C’est un fait quantifiable.

J’espère que le contenu suffira à amener les investisseurs à se dire : « Je vois qu’il y a de la certitude autour du processus réglementaire, je vois combien de temps il me faudra pour obtenir un permis ou une autorisation, et je comprends par quel processus je dois passer. » Tout cela peut vraiment les aider à prendre des décisions en fin de compte.

Mais il faut vraiment miser aussi sur cet autre élément très important de la certitude en matière d’investissement : la collaboration avec nos communautés autochtones et l’assurance qu’elles sont des partenaires dans le cadre de ces projets. C’est extrêmement important, et c’est ce qui est prévu ici.

J’espère que l’on prendra le temps nécessaire pour répondre aux préoccupations de la Coalition de grands projets des Premières Nations et des autres témoins que vous allez entendre à ce sujet.

Le sénateur Loffreda : Madame Raitt, en tant qu’ancienne ministre des Ressources naturelles et ancienne ministre des Transports, vous vous souvenez peut-être du rapport de 2016 du Comité sénatorial des banques. Je n’entrerai pas dans les détails, mais le rapport s’intitulait Des murs à démolir : Démantèlent des barrières au commerce intérieur au Canada. On y trouve quelques recommandations clés, notamment celle de créer un corridor national, etc.

(1720)

Je mentionne ce rapport parce que je vois un lien clair entre sa vision et les objectifs énoncés dans le tableau de bord de votre coalition, où vous insistez beaucoup sur la réduction du fossé entre les régions urbaines et rurales — la priorité accordée au développement rural n’a jamais été aussi forte — en qualifiant cela d’impératif économique.

Dans ce contexte, considérez-vous le projet de loi C-5 comme une première étape importante pour la création d’un corridor national, où les collectivités rurales jouent un rôle essentiel pour la résilience et la croissance économique à long terme du Canada?

Mme Raitt : Je l’espère sincèrement, sénateur. Il appartient au gouvernement de mettre en œuvre le plan qu’il a présenté aux Canadiens. J’espère qu’il le fera.

La sénatrice Pupatello : Bienvenue au Sénat. J’ai une question pour vous deux. Elle concerne votre expérience du domaine des grands projets. Reconnaissons d’emblée que de nombreux petits détails peuvent accélérer le processus sans nécessairement lui nuire.

Prenons par exemple les expressions « traiter une EE de manière séquentielle » et « traiter une EE de manière simultanée ». Il y aurait un niveau provincial et un niveau fédéral qui fonctionneraient en parallèle. Dans de nombreux cas, nous avons réussi à réduire de plusieurs mois le processus de préparation des rapports.

Avez-vous d’autres expériences qui vous ont permis de raccourcir et d’améliorer le processus? Monsieur Gallant, lorsque vous avez mentionné la productivité, pensez-vous que cette législation peut faire bouger les choses dans ce domaine où tout le monde s’accorde à dire que le Canada est à la traîne, du moins par rapport à nos homologues américains?

Mme Raitt : Mon premier véritable emploi a été celui de conseillère juridique pour l’Administration portuaire de Toronto. Nous envisagions de construire un pont reliant le centre-ville de Toronto à l’aéroport de l’île. Ce fut ma première expérience des évaluations environnementales. Il s’agissait d’une évaluation fédérale.

Je venais de commencer ma carrière d’avocate, et j’ai naïvement convoqué une réunion avec toutes les entités fédérales qui pourraient souhaiter donner leur avis sur la réglementation du pont. Dix-huit personnes se sont présentées dans ma salle de réunion. J’ai été très surprise. J’ai gardé cette expérience à l’esprit lorsque je suis devenue ministre des Ressources naturelles, le fait que ces personnes n’étaient pas en quête d’une excuse pour quitter leur bureau afin de venir à une réunion; qu’elles avaient toutes des niveaux de compétence variés et distincts, qu’elles devaient exercer pour arriver au bon endroit.

Il est tout à fait logique de tout regrouper sous un seul système, un seul concierge en quelque sorte. Sénatrice, très franchement, c’est au fruit qu’on juge l’arbre. Ce système était en place en 2007 sous le gouvernement Harper, et il est resté en place jusqu’en 2020, date à laquelle, malheureusement, on a supprimé son financement.

Je suis certaine que le bureau de gestion des grands projets a une bonne mémoire musculaire. Beaucoup de gens s’en souviennent encore. Il pourrait nous ramener à la situation antérieure et garantir qu’au lieu d’avoir dix-huit personnes dans une salle, une seule, peut-être, se présente.

M. Gallant : Tout d’abord, en ce qui concerne le premier point, il y a l’idée de l’examen stratégique des programmes — et l’ancienne ministre qui a dirigé ce projet au Nouveau-Brunswick est présente dans cette enceinte. Les unités de réalisation des priorités que nous avons créées au sein du gouvernement du Nouveau-Brunswick ont été l’une des mesures qui nous ont été des plus utiles du point de vue du processus. Comme vous l’avez souligné, cela a simplement permis de garantir que nous continuions à discuter des projets et à faire avancer les choses pendant chaque trimestre.

Nous nous réunissions, et les gens savaient que cette réunion avait eu lieu. Les gens tentaient donc de faire avancer les choses avant la réunion. Lors de la réunion, des personnalités politiques et des ministres étaient présents. Nous leur demandions : « Que pouvons-nous faire pour faire avancer les choses? Avez-vous besoin de notre approbation ou de nos conseils? » À elle seule, cette réunion nous permettait déjà de gagner du temps. Le fond restait le même, mais cela nous permettait simplement de nous concentrer sur l’essentiel, si vous voulez.

Pour ce qui est de la deuxième partie, oui, ce projet de loi peut certainement contribuer à améliorer la productivité. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, je pense que le retard du Canada en matière de productivité devrait être l’une de nos principales préoccupations d’un point de vue économique, car il est étroitement lié au niveau de vie. Les projections montrent que la productivité n’évolue pas dans la bonne direction au Canada, par rapport aux autres pays de l’OCDE.

Si vous y réfléchissez bien, plusieurs mesures peuvent nous aider à être plus productifs. En ce qui concerne les infrastructures, ce projet de loi semble axé sur la réalisation de projets d’infrastructure.

Accès aux capitaux et déploiement des capitaux : ce projet de loi semble vouloir inciter les gens à investir.

Innovation : de nombreux projets ambitieux pourraient bien sûr faire appel à l’innovation, notamment aux capacités spatiales; je me contenterai d’ajouter cela.

Cadre réglementaire : il s’agit de garantir qu’un cadre réglementaire puisse être mis en place plus rapidement.

Marchés : nous avons besoin de marchés ouverts. Nous devons pouvoir accéder aux marchés grâce à des infrastructures logistiques, mais nous devons aussi être compétitifs pour que nos produits et services trouvent des acheteurs.

Enfin, nous avons besoin de gens : en réponse à votre collègue sénatrice qui en parlait pour les petites provinces, ce projet de loi n’aborde pas vraiment cette question, mais nous devons certainement veiller à ce que les provinces et le gouvernement fédéral comprennent qu’un autre aspect de l’augmentation de la productivité consiste à investir dans la population, dans l’éducation, dans la formation et dans des politiques d’immigration adéquates et solides.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie tous les deux d’être ici. J’ai eu l’occasion de m’entretenir brièvement avec vous à l’extérieur. Je tiens à répéter que j’ai l’impression d’être l’animateur du « Vassy Kapelos Show » et d’occuper les banquettes ministérielles, car les deux tiers des députés sur les banquettes ministérielles sont présents aujourd’hui. C’est formidable d’avoir les deux tiers, merci.

Comme vous le savez, le projet de loi C-5 prévoit un certain nombre de facteurs dont le gouverneur en conseil doit tenir compte. L’un des témoins a déjà parlé d’un de ces facteurs, soit la contribution à la croissance propre et ainsi de suite.

Il est également question de renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada, de procurer des avantages économiques ou autres au Canada, d’avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie et de promouvoir les intérêts des peuples autochtones.

D’après votre expérience en tant qu’ancien premier ministre, en tant qu’ancien ministre — notamment dans le domaine des transports — et en tant que PDG, selon vous, quels autres facteurs pourraient être pris en considération ou devraient être pris en considération en plus de ceux qui ont été énoncés?

M. Gallant : Sénateur Quinn, je suis ravi de vous voir, vous qui venez de la merveilleuse province du Nouveau-Brunswick.

Si je peux me permettre d’être franc devant tant d’amis, il ne fait aucun doute que la liste est exhaustive, notamment parce que l’alinéa 6b) précise : « des avantages [...] autres au Canada ».

Le gouvernement fédéral s’est certainement laissé une porte ouverte pour pouvoir justifier l’ajout de certains projets sur la liste. Il convient de le noter.

Sans cette disposition, nous pourrions également débattre de certains projets qui peuvent nous aider à mener une vie plus saine et plus heureuse. C’est évidemment bénéfique pour l’économie et, à d’autres égards, pour le pays. Je ne vais pas passer en revue la liste des autres éléments qui pourraient être importants, mais qui ne figurent pas sur cette liste.

Toutefois, je pense que la façon dont le gouvernement a structuré le mécanisme lui laisse une certaine marge de manœuvre pour ajouter des projets.

Cela dit, il est assez évident — du moins d’après le libellé et l’esprit du projet de loi — qu’on parle ici de grands projets. On parle de productivité économique et d’infrastructures. Dans ce cas, j’estime qu’il s’agit des bons projets. Encore une fois, je pense que ce petit bout de phrase donne une certaine marge de manœuvre au gouvernement.

Mme Raitt : Oui. Monsieur le sénateur, entre le préambule du projet de loi et ces facteurs, le gouvernement et le ministre disposeront d’une grande marge de manœuvre.

Si je devais leur suggérer un autre élément à prendre en considération — car, comme vous l’avez dit, ils ont la possibilité de tenir compte de tout autre facteur pertinent —, bien franchement, je leur dirais qu’ils doivent déterminer si le secteur privé est intéressé ou non à investir dans le projet.

Il y a une limite au nombre de projets qu’un gouvernement ou les contribuables canadiens peuvent soutenir à eux seuls. Le gouvernement devrait examiner les projets qui sont entièrement soutenus par des investisseurs privés désireux de réaliser ce type de projets d’intérêt national importants et de les mener à bien afin que ce ne soit pas toujours au gouvernement de devoir délier les cordons de la bourse ou accorder des crédits d’impôt. J’aimerais que le gouvernement y réfléchisse également.

Le sénateur Quinn : Mme Raitt, je vous remercie pour l’exemple que vous avez donné du temps où vous étiez PDG à Toronto et que 18 personnes se sont présentées dans votre salle de conférence. Cela arrive beaucoup trop souvent.

Hier, nous avons reçu les ministres LeBlanc et Alty. Ils ont parlé de la rationalisation du processus, ce qui est important, en plus d’évoquer les consultations.

Monsieur Gallant, pouvez-vous nous donner un exemple tiré de votre mandat en tant que premier ministre de la province? Je sais que nous ne sommes plus à la même époque, mais pourriez-vous nous donner un exemple de grand projet qui aurait pu voir le jour et être mené à bien si des dispositions semblables avaient été en vigueur?

M. Gallant : C’est une excellente question. Je ne suis plus actif en politique, mais ceux qui l’ont déjà été — et je sais que beaucoup d’entre vous ont suivi une formation sur les médias — éviteront de répondre à des questions hypothétiques. Je vais néanmoins m’y risquer. Les conséquences ne me semblent pas si graves.

La réponse générale est qu’un certain nombre de grands projets auraient très probablement progressé davantage, voire être complétés.

J’aimerais ajouter un point très important : à mon avis, certains projets auraient été rejetés plus rapidement. Et cela aussi, c’est précieux, n’est-ce pas? C’est important, et on revient à l’une des questions posées par vos collègues.

(1730)

L’esprit et, à mon avis, le libellé du projet de loi ne visent pas forcément à changer la teneur des processus et des agences et organismes de réglementation du ministère qui passent en revue un projet. Il s’agit plutôt d’accélérer le processus et d’obtenir une réponse plus rapidement, ce qui n’est pas négligeable.

Le fait qu’un promoteur puisse se faire une idée en quelques mois, deux ans au maximum, est utile. Il y a le projet de pipeline, dont beaucoup ont évidemment parlé et que vous connaissez bien, sénateur Quinn, compte tenu de la région dont vous venez. L’idée d’un pipeline a été débattue pendant des années, de nombreuses années, et bien des gens ont consacré beaucoup de temps et d’efforts à en parler, à y réfléchir, à essayer de déterminer si ce serait possible.

Obtenir une réponse plus tôt, qu’elle soit positive ou négative, aurait été bénéfique pour tout le monde et les gens auraient pu passer à autre chose, se tourner vers d’autres projets si la réponse avait été négative; et, bien sûr, si la réponse avait été positive, le projet aurait pu avancer.

[Français]

La sénatrice Henkel : Monsieur Gallant, merci d’être parmi nous aujourd’hui; je suis très heureuse de vous revoir et cela fait du bien de constater que vous êtes toujours aussi passionné.

Lorsque vous étiez premier ministre du Nouveau-Brunswick, vous avez sans doute été confronté aux défis liés aux barrières du commerce intérieur qui freinent souvent la collaboration entre provinces et territoires. Quels types d’obstacles ont nui à la mise en œuvre de certains de vos projets?

Selon votre expérience, quels moyens concrets permettraient de mieux intégrer les PME et les entrepreneurs en région — qui sont souvent peu outillés pour répondre aux grands appels d’offres — dans les stratégies visées par le projet de loi C-5?

M. Gallant : C’est un plaisir de vous revoir, madame la sénatrice. Selon moi, il y a plusieurs exemples, si je peux me permettre d’être très franc avec vous tous et toutes. Quand j’étais en poste, j’ai fait partie des premiers ministres du pays qui ont signé l’Accord de libre-échange canadien. Honnêtement, cela me frustre un peu de savoir qu’il y a encore des détails en matière de réglementation qui nuisent à la mobilité et aux échanges de biens entre les provinces et les territoires auxquels les Canadiens devraient avoir droit. C’est un rappel que même si nous étions tous autour de la table, prêts à signer et à travailler ensemble, nous avons encore des banalités à régler. De leur côté, les Canadiens sont prêts à faire avancer l’harmonisation des règlements.

Pour les PME, je pense que c’est très important que les règlements soient harmonisés, parce que cela leur permet de faire des affaires dans les autres provinces. Cela fait en sorte que les PME du Nouveau-Brunswick peuvent vendre leurs produits en Ontario et au Québec, par exemple. Il est plus facile pour les grandes entreprises du Nouveau-Brunswick de trouver des façons d’atténuer les problèmes, de relever les défis et d’absorber les coûts associés à des règlements qui ne sont pas harmonisés que pour les petites et moyennes entreprises. Il est même difficile pour ces dernières de comprendre les différences entre les règlements. Je pense que ce projet de loi aidera toutes les entreprises et les PME à cet effet.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à l’honorable Lisa Raitt. En 2022, RBC a publié un rapport intitulé 92 à zéro : Comment la réconciliation économique peut contribuer à la réalisation des objectifs climatiques du Canada. Le rapport souligne que la transition vers un Canada à zéro émission :

[...] reposera sur des sources cruciales de capitaux conservés par les nations autochtones. RBC estime que le Canada aura besoin d’environ 2 billions de dollars de capitaux au cours des 25 prochaines années, une grande partie de ces fonds provenant de sources autochtones, ou de partenariats autochtones, notamment de propriétés autochtones.

Le rapport souligne aussi que « [l]es terres autochtones comportent d’importantes ressources essentielles aux systèmes énergies vertes [y compris] 56 % des nouveaux projets de mines de minéraux critiques [...] ».

Compte tenu de l’urgence du développement économique, si le gouvernement envisage de donner la priorité à certains projets de minéraux critiques qui concernent des terres autochtones en ayant recours à une participation et une consultation significatives, ce sera porteur de possibilités substantielles pour l’autodétermination des Autochtones, je crois. Si vous avez suivi les délibérations jusqu’à présent, vous savez qu’il existe certaines préoccupations au sujet de la participation et de la consultation significatives qui sont requises. J’aimerais avoir des conseils pour les partenaires autochtones.

Auriez-vous une recommandation à faire aux partenaires autochtones à propos d’une stratégie qui viserait à préparer le terrain, à agir de façon proactive et à renverser la séquence habituelle, c’est-à-dire à inviter le gouvernement à venir à la table pour lui exposer leurs attentes à propos de leur participation au processus?

Mme Raitt : Merci beaucoup, sénateur. Je tiens à vous dire que, dans le cadre de mon travail à la CIBC, j’ai été très fière de faire partie d’une équipe qui a travaillé pour le compte de la nation Haisla sur le projet Cedar LNG. Nous l’avons aidée à trouver le financement nécessaire pour devenir l’actionnaire majoritaire de Cedar LNG. Ce fut une expérience très enrichissante. Je sais un peu ce que c’est que d’essayer d’obtenir un « oui » dans le cadre de négociations.

Le gouvernement se donne les pouvoirs nécessaires pour faire avancer des projets nationaux, mais ce ne sont que des pouvoirs sur papier. En réalité, le pouvoir réside dans le partenariat entre les promoteurs et les communautés autochtones. Et c’est aux communautés autochtones de décider si elles souhaitent ou non devenir des partenaires financiers à part entière. La décision leur appartient totalement.

Même si on désigne un projet « priorité nationale », il sera très difficile pour un conseil d’administration d’accorder l’approbation finale en matière d’investissement en l’absence d’une collaboration véritable avec une communauté autochtone, sans sa participation et sans un véritable partenariat avec elle, car, pour dire les choses franchement, cet aspect sera toujours déterminant.

Comme le dit Sharleen Gale, présidente de la Coalition de Premières Nations pour les grands projets, vous devez nous faire participer, car nous allons réellement faciliter les choses tout au long du processus. Indépendamment de ce que dit le projet de loi, il incombera toujours aux entreprises et aux promoteurs de faire le nécessaire, c’est-à-dire de collaborer avec la communauté des Premières Nations, d’obtenir son consentement et ses conseils, puis d’œuvrer en partenariat avec elle tout au long du processus.

Rien ne peut se faire sans elles. Pour citer J.P. Gladu, tous les chemins qui mènent aux ressources passent par les communautés autochtones de ce pays.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos deux invités. Ma question s’adresse à vous, monsieur Gallant. Lorsque vous étiez premier ministre, vous avez été confronté à des défis fréquents en ce qui a trait à l’alignement entre les cadres réglementaires fédéraux et provinciaux. La double évaluation des projets, parfois contradictoire ou redondante, a souvent freiné l’élan des gouvernements provinciaux. Le projet de loi C-5 est-il assez complet pour contribuer à adapter la réalité des provinces, et favorise-t-il vraiment une coordination efficace entre les deux ordres de gouvernement?

M. Gallant : Merci, madame la sénatrice. Je pense qu’il est évident que ce projet de loi vise plus que jamais à harmoniser les cadres réglementaires des provinces et du gouvernement fédéral pour éviter le dédoublement ou la redondance. J’espère qu’il y parviendra.

Je suis Canadien et je souhaite que les règlements et les protections soient les mêmes d’une province à l’autre. Selon moi, c’est le rôle du gouvernement fédéral de demander aux provinces et aux territoires d’harmoniser les règlements ou d’adopter un projet de loi qui va essentiellement jumeler les processus des provinces. C’est une chose courante en matière de mobilité des travailleurs; les provinces alignent leurs méthodes de certification sur celles des autres provinces en espérant que la même chose se passe du côté fédéral.

Je ne sais pas si le gouvernement sera capable de le faire, parce qu’il a besoin de l’appui des provinces et des territoires. En ce qui a trait aux territoires, c’est différent en raison de l’évaluation des impacts. Je pense que c’est faisable et qu’il s’agit du projet de loi le plus prometteur jamais vu, donc j’espère qu’il sera adopté.

(1740)

Je peux vous dire que lorsque j’étais premier ministre, j’aurais dit la même chose : j’aurais été tout à fait prêt à ce que le gouvernement du Nouveau-Brunswick harmonise son cadre réglementaire avec le gouvernement fédéral pour réaliser des projets majeurs et j’aurais été bien fier d’engager des négociations avec les premiers ministres des autres provinces pour négocier avec le gouvernement fédéral.

[Traduction]

Le sénateur Wilson : Étant donné que le projet de loi vise à traiter des questions de compétence fédérale liées au commerce interprovincial, la plupart des enjeux relèvent de la compétence provinciale. Selon vous, que pourrions-nous faire pour que l’attention reste focalisée sur cette question une fois que les projecteurs ne seront plus braqués là-dessus?

Mme Raitt : C’est au gouvernement fédéral, au ministre fédéral responsable, de continuer à soutenir les provinces lorsqu’elles chercheront à éviter d’avoir une liste d’exceptions malgré leur engagement à éliminer les barrières. Après tout, elles pourraient dire qu’il n’y a plus de barrières commerciales interprovinciales tout en conservant parallèlement une liste de choses exemptées. Il faut les encourager à y renoncer.

M. Gallant : À mon avis, il s’agit là d’un conseil très pratique. Je vous garantis que si les premiers ministres provinciaux qui ont signé l’Accord de libre-échange canadien en 2017 avaient su que telle ou telle exception existerait encore aujourd’hui, ils auraient été bien en mal de se l’expliquer.

Il faut que le gouvernement fédéral serve de ressource aux premiers ministres pour leur faire garder le cap au sujet des exceptions, pour les aider à y arriver. Après tout, je pense que la volonté politique était là, mais que, pour une raison ou une autre, la démarche est restée en suspens. Voilà pourquoi je trouve que c’est une excellente question. Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle à cet égard.

Mme Raitt : Oui.

Le sénateur Dean : Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous vous savons gré d’être venus tous les deux.

Félicitations, M. Gallant, pour vos initiatives en matière de livraison, que j’ai eu l’occasion de voir de près.

Nous disposons d’une estimation incontestable selon laquelle la suppression des obstacles au commerce intérieur entraînerait une augmentation d’au moins 4 ou 5 % du PIB, au strict minimum. Il est impossible de trouver ailleurs un potentiel aussi rapide à exploiter, mais une question demeure : comment va-t-on s’y prendre? Que faudra-t-il faire pour mener la démarche à bon terme, et quels obstacles devra-t-on surmonter pour y arriver?

Je vais demander à Mme Raitt de répondre la première.

Mme Raitt : Nous devons croire les premiers ministres provinciaux lorsqu’ils disent vouloir éliminer les obstacles au commerce interprovincial, même si cela signifie, sénateur, que des provinces risquent de perdre des emplois dans certains secteurs, et c’est là que le bât blesse. C’est une question difficile, et c’est pourquoi elles finissent par prévoir des exceptions pour telle ou telle chose.

Il faut leur apporter du soutien et leur rappeler que le moment est venu de créer une « économie unifiée », que c’est l’occasion de le faire et qu’il faut avoir le courage d’aller de l’avant pour y parvenir. Sinon, vous avez raison : nous nous retrouverons avec 2 %, 1 %, voire avec rien du tout.

M. Gallant : Je vais ajouter deux points très rapidement. Nous sommes à la croisée des chemins et nous ne devons pas laisser l’occasion filer. Je pense que c’est extrêmement important. Je sais que beaucoup de gens se demandent pourquoi ce projet de loi avance si vite. L’échéancier n’est peut-être pas idéal, sauf que nous devons saisir cette occasion. Le gouvernement est en situation minoritaire, alors il pourrait durer 18 mois, 2 ans et demi, 3 ans, qui sait. C’est, une minorité plus forte avec un nombre de sièges plus élevé que la précédente, d’où, je suppose, la possibilité que son mandat dure longtemps, mais quoi qu’il en soit, nous sommes à la croisée des chemins.

En fait, en ce qui concerne le projet de loi, il est toujours question de 2 ans. Pensez-y : en ce moment, les Canadiens sont en faveur de l’élimination des obstacles internes et ouverts aux grands projets. Cependant, si les choses se passent comme toujours et qu’il faut donc cinq ans, le gouvernement minoritaire ne sera plus là, et l’occasion aura filé.

L’autre chose que je voudrais dire à propos de votre argument — qui me semble très pertinent —, c’est que je n’ai jamais vraiment compris l’idée selon laquelle certaines régions pourraient perdre des emplois, mais que dans l’ensemble, la population, la province et le pays s’en trouveraient mieux parce que d’autres régions se développeraient grâce au libre-échange à l’intérieur du pays, ce qui est le concept même du libre-échange. Or, lorsque nous signons des accords, nous aidons parfois les industries en cause en leur disant : « Nous savons que vous allez peut-être avoir un peu de mal, alors pourquoi ne trouverions-nous pas un ensemble de mesures », faute d’un meilleur terme, « pour que la transition de votre industrie, de votre groupe ou de votre région », peu importe de quoi il s’agit, « se fasse plus en douceur? »

Puisque le libre-échange à l’intérieur de notre propre pays risque d’avoir le même genre d’effets, je ne comprends pas pourquoi nous ne ferions pas la même chose.

Le sénateur Dean : Quel est le principal obstacle ou la principale barrière à la mise en œuvre de l’essentiel du projet de loi, en ce qui concerne les grands projets?

Mme Raitt : C’est le manque de courage. Il faut avoir le courage de prendre une décision et de confier aux personnes compétentes le pouvoir d’y donner suite. Voilà ce à quoi cela se résume.

Sénateur, le gouvernement prévoit d’étendre ses pouvoirs de façon inédite, alors très franchement, il doit s’attendre à devoir rendre des comptes sur la réalisation ou non de ces projets. Si les Canadiens lui confient les rênes du pouvoir, alors le gouvernement se doit de mener à bien ces projets. C’est là une lourde responsabilité, et j’espère qu’il ne la prendra pas à la légère.

M. Gallant : Je commencerai par dire qu’il est extrêmement important pour nous de souligner que les peuples autochtones au pays méritent que le gouvernement fédéral fasse progresser la réconciliation, qu’ils ont le droit d’être consultés quand leurs droits sont susceptibles d’être touchés et qu’ils ont droit à des mesures d’adaptation. Il faut le dire clairement.

Je pense que le gouvernement fédéral en est conscient, mais je tiens tout de même à préciser que même s’il tente implicitement de laisser entendre qu’il pourrait modifier quelque peu cet élément, il ne peut pas le faire. C’est un droit, et c’est immuable.

En tant que Canadien soucieux de faire progresser la réconciliation avec les Autochtones, cela ne m’inquiète pas vraiment, car je sais que ce droit existe et qu’il ne sera pas supprimé par cette loi. S’il y a des divergences dans la compréhension des gens sur la manière dont les choses doivent se passer, il pourrait s’agir d’un obstacle. Il sera extrêmement important que le gouvernement fédéral comprenne que s’il souhaite désigner un projet comme étant d’intérêt national, il doit mettre en place un groupe de travail composé de personnes qui diront : « Nous savons ce qu’est l’obligation de consulter. Nous savons ce qui est requis. Nous allons nous mettre au travail et faire les choses correctement. Nous allons écouter les communautés. »

Comme l’a dit votre collègue, ce n’est pas parce qu’on essaie d’accélérer les choses qu’on peut affirmer que le processus d’obligation de consulter sera différent.

À cet égard, du côté des peuples autochtones, je voudrais humblement suggérer qu’ils puissent également se dire : « Nous devons participer aux projets. Nous devons avoir le sentiment d’être entendus et nous avons le droit d’être consultés. Nous serons prêts nous aussi à participer. »

Notre pays vit un moment particulier, et si le gouvernement fédéral et les peuples autochtones peuvent dire : « Nous ne savons pas nécessairement quelle sera l’issue de l’obligation de consulter et d’accommoder, mais nous sommes tous deux prêts à nous engager à essayer de faire les choses un peu plus efficacement. » Autrement dit, il vaudrait mieux que les ressources du gouvernement fédéral soient déployées dès qu’un projet d’intérêt national est désigné.

La sénatrice Simons : Monsieur Gallant, je vais commencer par vous. Il ne fait aucun doute que le Canada est vulnérable en raison de sa dépendance au système de fusées SpaceX et au réseau de satellites Starlink d’Elon Musk, et je dirais qu’il serait préférable pour notre pays de faire un projet d’importance nationale des réseaux de satellites en orbite basse terrestre. En revanche, je ne vois pas très bien comment cela s’inscrit dans le projet de loi C-5, qui met tout l’accent sur la simplification des mesures environnementales et de la réglementation.

Voyez-vous un moyen de faire en sorte qu’un réseau de satellites en orbite basse terrestre ou qu’une augmentation de notre capacité à lancer nos propres satellites dans l’espace puisse s’inscrire dans ce projet de loi?

M. Gallant : Madame la sénatrice, mes anciens employeurs, c’est-à-dire les habitants du Nouveau-Brunswick, seront ravis d’entendre bien des questions posées dans cette enceinte. Mes employeurs actuels vont beaucoup aimer votre question; alors je vous remercie de me donner l’occasion d’y répondre.

Je suis tout à fait d’accord avec vous. D’une part, il est vrai que les infrastructures spatiales sont essentielles et qu’elles contribueront de façon importante à l’atteinte de nos objectifs en matière de défense et de sécurité. Elles seront également importantes pour notre sécurité économique. C’est une industrie émergente qui offrira une foule de possibilités, et si nous ne faisons rien pour aider les innovateurs de l’industrie spatiale canadienne à saisir ces occasions, elles vont nous filer entre les doigts.

D’autre part, vous avez tout à fait raison de vous demander si le genre de projet dont vous parlez pourrait s’inscrire dans ce projet de loi. À mon humble avis, on pourrait et on devrait assurément inclure de tels projets.

Qu’ils soient réalisés au Canada ou ailleurs dans le monde, les projets de satellites en orbite basse terrestre ou d’amélioration de la connectivité sont des projets d’intérêt national. Assurer la connectivité dans les collectivités nordiques, éloignées, rurales et autochtones du Canada est un moyen important pour nous de contribuer à bâtir notre pays et à créer des débouchés économiques pour ces collectivités. C’est aussi une façon pour nous d’aider à protéger l’Arctique et notre souveraineté. Comme je l’ai dit dans mes observations préliminaires, cela peut contribuer à la lutte contre les changements climatiques et à la protection de l’environnement, pour ne donner que quelques exemples.

(1750)

Je pense vraiment que cela devrait et pourrait s’intégrer dans ce projet, de même que certains autres projets sur lesquels nous travaillons.

La sénatrice Simons : Madame Raitt, avant de devenir ministre des Transports, vous aviez occupé le poste de ministre des Ressources naturelles. La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 a donc été adoptée après votre mandat, mais pendant la période où vous faisiez partie du Cabinet. L’un des problèmes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 était sa lourdeur. En outre, elle a conduit à l’annulation de décisions en appel ou à un si grand nombre de manifestations que les projets sont devenus non viables.

Comment pouvons-nous éviter que des projets déraillent, parce que nous tentons de procéder trop rapidement avec le projet de loi C-5, et que cela cause des problèmes?

Mme Raitt : Madame la sénatrice, je dirais qu’il s’agit de choisir le bon projet avec le bon promoteur qui respecte le sous-texte de ce qui est dit ici, à savoir que vous devez remplir vos obligations en matière d’environnement et envers les communautés autochtones en même temps si vous voulez qu’une priorité nationale soit évaluée et attachée à votre projet.

Voilà à quoi cela se résume. Il faut le bon promoteur qui fera ce qu’il faut, ce qui donnera confiance aux Canadiens quant à l’acceptabilité de ce processus.

La sénatrice Simons : Nous n’avons pas assez parlé des trains. Comment faire figurer les trains sur la liste des projets nationaux?

Mme Raitt : Parlez-vous des trains eux-mêmes?

La sénatrice Simons : Oui, des trains.

Mme Raitt : Madame la sénatrice, malheureusement, je connais très bien les trains. J’imagine qu’il faudrait construire une nouvelle voie ferrée. En fait, je n’en sais rien.

La sénatrice Simons : Très bien. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Je vais commencer par M. Gallant.

Vous avez vraiment piqué ma curiosité en affirmant que le projet de loi C-5 est, selon vos propres mots, « one project, one review ». Que pensez-vous du projet Pouzzolane, dans le Nord du Nouveau-Brunswick, dans la communauté de Dalhousie? J’imagine que vous connaissez bien ce projet. Ces agrégats peuvent être utilisés dans la formation du béton. Il y aurait là un gisement qui aurait pu être exploité pendant plus de 100 ans. Ce projet exigera de faire l’exploitation de cette carrière, de développer le transport par rail et de développer le port de Dalhousie.

Croyez-vous que nous pourrions nous servir du projet de loi C-5 pour déclarer ce projet comme étant d’intérêt national? De plus, malgré le fait que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada a décidé que le projet ne justifiait pas une désignation en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’évaluation d’impact, pourrait-on utiliser le projet de loi C-5 pour faire progresser et développer cette région du Nord du Nouveau-Brunswick?

M. Gallant : Je vous remercie de la question.

Le gouvernement fédéral a donné une certaine latitude dans la description des conditions permettant d’identifier les projets d’intérêt national. Les Canadiens réagiront, le Parlement réagira, les médias réagiront et Mme Raitt et moi réagirons lors de nos différentes interventions télévisées. Des précédents seront ainsi créés, et ils aideront à déterminer les types de projets qui seront identifiés au moyen de ce projet de loi.

Le gouvernement serait sûrement prêt à accepter des projets comme celui de Pouzzolane pour faire avancer rapidement des projets en matière d’infrastructure. Ce que plusieurs craignent, c’est plutôt l’inverse : que le gouvernement aille de l’avant avec trop de projets et qu’il le fasse trop vite. Je comprends ces craintes. Cependant, j’ai déjà expliqué les raisons pour lesquelles je ne suis pas préoccupé par cela. De tels projets devraient assurément être identifiés comme étant des projets d’intérêt national.

Le sénateur Aucoin : Avec le projet de loi C-5, le Canada veut devenir plus compétitif sur la scène internationale. Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue. Quelles seront les conséquences du projet de loi C-5 en ce qui concerne la protection des droits linguistiques, surtout pour les communautés francophones en situation minoritaire? J’ai posé la question au ministre LeBlanc hier. La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la SANB craint que la mobilité des travailleurs en vienne à restreindre leur accès à des emplois dans leur langue.

M. Gallant : Il faut se rappeler que ce projet de loi n’est pas le plan tout entier du gouvernement fédéral. Il est très important de le rappeler. N’importe quel projet pourrait avoir un effet sur les choses qui nous tiennent à cœur. Je le comprends très bien. Cependant, l’impression que j’ai sur l’objectif du projet de loi, quand je lis et que j’écoute les débats, est de faire avancer des projets majeurs rapidement.

Les craintes des minorités francophones sont très importantes. Si nous commençons à réaliser des projets plus régionaux, mais d’intérêt national, tels qu’ils seront désignés par le gouvernement fédéral, il faudra faire en sorte que les plus petites communautés de partout au pays soumettent elles aussi des projets. C’est fort important.

Au chapitre de la mobilité, nous sommes convaincus que les gens seront capables d’avoir des emplois dans leur langue. Nous avons vu des personnes qui sont allées travailler dans différentes provinces, puis qui sont retournées au Nouveau-Brunswick. Ce n’est pas nécessairement ce que l’on souhaite. Certains aiment cela, d’autres non. Je voyage beaucoup. Ce n’est pas toujours évident. En plus, je ne le fais pas dans les mêmes conditions que ces personnes. Malgré tout, elles ont pu rester au Nouveau-Brunswick parce qu’elles pouvaient aller travailler dans une autre province. Il y a tout de même des bénéfices.

Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit à votre collègue. Il faut être bien conscient du fait qu’il peut y avoir des conséquences un peu plus négatives. Le gouvernement fédéral a besoin de travailler avec les provinces et les territoires pour essayer d’atténuer les défis potentiels créés par ce projet de loi. Aucun projet de loi n’est parfait. Celui-ci ne l’est pas non plus. On peut aborder ces défis en développant des programmes, en faisant des investissements et établissant des liens de collaboration avec les différents ordres de gouvernement.

Le sénateur Aucoin : Pour un projet désigné d’intérêt national, la main-d’œuvre pourrait provenir d’une province anglophone, ce qui enlèverait des emplois aux Néo-Brunswickois ou aux citoyens habitant dans d’autres communautés de langue officielle en situation minoritaire. De tels enjeux pourraient se produire, n’est-ce pas?

M. Gallant : Bien sûr. Ces enjeux existeront malgré tout. Ce défi doit être pris en compte. Cependant, nous pourrions aussi avoir des gens du Nouveau-Brunswick qui iront travailler à l’extérieur de la province et qui y reviendront par la suite. Ces défis ne sont pas créés à cause du projet de loi C-5. Ce problème n’est même pas exacerbé, car le projet de loi C-5 permettra de réaliser des projets majeurs plus rapidement. J’aimerais croire que ces projets seraient nés malgré tout. Grâce à ce projet de loi, ils verront le jour plus rapidement, ce qui nous donnera la possibilité de nous concentrer sur notre économie.

Le sénateur Aucoin : Madame Raitt, la pêche est un pilier économique et culturel essentiel pour plusieurs régions côtières de la Nouvelle-Écosse et de l’Atlantique. Or, certaines voix s’élèvent pour exprimer des inquiétudes quant aux conséquences possibles du projet de loi C-5 sur ce secteur, notamment en ce qui concerne l’harmonisation des règles sur la mobilité, l’industrie en général, les normes de sécurité, la durabilité et les permis.

(1800)

Même si nous sommes tous d’accord pour dire que nous avons besoin de normes d’une province à l’autre, comment pouvons-nous nous assurer que ces normes seront un minimum pour l’industrie?

[Traduction]

Mme Raitt : J’ai un peu d’expérience dans ce domaine, ayant essayé, à titre d’ancienne ministre des Transports, de réglementer les bateaux de pêche sur l’île du Cap-Breton, ce qui n’est jamais une chose emballante à faire, surtout lorsqu’on vient de là. Comme votre collègue le sénateur Cuzner le sait, on ne badine pas avec ces gens. C’est fortement déconseillé.

Je dirais ceci : le gouvernement fédéral a une responsabilité, car la question de savoir ce qui doit et ne doit pas se trouver à bord d’un navire pourrait relever de plusieurs compétences de réglementation. Je crois que le projet de loi essaie de nous dire qu’il faut faire un choix. Choisissons une norme qui s’appliquera à tout le monde, puis assurons une application équitable, mais seulement après avoir consulté les bonnes personnes.

Un des éléments importants de ce projet de loi — qui mérite d’ailleurs l’attention des Canadiens et des sénateurs, si je puis me permettre —, c’est qu’au bout du compte, les personnes qui choisiront les projets d’intérêt national seront les premiers ministres provinciaux. Ce sont eux qui seront d’abord consultés par le premier ministre et le Cabinet pour déterminer ce que veulent leurs concitoyens. Tout repose sur la nécessité de mettre en place les bons règlements. J’espère que les préoccupations en matière de langues officielles se dissiperont à mesure que vous vous entretiendrez avec les premiers ministres provinciaux à ce sujet tout au long des négociations.

Le président : Honorables sénateurs, le comité entend les témoins depuis maintenant 75 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.

Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?

Des voix : D’accord.


Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

Rapport du comité plénier

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, signale qu’il a entendu lesdits témoins.

[Français]

Le Sénat

Hommages aux pages

Son Honneur la Présidente : Je vais poursuivre mon hommage aux pages.

[Traduction]

Alex Passmore obtiendra l’an prochain un baccalauréat ès arts en histoire et en sciences politiques de l’Université d’Ottawa. L’automne prochain, Alex travaillera comme guide touristique au Monument commémoratif du Canada à Vimy, en France. À son retour à Ottawa, il espère continuer à travailler sur la Colline. Alex est extrêmement reconnaissant d’avoir eu l’occasion d’en apprendre autant sur le Sénat et le processus démocratique au cours des deux dernières années. Il remercie le Bureau de l’huissier du bâton noir et tous les pages qui ont contribué à rendre cette expérience si spéciale.

Merci, Alex.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Nicole Bucur a eu le privilège d’être page au Sénat au cours des deux dernières années. Cet automne, elle se rendra à Paris dans le cadre d’un échange universitaire à Sciences Po. Puis, elle reviendra à Ottawa en hiver pour poursuivre son baccalauréat en sciences politiques et en administration publique à l’Université d’Ottawa. Elle est profondément honorée d’avoir pu contribuer, même modestement, au travail essentiel du Sénat. Elle remercie sincèrement toutes les personnes qui ont contribué à faire de son expérience au sein du programme une expérience aussi enrichissante et mémorable, notamment les sénateurs, le Bureau de l’huissier du bâton noir, l’Administration du Sénat, le personnel de soutien et ses collègues pages.

Merci, Nicole.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur la Présidente : Olivia Vincent est maintenant diplômée en sciences de la santé et elle entreprendra sa maîtrise en audiologie à l’Université d’Ottawa dès cet automne. Elle est très reconnaissante de cette étape marquante de son parcours et elle tient à remercier toutes les personnes qui ont contribué à rendre ses deux années au sein de l’équipe des pages du Sénat aussi enrichissantes que mémorables.

Des voix : Bravo!


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour commémorer le 10e anniversaire du Mois de sensibilisation à la surdi-cécité au Canada.

Plus tôt dans la journée, j’ai eu le privilège d’assister à une réception au cours de laquelle des organismes et des défenseurs incroyables se sont exprimés, notamment le Centre canadien Helen Keller, le Comité national du Mois de sensibilisation à la surdi-cécité et la Canadian Foundation for Physically Disabled Persons.

Je tiens à remercier la sénatrice Martin, qui organise la réception annuelle et dont le leadership a permis la reconnaissance nationale du Mois de sensibilisation à la surdi-cécité grâce à l’adoption unanime de la motion du Sénat en 2015. Je tiens également à rendre hommage à ceux qui ont contribué à préparer le terrain : l’honorable Vim Kochhar, qui a défendu toute sa vie les personnes handicapées, ainsi que les anciens sénateurs Jim Munson, Joan Fraser et Asha Seth.

Helen Keller est probablement la personne la plus connue atteinte de surdi-cécité, une maladie qui toucherait environ 160 millions de personnes dans le monde.

Les mois de sensibilisation ont une fonction importante. Ils nous poussent à passer de la reconnaissance à l’action. Ils peuvent nous rappeler que les obstacles les plus importants auxquels les personnes sont confrontées ne sont pas leurs handicaps, mais les systèmes et structures inaccessibles qui les entourent et qui n’ont pas encore été adaptés. En tant que médecin, j’ai travaillé avec des patients et des familles pour les aider à relever des défis complexes et souvent invisibles, c’est-à-dire les lacunes dans les soins, dans les politiques et dans la compréhension.

Le handicap est trop souvent aggravé par l’inaccessibilité quand la communication ne se fait pas, quand les services ne sont pas conçus de manière inclusive et quand les inégalités en matière de santé ne sont pas prises en compte. Pour les personnes sourdes et aveugles, ces obstacles peuvent être multipliés. Le soutien d’intervenants hautement qualifiés qui facilitent la communication et l’accès au milieu est vital pour beaucoup d’entre elles.

Le Canada est un chef de file mondial dans ce domaine. Nous sommes le seul pays au monde à offrir des programmes d’études postsecondaires pour former des intervenants, mais nous n’en avons toujours pas assez.

La communauté des personnes sourdes et aveugles n’est pas monolithique, et il existe un large éventail d’expériences, de capacités et de préférences en matière de communication. Certaines personnes communiquent à l’aide du langage des signes tactiles, tandis que d’autres utilisent l’alphabet manuel à deux mains, l’alphabet tracé sur la main ou des technologies d’assistance. C’est pourquoi il est essentiel de mettre en place des programmes de soutien inclusifs et diversifiés et pourquoi il est crucial d’écouter et de défendre les personnes qui vivent cette réalité.

Chers collègues, alors que nous célébrons le Mois de la sensibilisation à la surdi-cécité en juin, profitons-en pour réclamer une meilleure accessibilité, notamment aux services d’intervenants, pour soutenir les organismes qui travaillent en première ligne et pour veiller à ce que nos politiques, nos programmes et nos espaces publics reflètent les besoins et les voix des personnes sourdes et aveugles dans toute leur diversité.

(1810)

Merci, meegwetch.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner que le mois de juin est le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité, une période propice à la réflexion sur les expériences, les réalisations et les défis actuels des personnes atteintes de surdi-cécité au Canada. Malgré les obstacles considérables auxquels elles se heurtent en matière de communication et d’accessibilité, les personnes atteintes de surdi-cécité continuent de nous inspirer par leur force, leur capacité d’adaptation et leur détermination.

Je tiens également à rendre hommage à notre ancien collègue l’honorable Vim Kochhar, un pionnier de la défense des droits des personnes handicapées dont l’excellent leadership a contribué à ouvrir la voie à une plus grande sensibilisation et à une meilleure inclusion des personnes atteintes de surdi-cécité. Avant de prendre sa retraite, il m’a demandé d’adopter cette communauté et, inspiré par son exemple, le Sénat a adopté à l’unanimité en 2016 une motion désignant le mois de juin comme le Mois de la sensibilisation à la surdi-cécité.

Cette désignation revêt une signification particulière, car juin est également le mois où est née Helen Keller, l’une des figures les plus influentes et inspirantes de l’histoire de la communauté des personnes atteintes de surdi-cécité. Bien que sourde et aveugle depuis son enfance, Helen Keller nous a laissé en tant qu’écrivaine, conférencière et militante un héritage qui nous rappelle à tous ce qu’il est possible d’accomplir lorsque les obstacles sont supprimés et que les personnes disposent des outils et du soutien appropriés.

Nous avons coorganisé l’événement d’aujourd’hui, et ce fut merveilleux de voir les défenseurs, les interprètes, les intervenants, les aidants naturels et les membres de la famille qui soutiennent les personnes atteintes de surdi-cécité se rassembler. De tels rassemblements témoignent des progrès que nous avons accomplis et nous rappellent le travail qui reste à faire.

Partout au pays, d’innombrables organismes, comme le Centre canadien Helen Keller, continuent de mener la lutte en faveur de l’inclusion, de l’accessibilité et du soutien. Leur dévouement garantit que les personnes sourdes et aveugles sont non seulement entendues, mais aussi pleinement prises en compte et respectées dans toutes les sphères de la société. Grâce à leurs efforts et à la World Federation of the Deafblind, le 16 juin, il y a 2 jours à peine, les Nations unies ont officiellement reconnu le 27 juin comme la Journée internationale des personnes sourdaveugles.

Comme je l’ai dit, les familles et les intervenants nous rappellent que l’inclusion est un droit fondamental et le fondement d’une société juste. Honorables sénateurs, le Mois de sensibilisation à la surdi-cécité vise non seulement à sensibiliser les gens, mais aussi à opérer un véritable changement. Continuons à bâtir un pays où chaque personne, quelles que soient ses capacités, peut vivre dans la dignité en jouissant de son indépendance et en pouvant profiter de toutes les possibilités. Que les paroles d’Helen Keller continuent de résonner et de nous encourager : « Seuls nous pouvons faire si peu, ensemble nous pouvons faire tellement plus. »

[Français]

Le Fonds de Bourses BRAVO

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je veux vous parler d’immigration en vous racontant une cérémonie émouvante à laquelle j’ai participé récemment à Gatineau. L’intégration des nouveaux arrivants et des demandeurs d’asile ne dépend pas seulement de programmes centralisés et un peu impersonnels, mais aussi de l’ouverture du milieu et des efforts de la communauté d’accueil. C’est exactement ce que l’ex-diplomate Jacques Laberge et son groupe de bénévoles font chaque année depuis quatre ans en remettant des Bourses BRAVO de 1 000 $ et 2 000 $ à des étudiants méritants.

De jeunes étudiants venus d’ailleurs sont récompensés pour leur parcours scolaire et leur maîtrise du français. Ils deviennent ensuite des ambassadeurs qui inspirent celles et ceux qui débarquent en Outaouais. Chaque lauréat a raconté en français des bribes de son histoire et de ses défis.

Un jeune d’origine iranienne âgé de 18 ans, Mohammad Hossein Bokaei Jazi, qui est arrivé au Canada il y a trois ans, a parlé de ses nombreux déracinements avec beaucoup d’humour. Sa famille s’est d’abord installée au Nouveau-Brunswick avant de déménager en Outaouais.

Il s’est retrouvé sans le vouloir dans une classe régulière, alors qu’il parlait très peu le français. Il était perdu pendant les premiers mois. Aujourd’hui, il s’exprime bien et il va entrer à l’université. Il a joué pour nous du santour, un instrument à cordes iranien.

Les sœurs afghanes Haida et Madina Jabarkhil, toutes deux lauréates de Bourses BRAVO à un an d’intervalle, m’ont également impressionnée. L’apprentissage du français a été particulièrement difficile pour ces deux jeunes femmes qui parlaient pachto et dari en Afghanistan. La prononciation, les accents toniques, tout est différent, mais les deux sœurs ont manifestement une volonté de fer. Elles ont appris la base du français en un temps record. Elles ont été accueillies comme réfugiées par le Canada, car leur mère était journaliste. Mariée de force à l’âge de 14 ans à un taliban, leur mère a réussi à divorcer après sept ans de violence physique et mentale. Madina, à 19 ans, cumule études universitaires, bénévolat et emplois en couture et elle fabrique tous ses vêtements. Elle est fière de sa mère, qui a fui une société patriarcale. Elle a déjà le vocabulaire d’une féministe en herbe. Madina rêve de faire de la politique ici, justement à cause de ce qu’elle a vécu en Afghanistan. Elle a vu le pouvoir accaparé par les plus riches. Elle était dans une famille qui avait bien peu de moyens. Donc, la mission qu’elle se donne dans son nouveau pays est d’œuvrer pour les droits des femmes et des plus démunis.

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Ronald E. Ignace, commissaire aux langues autochtones. Il est l’invité de l’honorable sénatrice White.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le commissaire aux langues autochtones

L’honorable Judy A. White : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner le travail important du Bureau du commissaire aux langues autochtones. Il s’agit d’un moment spécial pour reconnaître l’importance des langues autochtones et du travail du Bureau du commissaire, et ce, pour deux raisons: premièrement, juin est le Mois national de l’histoire autochtone au Canada, et la langue est essentielle à l’histoire et aux traditions orales autochtones; deuxièmement, nous sommes en plein dans la Décennie internationale des langues autochtones, qui s’étend de 2022 à 2032. Cette décennie, telle que désignée par les Nations unies, vise à inspirer une action mondiale pour la préservation, la revitalisation et la promotion des langues autochtones dans le monde entier.

Au Canada, le travail du Bureau du commissaire aux langues autochtones contribue certainement à la réalisation de ces objectifs. Il organise des rassemblements et des activités, génère des ressources, mène des recherches et défend des projets novateurs d’un océan à l’autre. Le Bureau du commissaire reconnaît l’importance de préserver les langues autochtones et, plus important encore, travaille activement à avoir une incidence importante sur la préservation et la célébration des langues autochtones au Canada.

Je suis heureuse d’accueillir aujourd’hui au Sénat M. Ignace, commissaire aux langues autochtones. Il est membre de la nation Secwepemc, dans l’intérieur de la Colombie-Britannique. Chef de file et innovateur de longue date dans sa collectivité, M. Ignace a fait des recherches et a rédigé des écrits fouillés sur son histoire, sa langue et sa culture. Le commissaire Ignace est un Survivant du pensionnat de Kamloops et parle couramment le secwepemctsin, est un témoin vivant de la résilience et de la force des peuples autochtones et de nos langues.

Voici ce qu’il a dit :

Les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont un grand cœur. Cependant, nos esprits ont été malmenés et meurtris. Et parce que le berceau de nos esprits réside dans nos langues, il est crucial de donner un souffle nouveau aux langues autochtones.

M. Ignace, vous êtes assurément celui qui dirige cette bataille pour redonner un souffle à nos langues.

Enfin, j’aimerais inviter toutes les personnes ici présentes à participer au Sommet mondial des langues autochtones, qui se tiendra ici même à Ottawa, du 11 au 14 août 2025. Organisé par le Bureau du commissaire aux langues autochtones, cet événement comprendra des discours liminaires, des prestations d’artistes, des présentations d’éducateurs et des discussions sur la promotion des langues autochtones à travers le monde. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site Web ondes2025.ca. Nous espérons vous y voir en grand nombre.

Wela’lin, merci.

La veillée funèbre irlandaise

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je présente aujourd’hui le chapitre 91 de « Notre histoire ».

Enfant, j’ai grandi dans la petite communauté de pêcheurs de St. Bride’s, dans la région de Cape Shore, à Terre- Neuve-et-Labrador, où j’étais quotidiennement immergé dans tout ce qui touche les traditions et la culture des communautés catholiques irlandaises. La musique, les histoires, les grandes réunions de famille, les partys de cuisine… sans oublier les veillées funèbres irlandaises, toujours très populaires.

(1820)

Dans le monde d’aujourd’hui, quand un proche décède et qu’il faut organiser une veillée funèbre, celle-ci a généralement lieu dans un salon funéraire. Dans les petites localités rurales, elle peut encore se tenir à l’église. Toutefois, il n’y a pas si longtemps, la veillée funèbre irlandaise traditionnelle avait lieu au domicile du défunt ou d’un membre de sa famille. Le cercueil fait maison restait ouvert pendant plusieurs jours pour permettre à tous les membres de la communauté de rendre visite à la famille, de rendre un dernier hommage au défunt et de commémorer sa vie.

Lors des veillées funèbres irlandaises, on récitait plusieurs fois le rosaire, on échangeait des anecdotes sur le défunt et on servait une abondance de nourriture et de boissons. La veillée durait deux à trois jours pendant lesquels la maison restait ouverte aux visiteurs toute la journée et toute la nuit.

La veillée nocturne avait deux objectifs. Le premier objectif était de donner l’occasion de rendre hommage au défunt. Le deuxième objectif était d’ordre plus pratique, en particulier avant l’avènement de la médecine moderne : la veillée nocturne permettait aux familles de s’assurer que le défunt était bien mort et ne souffrait pas d’une maladie dont il pouvait se remettre.

Je pense aussi à l’histoire de Patrick et Catherine Murphy, que les gens du coin appelaient M. Paddy et Mme Kitty. Mme Kitty ne cachait pas que M. Paddy n’était pas un homme facile à vivre.

Un matin, au retour de la messe matinale, Mme Kitty trouva M. Paddy immobile sur la chaise longue. Mme Kitty, puis sa famille et ses amis firent plusieurs tentatives pour le réveiller, puis finirent par conclure que M. Paddy avait rendu l’âme. Ils allèrent chercher le cercueil fait maison dans la remise et, comme le dit la Bible, c’est là qu’ils le déposèrent.

Après avoir veillé M. Paddy pendant deux jours et deux nuits comme le veut la tradition irlandaise, la famille et les amis qui avaient été choisis pour porter le cercueil se préparèrent à transporter M. Paddy de la maison jusqu’à l’église pour les funérailles.

Quand ils heurtèrent accidentellement le côté de la porte en sortant, M. Paddy se redressa subitement dans le cercueil et dit : « Bon sang, vous m’pensez mort? » Et le lendemain, il était de retour dans son coin de pêche.

Environ quatre ans plus tard, Mme Kitty rentra de la messe du soir et trouva une fois de plus M. Paddy sur la chaise longue. Elle dit qu’il ne bougeait plus d’un poil.

On a donc organisé une deuxième veillée funèbre irlandaise, et après celle-ci, les garçons se préparèrent une nouvelle fois à emmener M. Paddy à l’église. Mme Kitty marchait derrière le cercueil, et alors qu’ils approchaient de la porte d’entrée, elle dit aux porteurs : « Pour l’amour de Dieu, les gars, ne frappez pas la porte cette fois-ci. »

Si certains d’entre vous ne croient pas à cette histoire, n’hésitez pas à aller sur YouTube et à chercher la très populaire et célèbre chanson terre-neuvienne « The Night Pat Murphy Died ».

Si vous prévoyez organiser vos funérailles selon la tradition irlandaise, assurez-vous simplement que votre âme ait bien quitté votre corps au préalable.

Je vous remercie.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Annie Sylfra et d’Alba Sanchez-Allakhverdieva, étudiantes en médecine à l’Université de Montréal et à l’Université McGill. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice Mégie.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Le Fonds Égalité

L’honorable Paulette Senior : Je suis contente de ne pas avoir pris la parole immédiatement après la déclaration précédente. Je dois toutefois dire que cela me rappelle quelque chose que j’ai entendu une ou deux fois en Jamaïque.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire non cédé de la grande nation algonquine anishinaabe.

Je profite de l’occasion pour vous parler du Fonds Égalité, une initiative couronnée de succès qui témoigne du leadership du Canada en matière de promotion de l’égalité des sexes au pays et dans le monde.

Lancé en 2019 grâce à une contribution de 300 millions de dollars d’Affaires mondiales Canada, le Fonds Égalité est un modèle de financement novateur pour le changement social.

Le Fonds Égalité soutient des organismes de défense des droits des femmes et des mouvements féministes partout dans le monde en s’associant à des organisations, des coalitions et des réseaux qui s’attachent à renforcer le pouvoir des femmes, des filles et des personnes de tous genres, en particulier dans les pays du Sud. Son travail repose sur la confiance mutuelle, le respect et la collaboration.

Grâce à des investissements stratégiques visant à assurer sa croissance, le Fonds Égalité relie les milieux de l’investissement, du développement mondial et de la politique. Il en résulte des sommes d’argent destinées à financer des mouvements locaux de défense des droits de la personne dirigés par des femmes, des filles et des personnes transgenres partout dans le monde pour ces populations.

Après la contribution initiale d’Affaires mondiales Canada, le gouvernement britannique s’est joint à l’initiative, tout comme des institutions philanthropiques, notamment la Fondation Ford. Le mouvement s’appuie sur le soutien national d’organisations de premier plan telles que la Fondation canadienne des femmes, dont j’ai été présidente et directrice générale, l’Entraide universitaire mondiale du Canada, la Toronto Foundation et Fondations communautaires du Canada.

J’étais fière d’être présente, en 2020, lors de l’annonce du financement par l’honorable Maryam Monsef, ancienne ministre des Femmes et de l’Égalité des genres. Il était emballant d’assister au lancement de ce fonds si prometteur pour le changement social et la justice économique.

Aujourd’hui, nous savons que cette promesse s’est concrétisée. Les premiers signes sont indéniablement prometteurs. En cinq ans, le Fonds Égalité a octroyé 100 millions de dollars à plus de 1 000 organisations de défense des droits des femmes et de la personne dans 100 pays.

Son modèle de financement durable fait délibérément appel aux marchés financiers pour qu’on puisse verser encore plus d’argent là où c’est le plus nécessaires ainsi qu’aux personnes les plus vulnérables, en particulier dans les pays du Sud.

Chers collègues, c’est une double victoire pour nous. L’argent est investi dans des entreprises du monde entier qui ont d’importantes retombées et qui sont fondées et dirigées par des femmes. Le rendement des investissements sert à financer des organismes communautaires de première ligne, qui peuvent ainsi renforcer leurs collectivités comme ils l’entendent. Cet argent sert à financer, sur plusieurs années, des changements sociaux à long terme.

Depuis son lancement en 2020, tous les investissements du Fonds Égalité tiennent compte de l’égalité des gens, et cette approche a donné de bons résultats : 80 millions de dollars de recettes. C’est tout simplement incroyable.

Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour saluer le travail formidable accompli par le Fonds Égalité, qui est dirigé par Jess Tomlin et son équipe remarquable. C’est une initiative novatrice que tous les Canadiens devraient connaître et dont ils devraient être fiers.

Merci, meegwetch.


AFFAIRES COURANTES

Le Sénat

Préavis de motion concernant les séances du 25 au 27 juin 2025 et tendant à autoriser les comités à siéger en même temps que le Sénat pour tenir leur séance d’organisation

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur :

1.si le Sénat siège le mercredi 25 juin 2025, la séance continue au-delà de 16 heures jusqu’à l’heure fixée pour la clôture de la séance prévue dans le Règlement ou à la fin des affaires du gouvernement, selon la première éventualité, mais sans avoir une incidence sur toute prolongation de la séance qui pourrait être permise en vertu de toute disposition de l’ordre du 12 juin 2025 concernant les délibérations sur le projet de loi C-5;

2.si le Sénat siège le jeudi 26 juin 2025 :

a)la séance commence à 9 heures;

b)elle soit levée à l’heure fixée pour la clôture de la séance prévue dans le Règlement ou à la fin des affaires du gouvernement, selon la première éventualité;

3.si le Sénat siège le vendredi 27 juin 2025, il n’examine que les affaires du gouvernement une fois l’ordre du jour appelé;

4.nonobstant les dispositions des points 1 à 3, si l’ordre portant étude d’un rapport du Comité de sélection est inscrit à l’ordre du jour en tant qu’article des autres affaires pour l’une de ces séances, cet ordre soit traité comme s’il était une affaire du gouvernement, mais seulement aux fins de déterminer l’heure de clôture de la séance ou des travaux à aborder ce jour-là conformément au présent ordre, selon le cas;

5.le mercredi 25 juin, le jeudi 26 juin et le vendredi 27 juin 2025, les comités soient autorisés à se réunir pour tenir leur séance d’organisation, sous réserve des procédures normales d’approbation et de la disponibilité des ressources nécessaires, même si le Sénat siège à ce moment-là, sans, il soit entendu, avoir une incidence sur toute autorité séparément accordée à un comité de se réunir pendant que le Sénat siège;

6.si, le jeudi 26 juin ou le vendredi 27 juin 2025, le représentant du gouvernement ou la coordonnatrice législative du représentant du gouvernement informe le Sénat que la sanction royale, que ce soit par cérémonie traditionnelle ou par déclaration écrite, est attendue, les dispositions de l’article 16-1(8) du Règlement s’appliquent alors, la séance étant suspendue si la fin des travaux du gouvernement est atteinte, plutôt qu’à la fin des affaires pour la journée, avant la sanction royale.

(1830)

L’ajournement

Préavis de motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mercredi 25 juin 2025, à 14 heures.

Projet de loi de crédits no 1 pour 2025-2026

Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-6, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Français]

Projet de loi de crédits no 2 pour 2025-2026

Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-7, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Traduction]

L’avenir des médias d’information canadiens

Préavis d’interpellation

L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur l’avenir des médias d’information canadiens et leur modèle de financement à long terme, y compris celui de CBC/Radio-Canada.

L’honorable Judith G. Seidman

Préavis d’interpellation

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable Judith Seidman.

Des voix : Bravo!


[Français]

ORDRE DU JOUR

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Sa Majesté le roi :

À Sa Très Excellente Majesté Charles Trois, par la grâce de Dieu, Roi du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth.

QU’IL PLAISE À VOTRE MAJESTÉ :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Votre Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Majesté d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours que Votre Majesté a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Suze Youance : Honorables sénateurs, c’est avec une profonde humilité et un grand sens du devoir que je prends la parole dans cette auguste enceinte pour la première fois aujourd’hui.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Youance : Je profite de la motion en réponse au discours du Trône qui a ouvert la première session de la 45e législature et qui s’intitulait Bâtir un Canada fort, dont certains passages rappellent mon parcours d’hier à aujourd’hui.

Mon parcours vers le Sénat n’était pas tracé d’avance. Il est le fruit d’un engagement de longue date envers la justice sociale, l’équité et la dignité humaine. Ces mêmes valeurs se reflètent dans la section Bâtir de nouvelles relations avec les États-Unis et le reste du monde du discours du Trône. J’espère être une de ces bâtisseuses pour le Canada, car je crois profondément dans la coopération internationale.

[Traduction]

Même dans ce monde nouveau en rapide évolution, je serai prête à montrer la voie à suivre et à apporter ma contribution en temps opportun, comme le dirait la gestionnaire de projet en moi. Mes expériences passées en ingénierie m’ont préparé à relever les défis urgents auxquels le Canada est confronté aujourd’hui, notamment la mise en œuvre de grands projets d’intérêt national.

[Français]

Je suis née dans une société haïtienne et je crois profondément au pouvoir transformateur de l’éducation. J’ai eu le privilège de fréquenter certaines des meilleures écoles d’Haïti. J’ai commencé mon parcours dans une école primaire et secondaire de filles à Port-au-Prince, où le partage, le courage et la responsabilité étaient au cœur de l’enseignement.

La principale chose qu’on nous y a apprise est que nous, filles et femmes, pouvions forger notre avenir et changer le monde. Le monde s’ouvrait à nous et, pour utiliser un cliché, rien n’était impossible.

Je mesure la chance que j’ai eue dans mon pays natal, car bien que 88 % des enfants soient inscrits à l’école primaire, moins de 1 % d’entre eux se rendent à l’université et parmi eux, il y a très peu de femmes.

J’ai choisi de poursuivre des études en génie civil à la Faculté des sciences de l’Université d’État d’Haïti, un domaine où les femmes sont encore trop peu nombreuses. Quand je suis arrivée à l’université, il n’y avait que 20 femmes sur les 320 étudiants, dont 5 faisaient partie de ma cohorte de 120 étudiants. C’est cette année-là, en 1989, que s’est produit le drame de Polytechnique à Montréal, et nous l’avons ressenti jusqu’en Haïti.

J’ai été ébranlée par ce drame, mais il m’a donné l’occasion de réaffirmer ma volonté d’aller de l’avant dans le domaine du génie. Cette passion pour la construction, la sécurité et la résilience des bâtiments a été ma bouée de sauvetage tout au long de mon processus d’immigration et d’intégration dans la société canadienne.

Le hasard a voulu que je défende mon mémoire de maîtrise portant sur la vulnérabilité sismique des églises du Québec peu de temps après le grand séisme du 12 janvier 2010 qui a frappé en grande partie la capitale d’Haïti, Port-au-Prince. Le choix de poursuivre des études doctorales s’est donc imposé comme une évidence pour moi, car c’était la clé pour réaliser pleinement mon potentiel et contribuer de façon marquante à mon domaine. Ce choix m’a permis de surmonter des défis personnels et professionnels et de découvrir des aspects de moi-même que je n’aurais jamais imaginés.

Aujourd’hui encore, les femmes sont minoritaires en génie, avec seulement 13 % de femmes ingénieures en exercice au Canada et 15 % au Québec. Malheureusement, 45 % d’entre elles indiquent avoir subi de la discrimination en raison de leur genre au cours de leur carrière. Ces chiffres traduisent une réalité : les femmes doivent souvent franchir des barrières invisibles pour accéder à des domaines techniques encore majoritairement masculins. La parité se fait attendre.

J’ai commencé ma carrière professionnelle en participant à la coopération canadienne en Haïti, notamment à des dossiers liés aux infrastructures, à l’énergie, à l’environnement et au développement de politiques publiques. Ces expériences m’ont permis de mieux comprendre les dynamiques complexes du développement et de constater sur le terrain la fragilité, mais aussi la résilience des communautés haïtiennes face à l’adversité. J’ai également pu observer les liens importants entre la diaspora haïtienne et des pays aux quatre coins du monde.

(1840)

J’ai également eu l’occasion de me confronter à de grands enjeux internationaux liés aux conventions des Nations unies : les changements climatiques, la sécheresse et la désertification, la gestion durable des ressources et les défis systémiques du développement durable.

Aujourd’hui, ce sont ces expériences de terrain, cette écoute active, ma connaissance des effets des politiques globales et cette volonté de contribuer au changement pour améliorer la qualité de vie des populations que j’apporte avec moi au Sénat.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le discours du Trône prononcé par Sa Majesté le roi Charles III, roi du Canada, a souligné que le système d’immigration du Canada est depuis longtemps une source de fierté pour les Canadiens et un moteur pour l’économie. Cela était vrai en 1867, cela était vrai en 2006 lorsque je suis arrivée au Canada, et cela est plus vrai que jamais aujourd’hui, car il est essentiel au maintien de notre diversité démographique.

[Français]

Dans le discours du Trône, Sa Majesté nous a rappelé que nous parlions au nom de nos communautés et que nous représentions une incroyable richesse de cultures, de langues et de perspectives.

Dans son discours sur l’immigration le 5 juin dernier, le sénateur Ravalia a dit ceci :

Je ne prends pas seulement la parole aujourd’hui à titre de Canadien, mais aussi en tant que personne qui a choisi ce pays et qui s’est fait choisir par lui.

Pour moi aussi, ce choix a été mutuel et a créé un lien solide qui repose sur l’espoir, la responsabilité et un but commun.

Je rappelle les mots du roi du Canada :

À l’heure où le monde fait face à des défis sans précédent au chapitre, par exemple, de la paix et de la stabilité, de la situation économique ou des changements climatiques, des défis qui font naître des incertitudes sur tous les continents [...]

— d’ailleurs, Haïti est un exemple criant —

[...] vos communautés possèdent le savoir-faire et la détermination nécessaires pour y trouver tout un éventail de solutions.

Nous devons à la présente génération, ainsi qu’aux sept prochaines, de réfléchir et d’agir en faveur du bien commun.

Mon rôle de sénatrice, je le conçois comme un engagement à la fois rigoureux et profondément humain. Je m’engage à être une voix attentive, une force de proposition et une gardienne des principes démocratiques qui fondent notre pays.

Être sénatrice, pour moi, ce n’est pas seulement siéger dans une institution prestigieuse. C’est une responsabilité profonde : celle de comprendre et de porter la voix de celles et ceux qui, trop souvent, ne sont pas entendus.

Mon parcours d’ingénieure m’a appris la rigueur, la méthode, mais aussi l’importance de bâtir sur des fondations solides. Mon expérience de terrain en coopération internationale m’a appris l’humilité, l’écoute et la force du dialogue.

Ces deux dimensions — la science et l’humain — guideront mon action au Sénat.

Durant la 44e législature, j’ai eu l’honneur de siéger au Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, ainsi qu’au Sous-comité sur la Vision et le Plan à long terme.

Je remercie le Groupe des sénateurs indépendants de m’avoir confié ces rôles importants.

D’ailleurs, avec l’arrivée des projets d’intérêt national dans nos comités, il est important de rappeler l’engagement du gouvernement à rester résolument guidé par le principe du consentement libre, préalable et éclairé pour assurer et faire progresser la réconciliation au pays. La création d’une richesse et d’une prospérité durables doit se faire en collaboration avec les peuples autochtones.

J’ai eu aussi l’occasion de participer à trois missions parlementaires — en Hongrie, au Sénégal et aux États-Unis — qui m’ont permis de mesurer l’importance de la diplomatie parlementaire dans un monde en rapide mutation.

Ces échanges m’ont enrichie, tant sur le plan politique que personnel.

J’ai également pris part à de nombreuses activités du programme S’ENgage, qui m’ont mise en contact direct avec les jeunes Canadiens. Leurs idées, leur énergie et leurs espoirs sont une source d’inspiration constante.

Ces derniers mois m’ont aussi permis d’apprendre de vous, mes sages hiboux : de votre expérience, de vos expertises, mais surtout de cette collégialité bienveillante qui fait la force du Sénat et qui permettra de maintenir cette énergie au cours des prochaines années.

Mon parcours professionnel sera très utile dans le cadre des travaux et des études à faire.

Les hommages prononcés hier à l’intention de ma marraine, la sénatrice Mégie, nous faisaient miroiter les défis de la dualité linguistique au pays. Je constate que le fait d’être bilingue et de pouvoir compter sur une équipe polyglotte qui valide la concordance législative dans nos deux langues officielles est un atout.

J’aimerais souligner l’appui constant de la sénatrice Mégie, avec qui je partage mon directeur des affaires parlementaires, Nicolas Thibodeau.

Le départ de notre chère collègue pour sa retraite obligatoire du Sénat laissera bien plus qu’une chaise vide à mes côtés.

Honorables sénateurs, je m’engage à être une sénatrice accessible, engagée et connectée aux réalités du terrain. Je crois en une politique qui rassemble, qui construit des ponts entre les générations, les cultures et les régions.

Je m’engage à travailler avec cœur, avec rigueur et avec la conviction que chaque geste, chaque mot, chaque décision comptent pour contribuer à bâtir un Canada plus juste, plus équitable et plus solidaire.

Je souhaite travailler en collaboration avec le gouvernement en place, avec tous les parlementaires, les communautés locales, les chercheurs, les jeunes et les acteurs de la société civile pour faire progresser des politiques publiques inclusives, durables et ancrées dans la réalité, qui répondent aux attentes et aux besoins de tous les Canadiennes et Canadiens.

Je porterai une attention particulière aux enjeux de justice sociale et de droits de la personne, de paix et sécurité, de réduction de la pauvreté et de résilience des communautés face aux crises climatiques.

Enfin, je voudrais consacrer une partie de mon mandat à un dossier qui me tient particulièrement à cœur : celui de la restauration de la démocratie, de la sécurité, de la stabilité et du développement de mon pays natal.

Haïti, berceau de la première république noire indépendante, traverse une crise multidimensionnelle causée par une situation de conflit interne qui interpelle l’action internationale.

Alors que nous vivons dans un monde plus dangereux et divisé, que des risques surviennent sur le plan géopolitique et menacent même la souveraineté du Canada, que le système commercial mondial subit la plus grande transformation depuis la chute du mur de Berlin, que l’état de droit et la gouvernance démocratique sont pris d’assaut et que l’aide publique au développement est sérieusement remise en question dans plusieurs pays, Haïti vit une période critique qui risque d’être un point de non-retour, selon la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Haïti.

En Haïti, à l’heure actuelle, la violence des groupes armés augmente ainsi que le territoire qu’ils contrôlent, ce qui crée le chaos et mine l’autorité de l’État. Les morts et les blessés se comptent par milliers, et il y a plus d’un million de déplacés internes, dont la moitié sont des enfants privés de scolarisation.

Les effets de cette crise sont multiples : épidémie de choléra, violences sexuelles et attaques contre les hôpitaux et les écoles, dont près de 2 000 sont fermées à Port-au-Prince.

Le recrutement forcé d’enfants par les groupes armés a augmenté de 70 % entre le milieu de l’année 2023 et le milieu de 2024. Ceux-ci constituent maintenant plus de la moitié des gangs. Enfin, 5,7 millions d’habitants environ font face à une insécurité alimentaire aiguë.

J’ai mentionné précédemment que j’ai eu le privilège de fréquenter certaines des meilleures écoles d’Haïti. Je me sens donc interpellée quand je vois tous ces enfants privés d’un droit fondamental : le droit à l’éducation. Je me sens aussi interpellée quand je vois ces jeunes recrutés de force par les gangs. Ils ont un avenir bien sombre. Rétablir le système éducatif, réintégrer socialement et sans impunité les enfants soldats, c’est donner à la jeunesse les moyens de redévelopper Haïti et sa capacité de jouer un rôle dans la gouvernance démocratique.

Honorables sénateurs, le premier ministre Carney, dans le but de bâtir des économies plus fortes, a fait du renforcement de la paix et de la sécurité des communautés et du monde la première mission du Sommet du G7.

La situation en Haïti n’a pas laissé le dernier gouvernement indifférent alors que les ministres des Affaires étrangères du G7, lors de leur réunion en mars dernier dans Charlevoix, ont réaffirmé leur engagement à aider les Haïtiens à restaurer la démocratie, la sécurité et la stabilité, notamment en soutenant la Police nationale d’Haïti et la Mission multinationale d’appui à la sécurité menée par le Kenya et en favorisant un rôle accru pour les Nations unies.

Dans le dernier résumé de la présidence, on souligne que les dirigeants du dernier Sommet du G7 à Kananaskis ont discuté de la crise en Haïti.

(1850)

La représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Haïti a noté dans son dernier rapport au Conseil de sécurité que « tout effort du gouvernement haïtien ne suffira pas pour réduire significativement l’intensité et la violence des groupes criminels ».

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Youance, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous un peu plus de temps pour terminer votre discours?

La sénatrice Youance : Oui, s’il vous plaît.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

[Français]

Des voix : Oui.

La sénatrice Youance : Merci, chers collègues.

Cela dit, tout changement durable nécessitera la contribution des Haïtiennes et des Haïtiens eux-mêmes. Le rôle de la communauté internationale, y compris celui du Canada, doit être de soutenir, d’accompagner, mais jamais de se substituer. Seule une volonté nationale forte, inclusive et légitime permettra de mettre fin à la crise. Je veillerai donc à travailler pour que le Canada et la communauté internationale respectent les engagements qu’ils ont pris envers la restauration de la démocratie, de la sécurité, de la stabilité et du développement d’Haïti. Il faut que cet objectif demeure bien présent dans les forums multilatéraux et que le Canada joue un rôle constructif et solidaire. Les solutions envisagées doivent recevoir l’appui des Haïtiens et de la diaspora, et respecter leur souveraineté et leur dignité.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de m’avoir accueillie parmi vous. Comme je l’ai déjà dit, je suis prête à travailler avec vous avec rigueur, cœur et conviction, pour faire honneur à la confiance qui m’a été accordée.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Gold, au nom de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi sur la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moodie, appuyée par l’honorable sénatrice Coyle, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-212, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada.

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui en tant que porte-parole favorable au projet de loi S-212, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada.

Je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Moodie pour son leadership déterminé et son dévouement sans faille envers les plus jeunes citoyens du Canada. Ses efforts de défense sont justifiés, réfléchis et soutenus.

Depuis ses travaux antérieurs sur le projet de loi S-282 jusqu’à la vision exprimée dans le nouveau projet de loi, elle n’a cessé de faire entendre la voix des enfants et des jeunes et de défendre leurs besoins. Son travail nous rappelle à tous que le bien-être des enfants est une responsabilité fondamentale de toute société juste.

En tant qu’ancienne présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, je suis tout à fait consciente que, souvent, on ne tient pas compte des droits des enfants et des jeunes, qu’on les néglige ou qu’on les bafoue. C’est vrai non seulement au Canada, mais partout dans le monde.

Très tôt dans ma carrière au Sénat — j’étais sénatrice depuis moins d’un an à l’époque —, je suis devenue corapporteuse de l’Union interparlementaire pour la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants.

En collaboration avec d’autres parlementaires du monde entier, j’ai dirigé la rédaction d’un rapport qui souligne le rôle essentiel des parlementaires dans la promotion de la santé et des droits des femmes et des enfants. Les recommandations formulées dans ce rapport comprennent le renforcement des systèmes de santé pour répondre aux besoins des enfants, la promotion d’approches intégrées en matière de santé maternelle et infantile, l’amélioration de la collecte et du suivi des données, la prise en compte des facteurs sociaux influant sur la santé des enfants et la participation des communautés aux initiatives en faveur de la santé des enfants.

Quand j’examine le projet de loi S-212, je repense au rapport de l’Union interparlementaire. Bien que le rapport se concentre sur les défis mondiaux en matière de santé, ses principes correspondent aux objectifs du projet de loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada, qui accorde la priorité à la santé et au bien-être des enfants et des jeunes, et qui vise à créer un environnement où chaque jeune a accès aux ressources et au soutien dont il a besoin pour s’épanouir.

Le projet de loi S-212 énonce des objectifs clés tels que l’éradication de la pauvreté infantile, l’accès équitable aux services et la reconnaissance et le respect des droits des enfants.

Le projet de loi prévoit des indicateurs de progrès quantifiables, la consultation en continu avec divers intervenants, y compris des jeunes et des communautés autochtones, ainsi que des rapports réguliers au Parlement.

Le projet de loi vise à améliorer la coordination et la reddition de comptes à l’égard des mesures fédérales qui ont une incidence sur le bien-être des enfants partout au pays.

Honorables sénateurs, au cours de mes 15 années d’expérience au sein du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, j’ai vu des situations déplorables qui touchent certains enfants et jeunes au Canada. Dans son discours, la sénatrice Moodie a parlé de la forte hausse du taux de pauvreté infantile au pays. Il n’est pas donc pas étonnant qu’au cœur du projet de loi S-212 se trouve un objectif ambitieux : l’éradication de la pauvreté infantile au Canada.

Les enfants ne choisissent pas les circonstances dans lesquelles ils naissent, et dans un pays aussi riche que le Canada, aucun enfant ne devrait avoir le ventre vide ou être sans logement adéquat ou sans les ressources de base dont il a besoin pour s’épanouir.

La pauvreté infantile est non seulement injuste; elle est aussi profondément préjudiciable et elle entraîne des effets à long terme sur la santé, l’éducation et la mobilité économique. Éradiquer la pauvreté infantile signifie supprimer les obstacles qui enferment les familles dans un cercle vicieux de difficultés et mettre en place des systèmes efficaces pour que chaque enfant, peu importe ses circonstances, ait une chance équitable de réaliser pleinement son potentiel.

La pauvreté infantile se traduit aussi par des possibilités refusées, un potentiel gaspillé et un avenir limité. Ses conséquences peuvent prendre la forme d’une détérioration de la santé, d’une baisse des résultats scolaires et d’une exclusion socio-économique à long terme. La pauvreté touche de manière disproportionnée les enfants autochtones, les communautés racisées, les enfants handicapés et ceux issus de familles monoparentales ou nouvellement arrivées.

Malheureusement, les problèmes auxquels les enfants et les jeunes au Canada font face ne se limitent pas à la pauvreté. Au fil des ans, le Comité des droits de la personne a publié des rapports pour faire la lumière sur la triste réalité de certains de nos enfants et de nos jeunes.

À titre d’exemple, le Comité s’est penché sur la cyberintimidation au Canada. Notre rapport, publié en 2012, a conclu que la cyberintimidation est très répandue dans notre pays et que, parallèlement, la sensibilisation à ce problème est déficiente et les ressources sont insuffisantes pour aider non seulement les victimes et leur famille, mais aussi les éducateurs.

Dans le cadre d’une autre étude menée en 2017-2018 sur le système correctionnel fédéral, nous avons souligné la nécessité de procéder à des réformes systémiques afin de protéger les droits et le bien-être des enfants et des jeunes. Le rapport issu de cette étude a mis en évidence des préoccupations concernant l’hébergement des jeunes avec des délinquants adultes dans les établissements correctionnels fédéraux, ainsi que l’hébergement des jeunes contrevenants et des enfants ayant besoin de protection.

Plus récemment, le comité s’est penché sur la crise mondiale des déplacements forcés. Nous avons appris que les jeunes déplacés sont souvent atteints d’importants problèmes de santé mentale, notamment le trouble de stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété. Les déplacements forcés perturbent l’identité des jeunes migrants et les laissent dans un état d’incertitude quant à leur sentiment d’appartenance.

Ce ne sont là que quelques-unes des études qui ont mis en évidence les difficultés éprouvées par certains enfants et jeunes au pays. Les mêmes thèmes reviennent sans cesse et les mêmes recommandations sont répétées : des objectifs clairs, des indicateurs quantifiables et des mécanismes de reddition de comptes robustes.

Le projet de loi S-212 rend obligatoire l’élaboration d’une stratégie nationale qui inclut ces éléments. Il exigerait également la production de rapports d’étape réguliers qui tiendraient compte de divers points de vue, dont ceux des enfants eux-mêmes, et proposerait des plans d’action visant à s’attaquer aux préjudices immédiats et aux causes systémiques profondes.

La stratégie nationale envisagée dans le cadre de ce projet de loi devrait également mettre l’accent sur le soutien à d’autres valeurs durables. Elle devrait donner la priorité au respect du rôle central des parents dans le développement de l’enfant et reconnaître l’importance des communautés locales en tant que partenaires clés dans la création d’environnements sains et propices à l’épanouissement.

Ces principes, c’est-à-dire la famille et la communauté, sont des piliers fondamentaux du bien-être à long terme et ils doivent être intégrés à l’ensemble de la stratégie. En renforçant ces soutiens, la stratégie peut préserver l’intégrité des familles et autonomiser les communautés.

(1900)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, heure où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, Votre Honneur.

Quand on réfléchit à la manière d’améliorer les résultats pour les enfants, il est également important de reconnaître le rôle crucial que jouent les éducateurs de la petite enfance dans le soutien au sain développement des enfants pendant leurs années les plus formatrices. Ces professionnels font bien plus que superviser les enfants. Ils favorisent l’apprentissage, développent les compétences socioémotionnelles et créent un environnement sûr et stimulant qui façonne l’avenir des enfants.

Une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes devrait être reconnue et soutenir le personnel chargé de l’éducation préscolaire en assurant une formation adéquate, une rémunération équitable et sa participation à l’élaboration des politiques.

La valorisation des éducateurs de la petite enfance est essentielle pour jeter les bases d’une vie réussie et épanouie.

Soutenir les jeunes, ce n’est pas seulement s’occuper de leur bien-être et de la pauvreté, c’est aussi leur assurer une transition réussie vers le marché du travail.

Les jeunes sont confrontés à des défis majeurs et persistants pour accéder au marché du travail, en particulier pour trouver un emploi d’été et un premier emploi valorisant. Une stratégie nationale globale doit tenir compte de ces obstacles en soutenant des programmes de préparation à l’emploi, la formation professionnelle et des parcours clairs menant de l’éducation à l’emploi qui soient adaptés aux jeunes.

En tant que parent, je trouve ce projet de loi particulièrement important. Élever un enfant est l’une des plus grandes joies et responsabilités que la vie peut donner. Tous les parents veulent que leur enfant soit en sécurité, qu’il se porte bien et qu’il ait la chance de réussir.

Cependant, les familles ne disposent pas toutes des mêmes ressources ou du même accès aux services. Ce projet de loi tient compte de cette réalité et vise à uniformiser les règles du jeu, non pas en prescrivant une voie unique, mais en veillant à ce que chaque enfant ait la possibilité de suivre sa propre voie.

Être parent est une expérience profondément personnelle, qui est également façonnée par des conditions sociales plus larges. Lorsqu’une famille a accès à des services de garde abordables, à des aliments nutritifs, à un logement sûr et à des soins de santé en temps opportun, les parents sont mieux en mesure de se concentrer sur la croissance et le développement de leur enfant.

Chers collègues, ce projet de loi nous donne l’occasion d’examiner comment nous pouvons mieux soutenir les enfants et les jeunes grâce à une approche structurée axée sur la collaboration. Une stratégie nationale est une étape importante vers la réalisation de notre obligation morale et juridique envers les plus jeunes citoyens du Canada.

J’appuie le renvoi du projet de loi S-212 au comité pour une étude plus approfondie, où il pourra être examiné en détail. L’étude en comité permettra un examen plus approfondi des propositions contenues dans le projet de loi et de leurs répercussions potentielles. Nous attendons avec impatience les discussions et les réflexions qui découleront de cet important travail.

Merci.

Des voix : Bravo.

L’honorable Marnie McBean : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-212, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada. Je tiens à remercier la sénatrice Moodie du leadership dont elle a fait preuve en présentant cet important projet de loi.

[Français]

Ce projet de loi est plus qu’une simple proposition de politique : c’est une déclaration de valeurs. Il reflète un engagement moral et un appel urgent à l’action. Il nous met au défi de faire face à nos responsabilités envers les membres les plus précieux de notre société : nos enfants et nos jeunes.

Nous disons souvent que les enfants sont notre avenir, mais nous devons aussi nous rappeler qu’ils sont vraiment notre présent. Ils vivent les conséquences des décisions que nous prenons en ce moment. Leur santé, leur éducation, leur sécurité et les possibilités qu’ils ont sont toutes façonnées, directement ou indirectement, par les politiques que nous choisissons de mettre en œuvre, les investissements que nous faisons et les priorités que nous fixons.

[Traduction]

La vérité, c’est que beaucoup trop de jeunes Canadiens éprouvent des difficultés.

Commençons par la santé mentale. Selon Statistique Canada, en 2022, près de la moitié des jeunes âgés de 15 à 24 ans ont déclaré que leur santé mentale était acceptable ou mauvaise. L’anxiété, la dépression et l’automutilation sont en hausse, en particulier chez les adolescentes et les jeunes de la communauté 2ELGBTQIA+. Nous constatons que le système est sous pression et que les enfants en souffrent.

Ensuite, il y a la pauvreté infantile. Bien que la situation se soit améliorée, au Canada, près d’un enfant sur cinq, soit environ 1,4 million d’enfants, vit toujours dans la pauvreté, selon le rapport de 2024 de Campagne 2000. Autrement dit, ils vont à l’école le ventre vide. Ils vivent dans des logements surpeuplés ou instables. À cause de la pauvreté, les enfants sont privés de leur énergie, de leur concentration en classe et de leur espoir en l’avenir.

Puis, l’exploitation et la sécurité en ligne sont également des problèmes croissants. Internet est désormais une composante essentielle de l’apprentissage des jeunes. C’est là qu’ils se regroupent et s’expriment. Par contre, c’est aussi un endroit où ils sont de plus en plus vulnérables. L’exploitation sexuelle en ligne, la cyberintimidation, le harcèlement et l’exposition à des contenus préjudiciables sont en augmentation. Les mesures de protection, de surveillance et d’éducation visant à garantir une utilisation sûre d’Internet demeurent pourtant fragmentées et embryonnaires.

Nous savons que les jeunes ne vivent pas tous ces défis de la même manière. Les enfants autochtones, les jeunes racisés, les enfants pris en charge par les services sociaux, les jeunes 2ELGBTQIA+ et les enfants handicapés sont confrontés à des obstacles systémiques à cause desquels ils ont moins facilement accès aux programmes et aux opportunités. Ces enfants sont plus susceptibles de connaître la pauvreté, la violence, l’exclusion et les inégalités en matière de santé.

Il ne s’agit pas d’expériences isolées, mais de schémas profondément ancrés dans notre société, qui exigent des réponses délibérées et coordonnées. C’est pourquoi le projet de loi S-212 est essentiel.

Ce projet de loi appelle à la création d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, une feuille de route qui alignerait et coordonnerait nos efforts dans toutes les régions du pays, en se basant sur les droits des enfants et en s’inspirant de leurs voix.

Il obligerait le gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces, les territoires, les gouvernements autochtones et la société civile pour élaborer un plan à long terme qui reflète les besoins et les réalités des jeunes au Canada.

À l’heure actuelle, le soutien offert aux enfants et aux jeunes — vos enfants et vos petits-enfants — est fragmenté et inégal. Il n’existe pas de cadre unifié pour guider nos efforts collectifs, ni d’ensemble commun d’indicateurs pour mesurer les progrès, ni de mécanisme de reddition de comptes uniforme. C’est ce que ce projet de loi vise à changer.

Je voudrais également prendre un moment pour parler d’un élément qui, selon moi, doit être inclus dans une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, à savoir le sport et l’activité physique.

Le sport est souvent considéré comme une activité facultative, un luxe ou un simple passe-temps. Or, en réalité, le sport et l’activité physique sont essentiels à la santé et au développement des jeunes. Bouger régulièrement n’est pas seulement bon pour le corps, c’est aussi essentiel pour l’esprit, la confiance en soi, les liens sociaux et le bien-être à long terme. Lorsque les enfants bougent, ils s’épanouissent. Et lorsqu’ils ne le font pas, les conséquences peuvent être graves et durables. À l’heure actuelle, ces conséquences se font sentir partout au Canada.

Selon l’édition 2024 du Bulletin de l’activité physique chez les enfants et les jeunes de ParticipACTION, seulement 39 % des enfants âgés de 5 à 17 ans atteignent les 60 minutes d’activité physique d’intensité moyenne à élevée recommandées par jour. Cela signifie que la majorité des enfants au pays ne bougent pas assez pour rester en santé. Les impacts de cette situation sont alarmants.

L’inactivité est liée à l’augmentation des taux d’obésité juvénile, des cas de diabète de type 2, des problèmes cardiovasculaires et même de certaines formes de cancers plus tard dans la vie. Or, il n’y a pas que la question de la santé physique. Les enfants sédentaires risquent davantage de souffrir de problèmes de santé mentale comme l’anxiété et la dépression.

(1910)

Ils sont plus susceptibles d’avoir des difficultés à se concentrer à l’école, d’éprouver des problèmes de sommeil et d’avoir une faible estime d’eux-mêmes. Ces effets peuvent les suivre jusqu’à l’âge adulte, ce qui peut nuire non seulement à leur qualité de vie, mais aussi à leur capacité à contribuer pleinement à la société.

Le sport, lorsqu’il est pratiqué correctement, peut être un puissant antidote à tous ces maux. Il renforce la confiance en soi, la résilience, la discipline et le sentiment d’appartenance. Il enseigne le travail d’équipe et le respect, en plus d’offrir un exutoire constructif au stress. Pour de nombreux enfants, en particulier ceux qui sont confrontés à des conditions de vie difficiles, le sport n’est pas un luxe, mais une bouée de sauvetage.

Pourtant, nous savons que l’accès au sport est profondément inégal. Le Rapport de Bon départ sur la situation du jeu à l’intention des jeunes 2024 a révélé que les jeunes sont confrontés à de nombreux obstacles à la participation. Le défi le plus souvent cité est le coût, qu’il s’agisse de l’équipement, des frais d’inscription ou du transport. De nombreuses familles n’ont tout simplement pas les moyens de permettre à leurs enfants de pratiquer un sport organisé.

Le fait de ne pas se sentir à l’aise est un autre obstacle majeur. Les filles, les jeunes racisés et les jeunes 2ELGBTQIA+ déclarent souvent se sentir jugés, exclus ou mal accueillis dans les milieux sportifs. Certains décrivent des expériences négatives, allant de l’intimidation et de la discrimination à des cultures d’entraînement toxiques. Les jeunes handicapés, en particulier, sont confrontés non seulement à un manque de programmes inclusifs, mais aussi à des obstacles physiques et comportementaux qui les excluent avant même qu’ils ne commencent.

Pour les filles, l’écart est particulièrement marqué. Selon le rapport Le signal de ralliement, plus de 1 million de filles canadiennes ne font pas de sport à l’heure actuelle. Bien que 63 % des filles participent à un sport organisé chaque semaine — comparativement à 68 % chez les garçons —, ce pourcentage diminue considérablement avec l’âge. À 16 ans, près de la moitié des filles ont complètement abandonné le sport. Les filles issues de ménages à faible revenu et les filles handicapées sont encore moins susceptibles de rester actives.

Cela ne représente pas qu’une occasion manquée; c’est un enjeu national en matière de santé. Sans une participation précoce et soutenue à des activités physiques, une génération entière pourrait se retrouver, pour le reste de leur vie, avec des problèmes de santé évitables, de moins bons résultats scolaires et une dégradation de leur qualité de vie.

[Français]

Si nous souhaitons parler sérieusement d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, le sport et l’activité physique doivent faire partie de la conversation. Nous devons nous assurer que chaque enfant, indépendamment de son sexe, de ses antécédents, de son revenu, du lieu où il vit ou de ses capacités, a la possibilité de jouer, de bouger, de grandir et de se sentir membre à part entière de la société à laquelle il appartient.

Quand ce projet de loi sera étudié en comité, j’espère que nous pourrons explorer plus en profondeur comment le sport et le mouvement peuvent être exploités non seulement comme des loisirs, mais aussi comme une intervention de santé publique, un lien social et un droit auquel chaque enfant mérite d’avoir accès.

[Traduction]

Honorables collègues, le projet de loi S-212 porte sur l’équité. Il s’agit de veiller à ce que chaque enfant au Canada ait ce dont il a besoin pour grandir en santé, être soutenu et avoir de l’espoir. C’est maintenant qu’il faut agir. Nos enfants en ont besoin. Ils attendent que nous agissions. Ne les laissons pas tomber.

Merci.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : La sénatrice McBean accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice McBean : Oui.

La sénatrice Osler : Dans votre discours, vous avez parlé de justice et d’équité. Je me disais que le sport le plus populaire au monde est le football, aussi appelé soccer, et que, partout dans le monde, des enfants vont jouer avec un ballon dans un champ ou dans la rue. Vous avez également évoqué dans votre discours le fait que les coûts peuvent constituer un obstacle. Cela m’a fait penser à la commercialisation du sport, mais je suis d’accord avec vous sur l’importance du sport et de l’activité physique pour la santé.

Est-ce qu’un cadre ou une stratégie devrait également tenir compte de cet aspect d’équité en encourageant l’activité physique au-delà des sports organisés, par exemple en incitant simplement les enfants à sortir jouer au ballon ou au hockey dans la rue? Les sports organisés sont un obstacle pour certaines familles.

La sénatrice McBean : Merci pour cette question. En fait, j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, même à l’échelle internationale, lorsque nous nous rendons à l’étranger. J’ai travaillé avec des organisations non gouvernementales au Mali, en Sierra Leone et en Tanzanie, qui ont l’habitude de mettre en place des sports organisés, pour tout ce qu’ils peuvent apprendre aux enfants, car là-bas ils pratiquent beaucoup de sports non organisés. Ils vont simplement jouer dehors.

Au Canada, les parents ne peuvent pas tous dire à leurs enfants « allez jouer dehors ». En tout cas, moi je ne peux pas, je vis à Toronto. Quand j’étais jeune, on nous disait « rentre quand les lampadaires s’allumeront ». Aujourd’hui, c’est beaucoup moins sécuritaire. Il y a plus de circulation.

Je pense que le jeu libre est formidable et qu’il faut continuer à construire des écoles avec de grandes cours où les enfants peuvent aller jouer, mais les enfants participent de plus en plus à des sports organisés.

Selon le rapport de Bon départ que j’ai mentionné, un des principaux problèmes est le coût. Un des moyens les plus courants pour les enfants d’aller faire du sport est d’y être conduits par leurs parents, ce qui est difficile si les deux parents travaillent. Je pense qu’il faut avoir une stratégie qui prévoie des programmes plus largement accessibles, comme des programmes parascolaires, plutôt que des programmes auxquels il faut s’inscrire. Je sais qu’il existe des programmes de ce type à l’école de ma fille, mais il nous faut plus de programmes parascolaires. Nous ne pouvons pas imposer cette responsabilité aux enseignants, parce que pour que le terrain de jeu soit disponible et pour qu’il y ait un programme, il faut payer un entraîneur externe qui vienne enseigner le soccer. C’est ce qui se fait dans beaucoup de villes.

Oui, nous avons besoin d’un cadre. Il faut que l’initiative soit soutenue. C’est un de ces défis qui mobilisent beaucoup de monde dans les domaines de la santé, de l’éducation et du sport. Ces trois domaines sont gérés au niveau provincial, mais nous avons besoin d’une voix structurante pour rassembler tous ces éléments afin que les enfants puissent s’épanouir.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Moodie, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Projet de loi sur le Mois national de l’immigration

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gerba, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration.

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je ne tiens pas compte du conseil de mon ancien voisin de banquette, le sénateur Braley — qu’il repose en paix —, et je prends de nouveau la parole. Il m’a dit : « Ne prenez pas trop souvent la parole, sinon les gens s’habitueront à votre voix. » Je ne tiens pas compte de ce conseil aujourd’hui.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole pour le projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration.

Je tiens tout d’abord à féliciter la sénatrice Gerba pour ses efforts à titre de marraine du projet de loi, ainsi que pour ses efforts constants pour faire du Canada un endroit plus inclusif pour tous. Le parcours de la sénatrice Gerba illustre l’incidence positive de l’immigration.

Le projet de loi S-215 vise à désigner le mois de novembre comme Mois national de l’immigration au Canada afin de reconnaître officiellement et de célébrer les contributions importantes que les immigrants ont apportées et continuent d’apporter à la société, à la culture, à l’économie et à la force globale du Canada.

Honorables sénateurs, nous vivons une époque de plus en plus difficile et marquée par des divisions. L’opinion publique à l’égard de l’immigration est aujourd’hui plus négative que je ne l’ai jamais vue au cours des quelque 50 années que j’ai passées au Canada. C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, il est important de nous rappeler que le Canada est un pays qui a été bâti par des immigrants et que l’immigration a façonné le tissu de notre société.

Lorsqu’elle est gérée de manière responsable, l’immigration est un moteur de croissance économique et d’innovation. Elle permet de combler les pénuries de main-d’œuvre, elle contribue au développement des industries et elle renforce notre compétitivité sur la scène internationale.

Honorables sénateurs, mon histoire d’amour avec le Canada a commencé bien avant que je mette les pieds sur le sol canadien. Lorsque j’étais petite et que je fréquentais le pensionnat catholique Convent of Jesus and Mary, dans le Nord du Pakistan, mon univers se limitait souvent au terrain de l’école. Cependant, nos professeurs nous montraient parfois des documentaires, et notre classe se transformait soudainement en une fenêtre ouverte sur le monde.

(1920)

De tous les pays du monde, c’étaient toujours les documentaires sur le Canada, fournis par l’ambassade canadienne à notre école, qui enflammaient mon imagination. Le Canada m’appelait. Je me suis promis d’y aller un jour.

Mon rêve est devenu réalité en 1980. D’ailleurs, tout récemment, je me suis retrouvée sous les mêmes aurores boréales qui m’avaient fasciné quand j’étais enfant. Alors que je contemplais le ciel, j’ai été submergée par l’émotion en repensant au chemin qui m’avait menée jusqu’ici.

Toutefois, il est important de reconnaître que tous les immigrants ne viennent pas principalement pour des raisons économiques. Je suis arrivée au Canada en tant que jeune mariée. Mon mari avait promis à mon père que nous retournerions au Pakistan peu après, mais la vie en a décidé autrement. Les Russes ont envahi l’Afghanistan, et ma ville natale, Peshawar, la ville plus proche de la frontière afghane, est soudainement devenue dangereuse. La guerre en Afghanistan a traversé la frontière, et les rues et les maisons de ma chère Peshawar, connue comme la ville des fleurs, ont soudainement été remplies de sang. Peshawar est devenu l’épicentre de la violence et de la terreur.

Puis, il y a eu la loi martiale imposée par le général Zia. L’atmosphère est devenue de plus en plus difficile et étouffante pour les femmes et les filles en raison de la montée d’un élément religieux ultraconservateur. Après de longues discussions, mon mari et moi avons décidé que nous ne voulions pas élever nos filles dans un environnement où elles ne pourraient pas s’épanouir. À ce moment-là, le Canada était devenu mon pays, et je me suis rendu compte, ayant vécu ici, que je ne pouvais pas vivre ailleurs.

Honorables sénateurs, mon histoire n’est que l’une des millions d’histoires d’immigrants qui ont été accueillis au Canada et qui, à leur tour, contribuent à sa prospérité et à sa richesse culturelle. Le Canada offre une société fondée sur les valeurs de la diversité, de l’égalité et des possibilités, en offrant un refuge sûr pour que les gens puissent mener une vie meilleure. Les possibilités sont infinies, et les valeurs d’inclusion et de respect permettent à chacun d’entre nous de s’épanouir et de contribuer à la société en général.

En tant que sénatrice de Toronto, je suis extrêmement fière de ma ville. Toronto n’est pas seulement diversifiée; c’est un témoignage vivant du pouvoir de l’inclusion. Imaginez que vous vous promenez dans n’importe quelle rue de notre ville : une personne que vous rencontrez sur deux a une histoire qui a commencé dans une autre partie du monde. Près de la moitié de la population de Toronto est née dans un autre pays et a apporté avec elle une richesse d’expériences, de traditions, de langues et de points de vue.

La diversité de Toronto n’est pas seulement une statistique; elle alimente notre innovation, enrichit notre culture et renforce notre communauté. On peut la goûter dans les restaurants, l’entendre dans la musique et la voir sur les visages de nos voisins et de nos amis. Ce qui distingue vraiment Toronto, et même tout le Canada, ce n’est pas seulement la présence de la diversité, mais la façon dont nous l’acceptons. Je m’en rendais compte chaque fois que ma mère venait me rendre visite depuis l’étranger. Elle considérait le Canada comme son « chez-soi ». Elle rendait visite à mon frère aux États-Unis et me disait à quel point elle se sentait en sécurité au Canada. Ce n’était pas seulement en raison de la politesse des gens, mais aussi de la chaleur sincère qui lui donnait le sentiment d’appartenir à ce pays, même en tant que visiteuse.

Honorables sénateurs, désigner novembre comme le Mois national de l’immigration nous permet de faire ce qui suit : célébrer les réalisations et les contributions des immigrants qui ont choisi le Canada comme pays d’accueil; reconnaître que leur travail acharné et leur dévouement ont enrichi notre économie et les collectivités; sensibiliser les générations actuelles et futures au rôle important que l’immigration a joué dans l’édification de notre nation; souligner l’importance de politiques d’immigration ordonnées et efficaces qui servent les intérêts de tous les Canadiens; promouvoir la compréhension, l’acceptation et l’appréciation de la riche diversité du Canada tout en renforçant les valeurs et les principes communs qui nous unissent en tant que nation; et renforcer les liens d’unité entre tous les Canadiens en mettant en évidence les objectifs et les aspirations que nous partageons, quelle que soit notre origine.

Honorables sénateurs, pour que l’immigration fonctionne bien, l’intégration efficace des nouveaux arrivants est essentielle. Il est important que nous soutenions les initiatives qui aident les immigrants à apprendre nos langues officielles, à comprendre la culture canadienne et à participer pleinement à la société. Cette approche profite non seulement aux nouveaux arrivants, mais aussi aux collectivités. Il est également important de se rappeler que l’intégration se fait dans les deux sens. Si les nouveaux arrivants doivent faire des efforts pour s’adapter à leur nouvelle société, nous devons aussi, en tant que membres de la société d’accueil, être ouverts et solidaires. Cette responsabilité mutuelle renforce notre tissu social et fait en sorte que tout le monde a la possibilité de réussir.

Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi S-215 et je vous encourage à faire de même. En désignant le mois de novembre comme le Mois national de l’immigration, nous avons l’occasion de nous réapproprier et de recentrer le discours entourant l’immigration. Faisons en sorte que le Canada demeure un endroit où les rêves peuvent devenir réalité et où les gens de toutes les ethnies et de toutes les origines peuvent se sentir chez eux.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gerba, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Comité de sélection

Présentation du premier rapport du comité

Consentement ayant été accordé de revenir à la présentation ou au dépôt de rapports de comités :

L’honorable Michael L. MacDonald, président du Comité de sélection, présente le rapport suivant :

Le mercredi 18 juin 2025

Le Comité de sélection a l’honneur de présenter son

PREMIER RAPPORT

Conformément à l’article 12-2(1) du Règlement du Sénat et à l’ordre du Sénat adopté le 27 mai 2025, le comité présente ci‑dessous la liste des sénateurs qu’il a désignés pour faire partie des comités et propose des recommandations sur la durée de la composition des comités.

Comité sénatorial permanent des peuples autochtones

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénatrices Boniface, Greenwood, Karetak-Lindell, Pate et Sorensen

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénatrice McCallum

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Prosper et Tannas

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Audette, Francis et White

Non affiliés

L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson (désignée par le Groupe des sénateurs indépendants) et l’honorable sénatrice McPhedran (désignée par le Parti conservateur du Canada)

Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Greenwood, McBean, McNair, Miville-Dechêne, Petitclerc et Sorensen

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Martin et Richards

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Black, Burey et Robinson

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Francis et Muggli

Comité permanent de l’audit et de la surveillance

Groupe des sénateurs indépendants

L’honorable sénateur Loffreda

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénateur Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)

Groupe des sénateurs canadiens

L’honorable sénateur Deacon (Nouvelle-Écosse)

Groupe progressiste du Sénat

L’honorable sénateur Klyne

Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Loffreda, Massicotte, McBean, Ringuette, Varone et Yussuff

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénatrices Marshall et Martin

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Gignac, Pupatello et Wallin

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Fridhandler et Henkel

Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Arnot, Duncan, Galvez, Kingston, Kutcher et Youance

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs McCallum et Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Aucoin, Lewis et Verner, c.p.

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Anderson et Fridhandler

Comité sénatorial permanent des pêches et des océans

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Boudreau, Busson, Dhillon, Ravalia et Surette

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Manning et Poirier

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Deacon (Nouvelle-Écosse) et Osler

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Cuzner, Francis et Gerba

Non affiliés

L’honorable sénatrice Petten (désignée par le Groupe des sénateurs indépendants)

Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Boehm, Coyle, Deacon (Ontario), Hébert, Ravalia et Woo

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Ataullahjan et MacDonald

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Adler et Al Zaibak

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Gerba, Harder, c.p., et Wilson

Comité sénatorial permanent des droits de la personne

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénatrices Clement, Coyle, Karetak-Lindell et Senior

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénatrice Batters

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénatrices Osler et Ross

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Bernard et Wells (Alberta)

Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Boehm, Boyer, Forest, MacAdam, Moncion, Moodie et Oudar

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Carignan, c.p., et Smith

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Osler, Quinn et Tannas

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Audette, Francis et Henkel

Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Arnot, Clement, Dhillon, Oudar, Pate, Saint-Germain et Simons

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Batters et Housakos

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Prosper et Tannas

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Moreau et Wells (Alberta)

Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Coyle et Ravalia

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénateur Housakos

Groupe des sénateurs canadiens

L’honorable sénateur Tannas

Groupe progressiste du Sénat

L’honorable sénateur Cuzner

Comité sénatorial permanent des finances nationales

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Forest, Galvez, Hébert, Kingston, MacAdam et Varone

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Carignan, c.p., et Marshall

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Gignac, Pupatello et Ross

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Cardozo et Moreau

Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Dasko, Deacon (Ontario), Duncan, Kutcher, McNair et Yussuff

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Carignan, c.p., et Richards

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Al Zaibak et Ince

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Anderson, Cardozo et Francis

Comité sénatorial permanent des langues officielles

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Cormier, Mégie, Moncion et Surette

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénatrice Poirier

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Ince et Patterson

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénatrices Audette et Gerba

Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Busson, Mégie, Petitclerc, Ringuette, Saint-Germain, Surette et Yussuff

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Batters et Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Burey, Downe et Tannas

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Dalphond, Wells (Alberta) et White

Comité mixte permanent d’examen de la réglementation

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Dean et Woo

Parti conservateur du Canada

L’honorable sénatrice Martin

Groupe des sénateurs canadiens

L’honorable sénatrice Patterson

Groupe progressiste du Sénat

L’honorable sénatrice White

Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Arnold, Boudreau, Mégie, Moodie, Petitclerc et Senior

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénatrices Burey et Osler

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénatrices Bernard, Hay et Muggli

Non affiliés

Les honorables sénateurs Brazeau et McPhedran (désignés par le Parti conservateur du Canada)

Comité sénatorial permanent des transports et des communications

Groupe des sénateurs indépendants

Les honorables sénateurs Arnold, Cormier, Dasko, Dean, Miville-Dechêne et Simons

Parti conservateur du Canada

Les honorables sénateurs Manning et Smith

Groupe des sénateurs canadiens

Les honorables sénateurs Lewis, Quinn et Wallin

Groupe progressiste du Sénat

Les honorables sénateurs Hay et Wilson

Votre comité s’est également penché sur la durée de la composition des comités. Bien que des opinions dissidentes aient été exprimées, votre comité a convenu de recommander que, pour le reste de la présente session et nonobstant toute disposition du Règlement, toute pratique habituelle ou tout ordre antérieur :

1.Sauf dans les cas du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et du Comité permanent de l’audit et de la surveillance :

a)un sénateur non affilié peut, au moyen d’un avis écrit remis à la greffière, se placer sous l’autorité d’un leader ou d’un facilitateur d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu, aux fins de la modification de la composition des comités, les comités mixtes y compris, en suivant le processus établi à l’article 12-5 du Règlement;

b)sous réserve de l’alinéa c), si un sénateur cesse d’être membre d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu particulier, pour quelque motif que ce soit, il cesse simultanément d’être membre de tout comité dont il est à ce moment membre, le siège vacant étant pourvu par le leader ou le facilitateur du parti ou groupe auquel le sénateur appartenait, en suivant le processus établi à l’article 12-5 du Règlement;

c)si un sénateur cesse d’être membre d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu parce que ce parti ou groupe cesse d’exister, il demeure membre de tout comité auquel il appartenait, sous réserve de l’alinéa d), mais il cesse d’être président ou vice-président d’un comité s’il occupe l’un ou l’autre de ces postes, et il cesse d’être membre de tout Sous-comité du programme et de la procédure dont il est membre;

d)si un sénateur non affilié devient membre d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu, il cesse d’être membre de tout comité dont il est membre à ce moment, le siège vacant étant pourvu soit :

(i)par le leader ou le facilitateur du parti ou du groupe auquel le siège du sénateur non affilié appartenait originairement, comme prévu à l’alinéa a), ou

(ii)par ordre du Sénat ou par l’adoption par le Sénat d’un rapport du Comité de sélection;

2.tout changement de membre d’un comité en vertu du paragraphe 1 du présent rapport soit consigné aux Journaux du Sénat.

Respectueusement soumis,

Le président,

MICHAEL L. MACDONALD

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur MacDonald, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Jim Quinn propose que le projet de loi S-216, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada, soit lu pour la deuxième fois.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-216, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

(1930)

Ce projet de loi est une reformulation, avec une modification, de la version du projet de loi S-273 qui a été adoptée par le Sénat lors de la dernière législature par 55 voix contre 10, mais qui est morte au Feuilleton de la Chambre des communes à la suite de la prorogation.

Le seul changement au projet de loi adopté au Sénat en troisième lecture est qu’un amendement incluant une disposition de non-dérogation relative à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’est plus nécessaire parce qu’une disposition de non-dérogation générale figure désormais à l’article 8.3 de la Loi d’interprétation.

La possibilité de ce changement a été discutée lors de nos délibérations quand le projet de loi était à l’étude, et elle a été acceptée. Les modifications qui en découlent auraient donc été apportées.

Mon intervention aujourd’hui est simple et directe : je vous demande votre appui pour faire passer ce projet de loi aux étapes suivantes du processus.

À l’intention des sénateurs qui sont nouveaux dans cette enceinte, je vais présenter brièvement ce que prévoit ce projet de loi en faisant appel au pouvoir déclaratoire pour transférer au gouvernement fédéral la compétence relative au réseau de digues de l’isthme de Chignecto.

Pour la gouverne des sénateurs qui se demandent où se trouve exactement l’isthme de Chignecto — ils étaient nombreux lors de nos débats précédents sur le sujet —, c’est la bande de terre située principalement le long de la rivière Missaguash, qui forme la frontière entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. L’isthme lui-même est un corridor commercial vital par où transitent 35 milliards de dollars de marchandises et par où passent 15 000 véhicules par jour et des centaines de milliers de personnes chaque année. Le corridor commercial est le point de passage obligé pour une compagnie de chemin de fer nationale, la route Transcanadienne et des lignes de fibres optiques qui relient des câbles transatlantiques.

Sans le réseau de digues de l’isthme de Chignecto, toutes ces infrastructures qui soutiennent la prospérité économique du Canada, le commerce interprovincial, le commerce international et les communications seraient menacées par les inondations. Plus important encore peut-être, ces digues protègent les dizaines de milliers de Canadiens qui vivent et travaillent sur cet isthme et dans ses environs, sans parler des aspects culturels et traditionnels chers aux communautés autochtones et acadiennes.

Le projet de loi S-216 propose d’invoquer le pouvoir déclaratoire prévu à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour transférer la compétence relative aux digues au fédéral. En déclarant que le réseau de digues est à l’avantage général du Canada, il permet au gouvernement du Canada de jouer un rôle de premier plan dans la collaboration avec le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour la remise en état des digues qui datent du XVIIe siècle afin de renforcer les infrastructures contre la montée des marées et les phénomènes météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques. Dans cette région, les marées peuvent atteindre 50 pieds.

Parce que les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ont accepté de participer au projet de réparation des digues, dont le coût s’élève à 650 millions de dollars, en partageant les frais avec le gouvernement du Canada, cela règle aussi la question du financement. Ce sujet avait été au cœur des débats de la législature précédente.

Dans le numéro du 22 mars du Telegraph-Journal publié juste avant les élections, le ministre Dominic LeBlanc a pris un engagement politique supplémentaire, à savoir que le partage des coûts engloberait toute dépense supplémentaire au-delà du financement traditionnel prévu par l’entremise du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes. Je le cite :

[...] l’accord comprend également l’engagement d’un futur gouvernement libéral de partager les coûts supplémentaires éventuels du projet, dont la réalisation pourrait prendre jusqu’à 10 ans.

À mesure que le projet avancera, un futur gouvernement libéral voudra trouver des moyens de poursuivre son partenariat avec les provinces et maintenir l’engagement de payer son pourcentage du coût total. »

Il s’agit là d’une bonne nouvelle qui, à mon sens, règle la question financière.

Alors, quel est le but de ce projet de loi? Pourquoi est-il important et pertinent? Il ne s’agit pas seulement de commerce, mais aussi de culture, de réconciliation, de gestion des terres, de conservation et d’intendance. Il s’agit de garantir une approche coordonnée, menée par le gouvernement fédéral, dans une région importante pour le pays.

Chers collègues, la dernière fois que nous avons discuté de la version précédente de ce projet de loi au Sénat à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Gold a dit ceci :

[…] le gouvernement du Canada est d’avis que la question ne devrait pas être traitée tant que le tribunal n’aura pas clarifié la question de la compétence. Agir autrement reviendrait à court-circuiter la décision que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse doit rendre.

La cour s’est prononcée et a refusé de répondre, laissant cette question à la seule appréciation du Parlement.

Je note que la cour s’est fondée en partie sur le principe suivant lorsqu’elle a refusé de répondre à la question visant à déterminer de quelle compétence constitutionnelle relève le réseau de digues de l’isthme de Chignecto. Elle a déclaré :

Nous reconnaissons notre obligation de donner un avis lorsqu’une question est renvoyée à la Cour, mais le gouverneur en conseil ne devrait pas utiliser le processus de renvoi à des fins politiques. Le processus de renvoi n’est pas un mécanisme servant à atteindre des objectifs politiques.

Chers collègues, je respecte la décision de la cour et je respecte aussi l’avis du sénateur Gold.

Cela m’amène au point central. La question à l’étude est de nature politique. Nous sommes des parlementaires et, que cela nous plaise ou non, des politiciens. La Cour affirme que seul le Parlement a le pouvoir de déterminer si le réseau de digues de l’isthme de Chignecto est dans l’intérêt général du Canada, ce qui le placerait sous la compétence fédérale. Il nous appartient à nous, au Parlement, de prendre une décision à ce sujet.

Le projet de loi jouit de l’appui unanime des assemblées législatives de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Il est en outre soutenu par la Première Nation de Fort Folly, qui souhaite que le pouvoir déclaratoire soit utilisé afin que le gouvernement fédéral respecte l’obligation de consulter les communautés et les dirigeants mi’kmaqs concernés.

Il bénéficie de l’appui des parties prenantes acadiennes, à savoir la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse et la Société nationale de l’Acadie, qui souhaitent assurer une protection uniforme des sites culturels et patrimoniaux acadiens. Il bénéficie également de l’appui des collectivités locales du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

Au cours de la 44e législature, le projet de loi a été adopté au Sénat par une grande majorité et a été renvoyé à la Chambre des communes pour que nos collègues élus l’examinent. La prorogation et les élections qui ont suivi ont empêché cela de se produire.

Même sans savoir ce que les tribunaux allaient décider, nous avons pris la décision de renvoyer l’ancien projet de loi S-273 à l’autre endroit. Je demande maintenant que nous réaffirmions notre décision antérieure et que nous entamions le processus pour donner à la Chambre élue l’occasion de débattre et de décider de l’applicabilité du pouvoir déclaratoire. À la lumière de ce que les tribunaux nous ont dit, il est plus important que jamais d’accorder à la Chambre des communes la possibilité d’exercer sa prérogative constitutionnelle afin que nous puissions clore le dossier.

De plus, je tiens à souligner encore une fois que les politiques actuelles et nécessaires du gouvernement qui visent à étendre nos relations commerciales avec d’autres pays, en garantissant l’efficacité et l’efficience des corridors commerciaux, rappellent l’importance du projet de loi. Le fait d’accorder la compétence au gouvernement fédéral garantira que celui-ci jouera un rôle de premier plan pour rapprocher les deux provinces afin de protéger l’isthme et les infrastructures qui s’y trouvent, ce qui permettra ensuite de maximiser les infrastructures commerciales existantes, comme le port d’Halifax, et d’aller de l’avant plus efficacement et plus rapidement.

Il ne faut pas oublier que 100 millions de dollars transitent chaque jour par l’isthme, en grande partie à destination ou en provenance du port d’Halifax, un port bien positionné pour accueillir beaucoup plus de marchandises à mesure que de nouveaux partenariats se développeront avec d’autres pays.

Voilà pourquoi, chers collègues, je nous enjoins à appuyer ce projet de loi tout au long du processus et, espérons-le, jusqu’à ce qu’on le renvoie à nouveau devant la Chambre élue.

Le Canada atlantique s’exprime à l’unisson pour demander d’être traité équitablement et pour que vous compreniez que l’isthme de Chignecto est à l’avantage général du Canada.

Nous considérons souvent que, dans l’exercice de nos fonctions de sénateurs, le Sénat est une Chambre de second examen objectif. Cependant, le rôle constitutionnel du Sénat, qui consiste à représenter les intérêts régionaux, est encore plus important. Si le projet de loi n’avait pas été présenté, cette information essentielle pour les raisons exposées précédemment n’aurait pas été examinée à Ottawa.

Il appartiendra à la Chambre des communes de décider si elle est d’accord avec nous ou non, mais notre structure unique nous permet de présenter des projets de loi d’intérêt public du Sénat et de soulever des questions régionales qui ne peuvent tout simplement pas être entendues ou comprises à première vue par la Chambre des communes. Ces projets de loi donnent à la Chambre élue la possibilité de jouer le rôle de Chambre de second examen objectif, qui est normalement réservé au Sénat.

À l’heure actuelle, compte tenu du programme du gouvernement, qui répond en grande partie à la nécessité de réduire notre dépendance à l’égard de notre relation commerciale avec les États-Unis, il incombe au Parlement de considérer que l’isthme de Chignecto est non seulement à l’avantage général du Canada, mais aussi important pour la diversification de nos corridors commerciaux.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(1940)

[Français]

Projet de loi sur l’oiseau national du Canada

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-221, Loi portant reconnaissance du mésangeai du Canada comme oiseau national du Canada.

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-221, Loi portant reconnaissance du mésangeai du Canada, mieux connu sous le nom de Canada Jay, comme oiseau national du Canada.

Je tiens à souligner le travail de la sénatrice Ataullahjan ainsi que les interventions pertinentes de la sénatrice Duncan et de plusieurs d’entre vous. Ce projet de loi, bien que symbolique, revêt une signification profonde… et des plumes!

Dans un monde où nos repères sont parfois ébranlés, il devient essentiel de nous recentrer sur ce qui nous rassemble. Les symboles nationaux ne sont pas de simples emblèmes; ils incarnent notre identité et tissent un lien entre notre histoire, notre présent et notre avenir. Dans cette optique, le mésangeai du Canada s’impose avec éclat ou, pour rester dans le ton, avec panache et plumage.

[Traduction]

Le mésangeai du Canada est un véritable ambassadeur de l’esprit canadien, car il est résilient, sociable, débrouillard et toujours prêt à partager une collation avec un randonneur distrait.

[Français]

Le mésangeai du Canada ne migre pas; il reste fidèle au poste, même lorsque le mercure descend sous zéro. Bref, c’est un Canadien pure laine, ou plutôt « pur duvet ». Si le mésangeai du Canada incarne admirablement l’esprit national dans son ensemble, il ne saurait éclipser la richesse des symboles régionaux de notre mosaïque identitaire.

En tant que sénatrice du Québec, j’aimerais ainsi souligner l’importance de notre propre emblème aviaire : le harfang des neiges, notre majestueux oiseau provincial. Avec son doux regard, ses yeux dorés et son vol silencieux, il représente la vigilance et le mystère. Il plane dans les cieux nordiques avec une élégance qui ferait rougir un drone dernier cri.

Comme bien des Québécois, il s’envole vers le Sud quand l’hiver devient trop rude, preuve que même les plus endurcis savent quand il est temps de chercher un peu de chaleur. Le harfang veille depuis les hauteurs glacées, mais le mésangeai du Canada nous accompagne au ras du sol, dans nos forêts, nos sentiers, nos souvenirs. Ensemble, ils forment un duo improbable, mais harmonieux : l’un est le regard perçant du Nord, l’autre la voix familière de nos sous-bois.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan a brillamment décrit le mésangeai du Canada comme un oiseau vif, intelligent, loyal et résilient. Elle a souligné qu’il est présent dans toutes les régions du pays et qu’il peut survivre à des températures extrêmes.

[Français]

La sénatrice Duncan a, quant à elle, apporté une perspective précieuse en parlant d’inclusion, de représentativité et du lien profond entre cet oiseau et les peuples autochtones. Elle a rappelé que le mésangeai du Canada est un symbole de fédéralisme naturel, un oiseau qui ne boude aucune province ni aucun territoire.

Honorables sénateurs, plus de 100 pays dans le monde ont déjà désigné un oiseau national. Certains ont opté pour des espèces majestueuses, d’autres pour des oiseaux plus modestes, mais tout aussi représentatifs. Il est donc grand temps que le Canada, pays aux forêts infinies et aux hivers épiques, donne enfin des ailes à son identité ornithologique.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le projet de loi est prêt. Il a été soigneusement examiné et jouit de l’appui d’experts, de citoyens, de chercheurs et de passionnés de la nature. Il ne nécessite pas de longues études supplémentaires. Il est temps d’agir.

[Français]

Offrons au Canada un oiseau national à son image : humble, fidèle, intelligent et profondément enraciné dans notre territoire.

[Traduction]

Que le mésangeai du Canada prenne son envol dans notre imaginaire collectif comme symbole de ce que nous sommes et de ce que nous aspirons à être.

[Français]

Un jour, nos petits-enfants apprendront peut-être à l’école que le Canada a choisi pour emblème un oiseau qui, comme nous, brave les tempêtes avec courage et partage avec ses voisins. Je vous remercie.

[Traduction]

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-221, Loi portant reconnaissance du mésangeai du Canada comme oiseau national du Canada.

Je tiens à remercier la sénatrice Ataullahjan d’avoir présenté ce projet de loi. Comme elle et mes autres collègues qui ont pris la parole à ce sujet, je crois qu’il est grand temps que nous répondions à l’appel de nombreux Canadiens et d’ornithologue amateurs tout le Canada en désignant le mésangeai du Canada comme oiseau national du Canada.

Comme vous le savez tous, je prends souvent la parole à la Chambre au sujet de l’agriculture ou du leadership des jeunes. Bien que le sujet des oiseaux puisse sembler hors sujet pour moi, je suis heureux de prendre la parole ce soir pour parler brièvement du projet de loi.

Plus tôt en mai, j’ai eu le plaisir de rencontrer certains de mes collègues du Sénat pour en apprendre davantage sur la façon dont les agriculteurs peuvent utiliser les innovations axées sur la nature afin de créer des changements économiques, environnementaux et sociaux positifs. Lors de cette visite, nous avons appris que les oiseaux pouvaient soutenir les agriculteurs en éliminant naturellement les parasites et les insectes, limitant ainsi la nécessité de répandre des pesticides. Nous avons même rencontré un agriculteur de Gatineau qui avait installé des cabanes à oiseaux sur sa ferme pour encourager plus de biodiversité, éliminer les pucerons et favoriser une agriculture plus durable. Donc, les agriculteurs aiment aussi les oiseaux.

Cependant, comme l’a fait remarquer la sénatrice Ataullahjan, non seulement les oiseaux sont bénéfiques pour notre environnement et notre écosystème, mais ils peuvent aussi servir de symbole. Nombre de pays ont désigné un oiseau national qui incarne les valeurs, les qualités et les attraits de leur nation, mais le Canada n’a pas encore suivi leur exemple. Les ornithophiles canadiens ont réclamé la désignation d’un oiseau national et semblent même s’entendre sur l’oiseau qui devrait être choisi.

J’appuie donc le projet de loi S-221, Loi portant reconnaissance du mésangeai du Canada comme oiseau national du Canada, présenté par ma collègue, car je crois que les Canadiens devraient avoir un oiseau national qui incarne le mode de vie, la culture et l’esprit des Canadiens.

De plus, je crois que le mésangeai du Canada incarne parfaitement l’identité canadienne, en plus de porter un excellent nom. Le mésangeai du Canada, qu’on appelait autrefois le geai gris, est un oiseau fascinant, résilient et débrouillard qui vit toute l’année dans les forêts boréales du Nord ou des hautes altitudes partout au Canada.

À l’instar des Canadiens, l’oiseau le plus résilient du Canada est prêt à braver la pluie, la tempête et le froid pour rester dans son habitat. En fait, contrairement à d’autres oiseaux communs, les mésangeais du Canada nichent à la fin de l’hiver, même lorsque les températures descendent bien en dessous de zéro.

(1950)

Comme beaucoup de Canadiens, le mésangeai aime l’hiver et ne recule devant rien. Il est extrêmement ingénieux et intelligent. Durant les mois les plus chauds, il fait des réserves de nourriture, qu’il cache derrière l’écorce des arbres et sur les branches pour se nourrir durant tout l’hiver. Il incarne la force, l’adaptabilité et la résilience, trois qualités chères aux Canadiens.

Ils ont appris à tirer parti des mois les plus chauds de l’année pour prospérer au cours des rigoureux hivers nordiques. Je sais que certains de nos collègues connaissent très bien ce mode de vie.

Ce sont des oiseaux extrêmement curieux et très sympathiques avec les Canadiens et les visiteurs. Si vous vous trouvez sur le territoire d’un mésangeai et que vous lui tendez une poignée de baies ou de raisins secs, il viendra certainement vous voir pour manger un morceau.

Comme nous le savons tous, les Canadiens ont la réputation d’être gentils et d’avoir tendance à s’excuser un peu trop souvent, mais je crois que la nature conviviale du mésangeai du Canada reflète très bien le caractère amical et chaleureux pour lequel les Canadiens sont reconnus aux quatre coins du monde.

Je suis réellement impressionné par cet oiseau majestueux, sa capacité à résister au froid et à tirer parti de son environnement et de son écosystème, sans oublier sa curiosité et sa force, tout comme je suis impressionné par les Canadiens qui peuplent ce grand pays.

En 2018, l’American Ornithological Society, qui a autorité sur les noms communs de tous les oiseaux d’Amérique du Nord, a voté pour changer le nom commun du geai gris pour le mésangeai du Canada. En fait, avant 1947, le geai gris était déjà connu sous le nom de « mésangeai du Canada ».

Dan Strickland, un naturaliste en chef du parc provincial Algonquin à la retraite qui a joué un rôle fondamental dans le changement de nom du geai gris, devenu le mésangeai du Canada, dit que cet oiseau « fait partie de la psyché et du caractère national du Canada ».

Le mésangeai du Canada a également remporté un concours national organisé par le Canadian Geographic en 2016, qui visait à choisir l’emblème aviaire du Canada. Il est donc clair que des Canadiens de partout au pays nous demandent de désigner le mésangeai du Canada comme oiseau national, et il est temps que nous répondions à l’appel et que nous adoptions rapidement ce projet de loi afin d’accorder au mésangeai du Canada la reconnaissance qu’il mérite.

Quel oiseau pourrait faire un meilleur oiseau national pour notre grand pays que le mésangeai du Canada? Après tout, il a un nom merveilleux.

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion du sénateur MacDonald, le débat est ajourné.)

La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Mary Jane McCallum propose que le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je tiens à remercier toutes les personnes présentes. Nous allons plonger dans un sujet complexe.

Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui pour proposer la deuxième lecture du projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Le projet de loi S-223 traite de l’application des lois des Premières Nations, tandis que le projet de loi connexe S-224, dont je parlerai bientôt, traite des poursuites visant les infractions aux lois des Premières Nations. Comme les sujets de ces deux mesures sont intimement liés, ils sont discutés ensemble dans bon nombre des citations que je vais partager.

En discutant avec des sénateurs, j’ai compris que l’expérience que vivent les personnes constamment opprimées par le gouvernement fédéral n’était pas connue de tous. Pour ma part, ma vie a été dictée par le gouvernement fédéral depuis ma naissance.

Ce pan de l’histoire du Canada n’a pas été communiqué aux Canadiens. Je remercie les sénateurs de me l’avoir dit et d’avoir écouté attentivement, parce que c’est ainsi qu’on apprend la compassion et que j’ai moi-même appris la compassion au Sénat.

Je commencerai donc par un bref historique de l’application de la loi et des poursuites dans les réserves au Canada.

Le rapport de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones, publié en 1991, se conclut comme suit :

Le traitement réservé par le Canada à ses premiers citoyens est une honte internationale. Le fait de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer cette injustice persistante continuera de causer des tragédies et des souffrances aux peuples autochtones et de ternir l’image de notre pays dans le monde entier. En agissant maintenant, les gouvernements pourront traduire concrètement l’opinion publique favorable et la bonne volonté que nous avons observées parmi les Manitobains au cours des trois dernières années.

En novembre 1999, le gouvernement du Manitoba a formé la Commission de mise en œuvre des recommandations sur la justice autochtone, qui a déclaré ce qui suit :

Les peuples autochtones du Manitoba ont connu trois systèmes de justice différents. Le premier, qui est le fruit de coutumes, de négociations et d’expériences, s’est développé avant l’arrivée des Européens, au cours des siècles où seuls les Autochtones occupaient cette partie de l’Amérique. Le deuxième, qui a vu le jour avec l’arrivée des Européens au XVIIe siècle, n’a pas mis fin au droit autochtone, mais y a simplement ajouté des éléments anglais, écossais et français en parallèle. Le troisième a vu le jour lorsque le Manitoba s’est joint à la Confédération en 1870. Bien qu’il soit resté essentiellement inchangé jusqu’à aujourd’hui, ce troisième système a eu des répercussions dévastatrices sur les peuples autochtones du Manitoba, au cours des quatre dernières décennies.

Honorables sénateurs, la Proclamation royale de 1763 établissait un système de gouvernance tripartite pour l’Amérique du Nord britannique, à savoir la Couronne impériale, ses colonies et « [...]les différentes nations de sauvages [...] ». En 1836, le procureur général du Haut-Canada, Robert Jameson, a témoigné de la perpétuation de cette norme constitutionnelle. Il écrit que les Premières Nations « se gouvernent par elles-mêmes, au sein de leurs communautés, en fonction de leurs lois et de leurs coutumes ».

Bref, les Premières Nations jouissaient d’une autonomie gouvernementale dans les domaines reconnus comme relevant de leur compétence, y compris tout ce qui touchait les affaires internes. Cela a continué jusqu’à l’adoption de la Loi sur les Indiens de 1869, quand l’autonomie gouvernementale des Premières Nations a été sacrifiée en faveur du devoir d’assimilation déclaré par sir John A. Macdonald.

Dans l’Acte pour encourager la civilisation graduelle de 1857, tout Indien jugé éduqué, sans dette et de bonne moralité pouvait demander à recevoir des terres dans la colonie ainsi que les droits connexes. Il s’agissait d’un changement d’orientation, passant du développement de la communauté à la préparation des personnes à l’émancipation. Le gouvernement considérait comme très problématique l’insistance des Premières Nations à conserver la propriété commune des terres. Il affirmait que le refus des conseils de bande d’autoriser la propriété individuelle détruisait « l’industrialité », qu’on considérait comme la base de tout progrès.

Honorables sénateurs, en 1860, la province naissante du Canada a pris le contrôle du portefeuille des Affaires indiennes, qui était auparavant entre les mains du gouvernement impérial britannique. En 1867, avec l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la Couronne impériale a cédé la place au gouvernement fédéral, les colonies sont devenues des provinces et les Premières Nations autonomes sont demeurées — pendant une brève période — le troisième ordre de gouvernement.

En 1869, la loi intitulée Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages visait l’assimilation. Les deux éléments — l’émancipation et l’octroi aux communautés du bénéfice d’un gouvernement municipal — signifiaient que la loi abolissait les formes traditionnelles de gouvernement et les remplaçait par un système électoral réservé aux hommes, largement contrôlé par l’agent des Indiens de la région. J’ai vécu cette situation au cours de ma vie. Quand je suis née, il y avait un agent des Indiens, et il y en a eu un jusqu’à mes 17 ans. Quand je sortais du pensionnat, je rentrais chez moi pendant deux mois, et les agents étaient là pour dicter la vie de tout le monde.

Avec l’Acte des Sauvages de 1876, le gouvernement Macdonald a déclaré que l’expression « nations de sauvages » n’était plus appropriée parce que les Indiens étaient considérés comme des enfants. On les assimilait à des :

[...] « personnes mineures incapables d’administrer leurs propres affaires » et, par conséquent, le gouvernement devait assumer la « lourde charge [...] de les prendre sous sa tutelle ».

(2000)

La Loi sur les Indiens énonçait en détail comment les Premières Nations perdraient le contrôle de presque tous les aspects de leurs communautés. Le rejet de l’autodétermination a été imposé par la création, dans la loi, d’un « statut d’Indien » officiellement reconnu, qui a en fait donné naissance à l’Indien colonisé.

En 1887, John A. Macdonald affirmait ceci :

Le grand objectif de nos dispositions législatives est de nous débarrasser du système tribal et d’assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion aussi rapidement qu’ils sont aptes à ce changement.

En 1920, Duncan Campbell Scott a dit ceci lors de son infâme discours visant à justifier bon nombre des modifications qu’il apportait à la Loi sur les Indiens :

Je veux me débarrasser du problème autochtone [...] Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé dans le corps politique, qu’il n’y ait plus de question autochtone ni de ministère des Affaires indiennes.

Honorables sénateurs, revenons à aujourd’hui. Au moyen de l’ancien projet de loi C-49, Loi sur la gestion des terres des Premières Nations, qui a reçu la sanction royale en 1999, et de l’ancien projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, qui a reçu la sanction royale en 2014, le Parlement avait l’intention de créer de nouveaux pouvoirs législatifs améliorés afin d’appuyer l’autodétermination des Premières Nations.

Dans un des résumés législatifs officiels du projet de loi C-49, on pouvait lire ceci :

Le projet de loi C-49 élargirait la portée des pouvoirs que la première nation pourrait exercer et ne les laisserait plus à la discrétion du gouverneur en conseil ou du ministre.

Par ailleurs, selon un résumé du projet de loi C-428 préparé par le ministère :

Le projet de loi C-428 [...] élimine le pouvoir de supervision du ministre sur la présentation, l’entrée en vigueur et l’annulation des règlements administratifs, et confère aux Premières Nations l’autonomie et la responsabilité relativement à la rédaction, l’adoption et l’entrée en vigueur des règlements administratifs.

En dépit de l’intention du Parlement d’accroître les pouvoirs législatifs des Premières Nations à des fins d’autodétermination, les projets de loi C-49 et C-428 ont plutôt créé des « régimes en suspens » où les lois des Premières Nations ne sont pas appliquées par la GRC et ne peuvent pas donner lieu à des poursuites de la part du Service des poursuites pénales du Canada.

Honorables sénateurs, dans le rapport de juin 2021 du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, intitulé Démarches collaboratives en matière d’application des lois dans les collectivités autochtones, le comité indique que depuis que des modifications à la Loi sur les Indiens en 2014 ont retiré au ministre le pouvoir de rejeter un règlement administratif, il n’y a plus d’examen ministériel obligatoire des règlements administratifs.

Alors que le Service des poursuites pénales du Canada mène uniquement des poursuites au sujet de règlements administratifs qui ont été examinés, Services aux Autochtones Canada examine désormais les projets de règlements administratifs à des fins de commentaires seulement. Essentiellement, cette modification de 2014 visait à priver les Premières Nations de la capacité d’appliquer ou de faire respecter les lois qu’elles avaient adoptées, car aucun nouveau processus n’avait été mis en place pour remplacer le processus d’examen qui avait été supprimé. Pourquoi cet amendement n’a-t-il pas été apporté au projet de loi, alors qu’il a été soulevé à maintes reprises au sein du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord?

Chers collègues, depuis 2014, la Gendarmerie royale du Canada continue de refuser d’appliquer les lois adoptées par les Chefs et les conseils des Premières Nations. Les Premières Nations ne peuvent pas sanctionner les crimes et les infractions commis dans leurs communautés. À titre d’exemple, certains de ces crimes concernent le trafic de drogues, y compris de substances intoxicantes, mais les Premières Nations sont incapables d’expulser et de poursuivre les trafiquants, même quand certains d’entre eux ne sont pas originaires de la communauté où ils commettent leurs crimes. Cependant, ces trafiquants continuent de pouvoir introduire en toute impunité de la drogue et de l’alcool dans ces réserves. C’est ce qui se passe actuellement dans ma réserve. Les gens sont impuissants, et la GRC ne réagit pas.

Partout au pays, les Premières Nations vivent une crise en matière de sécurité publique et de bien-être qui est alimentée par un trafic de drogue et des activités de contrebande qui sévissent presque impunément. Le fait que la GRC et le Service des poursuites pénales refusent et négligent d’assumer leurs responsabilités en ce qui concerne l’application des lois des Premières Nations et les poursuites aux termes de ces lois, notamment en ce qui a trait à l’interdiction de substances intoxicantes et aux intrusions, contribuent directement à cette crise.

Honorables sénateurs, d’après un article publié le 4 avril 2023 par CBC News, intitulé « Les chefs sont favorables aux efforts de la GRC pour freiner la contrebande dans le Nord du Manitoba, mais affirment qu’il faut faire plus », avec, en sous-titre, « La GRC du Manitoba dit aider les communautés autochtones isolées à appliquer les règlements locaux », 11 Premières Nations du Nord du Manitoba, y compris celle de God’s Lake, ont récemment déclaré l’état d’urgence en raison d’un éventail de problèmes sociaux dans leurs communautés, dont des décès qui seraient liés à la drogue, des suicides, des services d’urgence inadéquats en matière de santé et d’incendie, ainsi que des préoccupations concernant la consommation de substances.

Dans l’article, on peut lire :

Entretemps, les tensions montent entre la GRC et certaines communautés.

L’article se poursuit ainsi :

Plusieurs communautés, comme celle de God’s Lake, s’efforcent d’appliquer les règlements locaux qui restreignent ou interdisent la consommation de drogues et d’alcool, et elles réclament un soutien accru de la part du gouvernement et de la GRC.

Dans un communiqué de presse de la GRC, on indique que les interventions de celle-ci :

« [...] se poursuivront conformément aux souhaits exprimés par les dirigeants » dans les communautés qui ont leurs propres règlements concernant les drogues et l’alcool et qui « ont demandé que l’on fasse de l’application de la loi une priorité. »

Cependant, le Chef Hubert Watt déplore la manière dont la GRC qualifie son intervention dans les communautés qui veulent de l’aide pour faire appliquer les règlements concernant la consommation de drogues et d’alcool. Il a déclaré :

Je crois que la GRC dit cela parce que de plus en plus de Premières Nations affirment qu’elle n’est pas très efficace [...] dans les communautés [du Nord].

Toujours dans le même article de 2023 de la CBC, on peut lire :

D’après M. Watt et Phillip Kanabee, conseiller de la bande de God’s Lake, bien que la Première Nation souhaitait que la GRC procède à la fouille obligatoire des véhicules entrant dans la communauté, la GRC ne fouillera pas de manière proactive chaque véhicule en raison de contraintes juridiques.

M. Kanabee a déclaré :

Je me bats depuis longtemps avec la GRC pour qu’elle applique les règlements administratifs [...] La communauté essaie de collaborer avec la GRC, mais [...] il n’y a pas de partenariat.

Plus loin, l’article indique :

La police reconnaît également que certains règlements administratifs de la communauté relatifs aux drogues et à l’alcool sont en vigueur depuis des dizaines d’années [...]

Tara Seel, porte-parole des relations avec les médias de la GRC du Manitoba, a déclaré ceci :

[...] nos communications récentes concernant l’application de la loi dans cette région ne signifient en aucun cas qu’il s’agit d’une nouvelle initiative.

Elle a poursuivi en disant :

[...] la GRC, les procureurs de la Couronne et les autres partenaires doivent agir dans le respect des lois provinciales et fédérales — y compris la Charte et la Loi sur la protection des renseignements personnels — lorsqu’ils enquêtent sur la distribution illégale de drogues ou d’alcool.

Mme Seel a ajouté :

[...] la répression des activités de contrebande doit tenir compte de « plusieurs autres priorités en matière de sécurité publique », notamment la lutte contre les crimes violents.

Honorables sénateurs, j’ai été dentiste à God’s Lake pendant environ six ans.

(2010)

J’ai personnellement observé que la plupart des crimes violents sont attribuables à l’abus d’alcool et de drogues, qui, lui, est attribuable au fait que la GRC n’applique pas suffisamment la loi.

Chers collègues, j’ai déjà discuté de cette question avec le Chef Hubert Watt, qui a déclaré ceci :

Nous avons demandé à la GRC d’effectuer un contrôle routier chaque fois que l’on ouvre les routes d’hiver à la circulation afin d’intercepter les marchandises de contrebande, mais en vain. La confiscation de mars 2023 était un cas isolé.

Le Chef Watt a dit : « Imaginez tout ce qui pourrait être confisqué et toute la violence que l’on pourrait prévenir si l’on fouillait les véhicules systématiquement. »

La confiscation dont il parle est le résultat d’une opération qui s’est déroulée en mars 2023 sur les principales routes d’accès de collectivités du Nord, notamment la route 6 et la route provinciale 373, de même que sur les routes d’hiver menant à Gods Lake Narrows, à Island Lake et aux collectivités avoisinantes.

La GRC a déclaré avoir saisi, dans un seul véhicule, 26 bouteilles de boisson alcoolisée dans le cadre de ce contrôle routier. Au cours de la période d’intervention, elle a donné 75 contraventions, exécuté 4 mandats d’arrestation et porté un chef d’accusation de conduite avec facultés affaiblies contre un chauffeur de même qu’un chef d’accusation de trafic en vertu de la Loi sur le cannabis contre un autre.

Le communiqué indique que la GRC poursuivra ces mesures d’application de la loi conformément aux souhaits exprimés par les dirigeants de ces communautés dans les collectivités qui ont leurs propres règlements sur les drogues et l’alcool et qui ont demandé que l’application de la loi soit une priorité.

Comme l’a déclaré le Chef Watt, ce contrôle a été un cas isolé. Il n’y en a pas eu d’autres.

Bien que des mesures d’urgence temporaires aient été invoquées pour répondre à la pandémie de COVID-19 et faciliter l’application des règlements administratifs des Premières Nations en matière de protection de la santé, ces mesures n’ont pas permis de s’attaquer au fait que l’application de ces règlements administratifs est typiquement inadéquate.

Chers collègues, je tiens à rappeler encore une fois ce que la Cheffe Heidi Cook, de la Nation crie Misipawistik de Grand Rapids, a déclaré au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes au sujet de ce qu’a vécu sa communauté pendant une éclosion de COVID-19 survenue à l’hiver 2020-2021 :

Les membres de notre équipe d’intervention d’urgence liée à la pandémie, de notre équipe de soins de santé et de notre équipe chargée de l’application des mesures ont affirmé qu’ils se sentaient abandonnés. Nous avions du mal à contrôler la propagation. Durant la deuxième vague, le nombre de cas a atteint 155 et nous avons tracé près de 300 contacts. Nous en avons tous subi personnellement les conséquences. Je crois que nous souffrons tous de stress post-traumatique en raison de la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés.

Depuis que notre loi sur les mesures d’urgence est venue à échéance, nous n’avons adopté aucune autre loi. À quoi bon adopter une loi si elle ne peut pas être appliquée? C’est pourquoi nous n’avons adopté aucune autre loi depuis.

Des gens de l’extérieur entraient dans la communauté. La communauté voulait que la GRC empêche les personnes qui n’y résidaient pas d’entrer, car elles vendaient de la drogue. La GRC a toutefois refusé de faire respecter les règles, malgré les mesures d’urgence temporaires.

Lorsqu’il a témoigné le 13 mai 2021, M. Derek Yang, directeur des services communautaires de la nation des Tla’amins, en Colombie-Britannique, a dit ceci :

Ce que nous voulons dire, en bref, c’est que l’autodétermination ne veut pas dire grand-chose sans le pouvoir et la capacité d’adopter et d’appliquer des lois. Beaucoup de lois fédérales et provinciales, de mandats de négociation, de décisions de financement et d’approches d’application de la loi fragilisent ou affaiblissent l’application des lois des Premières Nations, au lieu de l’encourager et de la renforcer.

Chers collègues, les problèmes liés à l’application des lois des Premières Nations et aux poursuites en vertu de ces lois étaient connus en 1999, il y a 26 ans. Ce sont 26 années pendant lesquelles les Premières Nations n’ont pas été autorisées à assurer leur sécurité, et pendant lesquelles on leur a fait croire qu’il y aurait un débat continu et à long terme sur la question, débat qui n’a jamais eu lieu.

Vingt ans plus tard, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière les effets de l’absence d’application de la loi et de poursuites judiciaires qui a mis des vies en danger pendant toutes ces années.

Je tenais à vous faire savoir que, lorsque nous adoptons des lois, même celles qui sont perçues comme bien intentionnées, nous constatons que presque toutes les lois que nous adoptons au Sénat ont des conséquences négatives. Et les Premières Nations sont continuellement freinées par l’ampleur et la complexité des politiques, les vides en matière de compétence et d’autres contraintes législatives.

Il y a des tentatives de lutter contre cela et contre la privation de droits, des tentatives de lutter contre tous ces problèmes complexes, et nous devons apporter des corrections quand les problèmes ont été introduits par la législation. Les Premières Nations n’ont pas la capacité de le faire seules. Elles ont besoin que des lois externes soient modifiées.

Honorables collègues, les dispositions des traités nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6 qui interdisent les substances intoxicantes se terminent toutes par les mots « seront rigoureusement mises à exécution ». La mise à exécution rigoureuse par la GRC des lois des Premières Nations interdisant les substances intoxicantes constitue une promesse et un engagement de la Couronne en vertu des traités. Le refus et l’incapacité de la GRC d’appliquer les interdictions relatives aux substances intoxicantes promulguées par les Premières Nations constituent une violation de la promesse et de l’engagement du Canada en vertu des traités, et ils contribuent également aux crises de santé et de sécurité publique au sein des Premières Nations.

Le 3 février 2023, le Chef David Monias, de la bande de Cross Lake, dans le Nord du Manitoba, a écrit à la directrice des poursuites pénales, au ministre de la Justice et Procureur général du Manitoba, à la GRC, au ministre Marc Miller, au ministre David Lametti, à la ministre Patty Hajdu et au ministre Marco Mendicino pour leur demander instamment de respecter la primauté du droit et l’engagement pris dans le cadre des traités afin d’appliquer les règlements de la bande de Cross Lake et d’engager des poursuites à leur égard en vertu de l’article 85.1 de la Loi sur les Indiens.

Comme il est indiqué dans le Traité no5 :

Sa Majesté convient de plus avec les dits Indiens, que, dans les limites des réserves des Indiens, jusqu’à ce qu’il soit déterminé autrement par le gouvernement du Canada, à ce qu’aucune liqueur enivrante ne soit introduite ou vendue; et toutes les lois maintenant en vigueur, ou devant être décrétées à l’avenir pour préserver ses sujets Indiens habitant les réserves, ou vivant ailleurs dans ses territoires du Nord-Ouest, de la malheureuse influence de l’usage des liqueurs enivrantes, seront strictement mises en force.

Le Chef David Monias a écrit ceci :

Dans R. c. Campbell, 996 CanLII 7298 (MB CA), une affaire dans laquelle le Service des poursuites pénales du Canada menait les poursuites, la Cour d’appel du Manitoba a confirmé que le règlement d’application de l’article 85.1 de la Nation des Cris de Mosakahiken et l’article 85.1 de la Loi sur les Indiens étaient conformes à la Charte. Cependant, à notre connaissance, il s’agit des dernières poursuites intentées en application d’un règlement relatif à l’article 85.1 dans le Nord du Manitoba, soit il y a environ 27 ans.

L’article 85.1 de la Loi sur les Indiens autorise les conseils de bande des Premières Nations à créer des règlements administratifs pour régir les boissons alcoolisées dans les réserves. Cette disposition ne devrait-elle plus être en vigueur? Car, lorsqu’une bande assume le pouvoir, elle se reporte encore à cet article 85.1 de la Loi sur les Indiens, mais on refuse toujours de l’appliquer.

Le 5 avril 2023, un article de La Presse canadienne titrait : « Le fédéral ne fixera pas d’échéance pour la présentation d’une loi visant à déclarer les services de police des Premières Nations services essentiels ». Dans l’article, on apprenait que le ministre Marco Mendicino avait indiqué à La Presse canadienne, en décembre dernier, « que le gouvernement espérait déposer un projet de loi en 2023 ».

(2020)

Dans l’article, on pouvait également lire ceci :

Or, cette semaine, un attaché de presse du ministre a rejeté toute échéance, affirmant qu’il « est trop tôt pour dire quand un projet de loi sera déposé ».

Comme vous le savez, chers collègues, la police est largement considérée comme un service essentiel. Cependant, malgré les appels à la reconnaissance et à la réforme, cette demande de reconnaissance des services de police des Premières Nations comme étant un service essentiel et de garantie d’un financement et de ressources adéquats pour ces derniers est restée lettre morte. Un service essentiel est généralement défini comme un service crucial pour la sécurité et le bien-être du public, et dont l’interruption aurait des répercussions importantes sur la communauté. Il s’agit de maintenir l’ordre public et de protéger les citoyens.

Les Premières Nations méritent ce qui est accordé aux autres citoyens. Par conséquent, la situation actuelle n’est-elle pas discriminatoire?

Ainsi, honorables sénateurs, le projet de loi S-223 modifiera la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada afin d’y inclure la définition suivante de « texte législatif de première nation » :

texte législatif de première nation S’entend :

a) soit d’un règlement administratif pris en vertu de la Loi sur les Indiens;

b) soit d’un texte législatif de la première nation au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations;

c) soit d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale [...]

De plus, ce projet de loi servira à préciser et à confirmer de manière concluante que la GRC a l’obligation légale d’appliquer les textes législatifs des Premières Nations et d’exécuter les mandats qui peuvent être légalement exécutés par des agents de la paix aux termes de ces textes.

Chers collègues, je tiens à souligner que les Premières Nations ne sont pas restées les bras croisés pendant que leurs communautés étaient touchées par ces problèmes persistants, mettant des vies en danger. Elles ont fait preuve de créativité, tenté d’établir des relations, modifié des lois, ainsi que proposé et mis en place des solutions.

Les efforts que déploie le Grand Chef Settee, des Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, pour obtenir la reconnaissance, le respect et l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des lois des Premières Nations ont notamment mené à la conclusion d’un protocole d’entente avec la directrice des poursuites pénales et le commandant de la Division D de la GRC, au Manitoba, concernant l’application, par les forces de l’ordre et le système de justice, des règlements administratifs adoptés en vertu des articles 81 et 85.1 de la Loi sur les Indiens. Le protocole d’entente renouvelé est entré en vigueur le 30 juin 2023 pour une période d’essai de deux ans, conformément à ce qu’avait proposé la directrice des poursuites pénales dans sa lettre au Grand Chef Settee datée du 9 mars 2023 :

Je propose également que les représentants de mon service collaborent avec votre organisme et d’autres parties intéressées pendant ces trois mois afin de discuter de la possibilité de créer un programme pilote élargi permettant aux forces de l’ordre et au système de justice d’appliquer des règlements administratifs adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens autres que ceux directement liés à la pandémie de COVID-19. Ce genre de programme pilote ne serait pas une solution permanente, mais plutôt une occasion de développer conjointement le travail réalisé à ce jour en dehors de la crise provoquée par la pandémie. En outre, ce serait une occasion de recueillir des données probantes et d’acquérir de l’expérience en vue d’éclairer la recherche de solutions afin de mieux servir vos communautés à long terme.

Chers collègues, à la connaissance des MKO, le projet pilote de deux ans auquel ils participent avec le Service des poursuites pénales du Canada et la GRC — projet concernant l’application des règlements de la Loi sur les Indiens et la poursuite des contrevenants à ces règlements au moyen du protocole — est le seul projet du genre au Canada et il s’applique uniquement aux 23 Premières Nations représentées par les MKO qui ont des pouvoirs législatifs et qui choisissent d’y participer. Étant donné qu’il y a 634 Premières Nations au Canada, c’est donc dire que seulement 3,6 % des Premières Nations au pays ont l’occasion de voir la GRC appliquer les règlements de la Loi sur les Indiens et le Service des poursuites pénales du Canada intenter des poursuites relatives à des infractions à ces règlements au moyen d’un protocole. En outre, le protocole ne vise pas toutes les lois des Premières Nations. Ainsi, il n’aborde pas l’application d’une loi des Premières Nations promulguée au titre d’un code foncier ou par une Première Nation qui a conclu un accord d’autonomie gouvernementale, et il n’aborde pas la poursuite des contrevenants à la loi en question.

C’est un long discours, qui est très lourd également.

Je vais maintenant prononcer le deuxième discours, qui est tout aussi long.

Nous travaillons en étroite collaboration avec l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak et le Comité consultatif des terres, et il s’agissait d’un exemple concret de codéveloppement d’un projet de loi touchant les Premières Nations. Ce codéveloppement législatif est conforme aux articles 19 et 38 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, par conséquent, il est conforme à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak et le Conseil consultatif des terres ont déclaré que l’élaboration conjointe d’un projet de loi par un sénateur et d’autres parlementaires avec les Premières Nations est conforme à la demande visant à ce que ces interactions se fassent de nation à nation et aux principes de réconciliation, comme l’a souligné l’ancienne vice-première ministre dans sa réponse du 7 décembre 2022 à une question du sénateur Loffreda lors de l’étude du comité sénatorial sur l’ancien projet de loi C-32.

James Campbell et moi-même avons assisté au Forum national de l’APN sur la justice : revitalisation des lois et des ordres juridiques des Premières Nations, qui s’est tenu à Vancouver pendant trois jours en avril dernier. Des personnes venues de tout le pays y ont participé.

Voici ce dont j’ai été témoin :

Notre peuple a suivi et continue d’honorer certains enseignements, notamment celui de ne pas partir tant que les décisions n’ont pas été prises, et celui selon lequel le comportement et les attentes sont fondés sur nos lois, nos traditions et nos langues.

Nous devons veiller à ce que nos ordres juridiques ne soient pas envahis par le colonialisme. On a déclaré nos lois illégales de façon unilatérale. Nos lois sont légitimes. Elles visent à rétablir l’équilibre plutôt qu’à punir.

Nous ne sommes pas des reliques du passé, mais des êtres vivants, dynamiques et profonds. Nous devons nous demander si nous perpétuons des préjudices.

Il faut tendre les deux oreilles pour bien entendre et ne pas nuire.

Un droit vivant s’appuie sur le raisonnement, pas seulement sur des règles. Les lois évoluent et se développent comme nous, comme des êtres vivants.

Nous avons le droit inhérent de décider de ce qui se passe sur nos terres et dans nos vies.

Honorons nos ancêtres, mais protégeons ceux qui nous suivront.

Nous réclamons justice pour la Terre, les langues, le genre et les cérémonies, et nous devons concilier tout cela.

Nous devons comprendre ce qui se passe quand nous devons appliquer des lois dans le cadre d’un système judiciaire qui nous est étranger.

La bonne gouvernance et les bonnes lois assurent notre sécurité.

Nos cérémonies enseignent la justice.

Comment s’est-on retrouvé avec des enfants sans culture?

Que fait-on du caractère sacré de nos lois au sein d’une institution coloniale?

C’est ce qui se passe avec des dispositions législatives comme celles issues du projet de loi C-92. On met en place des dispositions législatives que les gens pensent pouvoir s’approprier, mais ce sont maintenant des dispositions fédérales qu’on peut éliminer ou modifier, et ce n’est pas ce à quoi les gens s’attendaient.

(2030)

Les Premières Nations se voient constamment imposer des politiques et des lois prédéterminées. On part du principe que celles-ci fonctionnent, mais ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas signé de traités pour notre disparition. La justice est une conviction que nous avons. Les traités sont des documents internationaux — nous croyons qu’il faut marcher ensemble.

Il est essentiel de demander des comptes au gouvernement. Quelle promesse voyons-nous dans la législation fédérale?

Chers collègues, lors de la récente conférence de l’Assemblée des Premières Nations sur la justice, il a été question du projet de loi C-92, de l’émancipation des femmes des Premières Nations, du matriarcat, du rôle des femmes dans le passé, le présent et l’avenir, de la traite des personnes, de la législation fédérale sur l’eau ainsi que de l’application des lois et des règlements des Premières Nations et des poursuites en vertu de ces lois et règlements.

Il y a eu des déclarations sur le fait que le système judiciaire canadien a continuellement manqué à ses obligations envers les Premières Nations. À l’arrivée des Européens, nous n’avions pas d’institutions pour enfermer les gens. Ce n’était pas nécessaire. Nous avions un système empreint d’humanité.

En tant que sénatrice, ce que j’ai retenu de cette conférence, c’est que les réalités qui ont rendu les Premières Nations vulnérables au Canada, les systèmes étrangers qui leur ont été imposés unilatéralement, sont toujours en place aujourd’hui sur la Colline du Parlement. On ne tient toujours pas compte de la façon d’être et de tirer profit de leur savoir des Premières Nations. La bonne gouvernance, c’est d’assurer la sécurité et la sûreté de tous les citoyens du Canada et non celle de quelques privilégiés. La bonne gouvernance, c’est s’assurer de pouvoir procéder à un second examen objectif et ne pas adopter des lois à la hâte.

J’invite tous les honorables sénateurs à appuyer pleinement l’autodétermination et les pouvoirs législatifs accrus de toutes les Premières Nations du Canada. C’est ce que le Parlement prévoyait dans l’ancien projet de loi C-428 pour les Premières Nations qui choisissent d’exercer le pouvoir législatif prévu dans l’ancien projet de loi C-49, ainsi que celles qui les exercent dans le cadre d’une entente sur l’autonomie gouvernementale conclue entre une Première Nation et le Canada.

Je prie tous mes honorables collègues d’appuyer sans réserve le projet de loi S-223, à le renvoyer au comité et à adopter les modifications proposées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada qui y sont prévues. Cela précisera et confirmera de manière concluante que la GRC a l’obligation légale de faire respecter les lois des Premières Nations.

Kinanâskomitinawow kwyes kapetameek. Je vous remercie de m’avoir écoutée attentivement.

Son Honneur la Présidente : Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice McCallum?

La sénatrice McCallum : Oui.

La sénatrice McPhedran : Sénatrice McCallum, vous avez expliqué clairement ce qui doit être changé et pourquoi. Au cours de toutes vos consultations, avez-vous trouvé d’autres moyens qui permettraient peut-être de remédier à la situation très grave abordée dans ce projet de loi?

La sénatrice McCallum : En fait, cela figure dans mon deuxième discours, et je le dirai à ce moment-là, mais il n’y a pas d’autre solution. Nous devons amender le projet de loi. Lors de toutes les réunions qu’ils ont eues avec les ministres fédéraux, personne n’a voulu s’attaquer à ce problème. Ils ont laissé les Premières Nations dans une situation très vulnérable. Cela me semble intentionnel et je ne sais pas pourquoi ils agissent ainsi.

Ce qui m’inquiète, c’est l’image négative que cela donne des Premières Nations au reste du Canada, alors qu’elles sont totalement incapables de contrer la violence dans leurs communautés. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Patterson, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le Mois du patrimoine arabe

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Al Zaibak, appuyée par l’honorable sénateur Aucoin, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-227, Loi instituant le Mois du patrimoine arabe.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-227, Loi instituant le Mois du patrimoine arabe.

Je remercie le sénateur Al Zaibak de ses nombreuses contributions au Sénat et, de façon plus générale, à notre pays. Nous saluons l’engagement dont vous avez fait preuve envers la communauté arabo-canadienne en tant que sénateur d’origine arabe récemment nommé à la Chambre haute.

Honorables collègues, ce projet de loi nous invite non seulement à rendre hommage à une culture dynamique, mais aussi à penser aux histoires et aux personnes qui façonnent nos collectivités de façon discrète, mais importante.

Étant moi-même un fier immigrant, je suis bien placé pour savoir à quel point l’identité, la culture et les souvenirs nous accompagnent au-delà des frontières, et de génération en génération.

Je serai éternellement reconnaissant envers les médecins originaires de la Libye, de la Syrie, de l’Égypte, de l’Irak et de la Palestine avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. Leur dévouement et leurs contributions honorables au sein de ma collectivité ont eu un effet très positif sur ma vie et sur le bien-être de mes concitoyens.

Nombre de Canadiens d’origine arabe viennent au Canada en espérant de tout cœur y trouver la sécurité, la dignité et des possibilités. Cependant, ils apportent aussi avec eux un riche patrimoine : la langue, la cuisine, la poésie, la musique ainsi que des valeurs axées sur la famille, l’hospitalité et l’éducation.

Dans le cadre de ma carrière médicale, et plus récemment en tant que sénateur, j’ai eu le privilège de rencontrer des Canadiens d’origine arabe de tous les horizons, y compris des jeunes qui essaient de se tailler une place, des parents qui veulent offrir une vie meilleure à leurs enfants et des leaders discrets qui sont des piliers de leur collectivité.

Je pense à l’épicier libanais qui devient un pilier d’une petite collectivité ou au réfugié syrien qui soigne maintenant des patients dans nos hôpitaux. Ce ne sont pas seulement des histoires de résilience, chers collègues. Ce sont des histoires de contribution.

La culture arabe est vieille de plusieurs siècles, possède une histoire riche, a contribué à des domaines comme les sciences, la philosophie, la calligraphie et l’architecture. Mais il ne s’agit pas seulement d’une histoire à admirer de loin. Elle est bien vivante ici — dans nos quartiers, nos salles de classe, nos collectivités, notre Parlement et cette enceinte.

Je sais également que la célébration doit aller de pair avec la sensibilisation. Les Canadiens d’origine arabe se butent encore à des obstacles, à des stéréotypes, à la discrimination et à l’exclusion. Alors que nous réfléchissons à la validité du projet de loi, nous devons également nous poser la question suivante : sommes-nous vraiment en train de créer des espaces où chaque enfant d’origine arabe se sent à sa place, où son nom est prononcé avec soin, où son histoire est écoutée avec respect et où son potentiel est vu sans limitation?

Si nous soutenons le projet de loi, nous pourrons certes nous réjouir bruyamment, mais aussi écouter attentivement, et, chers collègues, agir avec audace.

À nos frères et sœurs arabo-canadiens : vos histoires comptent. Votre présence nous enrichit, et votre patrimoine ne fait pas seulement partie du Canada, il est le Canada.

Shukran, merci, meegwetch.

(Sur la motion du sénateur Wells (Terre-Neuve-et-Labrador), au nom de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

(2040)

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Adoption de la motion concernant la composition du comité

L’honorable Scott Tannas, conformément au préavis donné le 17 juin 2025, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur, l’honorable sénatrice Ross prenne la place de l’honorable sénateur Smith à titre d’un des membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 20 h 41, le Sénat s’ajourne jusqu’à 13 h 30 demain.)

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